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Neige artificielle : fait-on fausse piste ?

📋  Le contexte  📋

Les zones de moyennes et hautes montagnes recouvrent 29% du territoire français avec 6 massifs en métropole (Alpes, Corse, Jura, Massif Central, Vosges, Pyrénées) et 3 dans les départements d’outre-mer (Martinique, Guadeloupe, La Réunion). Chaque hiver, les amateurs de sports de glisse se rendent dans une des 233 stations de ski, surtout dans celles des Alpes qui regroupent près de 65% des domaines skiables. Les Alpes se disputent chaque année, selon le degré de l’enneigement, la place de première destination mondiale des skieurs en concurrence avec les États-Unis. Si la France est si riche dans ses ressources, seulement 14% des Français en profitent chaque hiver. Un chiffre qui selon Ipsos passe à 21% pour les CSP+. Les étrangers, majoritairement européens, remplissent alors aisément nos stations. Ces chiffres s’expliquent par le prix d’un séjour à la montagne. Selon une étude réalisée par les Domaines skiables de France et la Caisse des dépôts en Rhône-Alpes, en 2018, une journée de ski coûterait en moyenne 117€ par personne. 

Au-delà du prix, on peut se questionner sur l’avenir du ski et tout autre sport de glisse à l’heure du réchauffement climatique. Cette année, plusieurs stations ont annoncé reporter leur date d’ouverture faute de neige. Selon Samuel Morin, ancien directeur du Centre de recherche sur la neige, «la durée d’enneigement a diminué d’un mois depuis les années 1970. Et elle perdra encore plusieurs semaines ces prochaines décennies. » Alors que la viabilité économique d’un domaine skiable demande une durée minimale de 100 jours selon la Cour des Comptes, cette perte de neige nécessite de repenser nos pratiques. Certains décident de repenser les domaines selon les saisons ou font appel à la neige artificielle. 

Avec le développement du tourisme hivernal, les canons à neige se sont multipliés dans les stations. Dans les années 1950 les frères Tropéano ont inventé aux États-Unis les premiers canons et en 1973 ils arrivent en France. Utilisés quand la neige naturelle fait défaut, ces canons pulvérisent un mélange d’eau et d’air lorsque la température avoisine les -5°. L’équipement nécessaire comporte alors un compresseur, des canalisations pour acheminer le mélange jusqu’aux pistes et des canons installés tous les 30 à 50 mètres. Des dameuses seront ensuite utilisées pour travailler cette neige, plus compacte que la neige naturelle. Si une station de ski désire avoir ce type d’installation, elle doit déposer un “dossier loi sur l’eau” pour justifier le projet et établir son impact sur l’environnement. 

En règle générale, on considère que le tapis de neige doit faire entre 60-70 cm d’épaisseur. Pour faire 2 m³ de neige artificielle (ou neige de culture), il faut 1 m³ d’eau. Donc pour un hectare de neige, on utilise près de 4 000 m³ d’eau soit un peu moins de deux piscines olympiques. L’eau qui est utilisée provient majoritairement de retenues d’altitudes. En Savoie c’est par exemple 60%. 

39% des domaines skiables français sont recouverts par cette neige et 25 millions de m3 d’eau sont transformés et pulvérisés. Chez nos voisins européens cet amour pour la neige artificielle est plus important. Par exemple en Autriche 70% des pistes y ont recours et au nord de l’Italie cela monte presque à 90%. 

 

L’impact environnemental de la neige fait débat. En octobre dernier, une ZAD a été montée à la Cluzaz contre le projet d’une retenue collinaire. Plusieurs groupes comme Extinction Rebellion ou Fier-Aravis contestent ce projet qui mettrait selon eux en danger l’environnement au profit d’une politique “tout-ski”. Suite à cette action, l’arrêté préfectoral autorisant les travaux a été suspendu tant que des doutes subsistent sur “l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur permettant de déroger à l’interdiction de destruction des espèces protégées”. 

La neige artificielle ou la neige de culture est souvent contestée pour son impact sur l’environnement, que ce soit par les installations qui la produisent ou pour son effet direct sur les pistes. Par exemple, le fait que la neige de culture soit plus dense que la neige naturelle participe à une plus forte érosion des massifs montagneux. Sa densité peut également favoriser le réchauffement des sols et les imperméabiliser. Mais en parallèle les défenseurs de cette neige mettent en avant le fait que sa production est pour le moment nécessaire et que celle de la France est raisonnée par rapport à celle de ses voisins européens. Ils mettent aussi en avant le fait que cette production de neige connaît des progrès techniques en accord avec la nature au fil des années et que toute une économie, avec des milliers d’emplois, dépend d’une bonne saison hivernale. 

 

🕵  Le débat des experts  🕵

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Doit-on continuer d'utiliser de la neige artificielle?
Le « Pour »
Cyril Pellevat
Sénateur de la Haute-Savoie, Conseiller régional Auvergne- Rhône-Alpes, Secrétaire de la commission Aménagement du territoire et développement durable du Sénat
La neige de culture : une solution pour préserver la montagne française lorsqu’elle est utilisée rationnellement et avec pragmatisme

En premier lieu, le terme de neige artificielle n’est pas adapté. Il convient de parler de neige de culture puisqu’il s’agit uniquement d’eau, sans aucun additif (ces derniers étant interdits en France), qui est gelée par un procédé purement mécanique. En somme, de la neige tout ce qu’il y a de plus classique.

Il est essentiel de prendre en compte le fait que la neige de culture permet le maintien du manteau neigeux. Toutes les prévisions faites par Météo France pour estimer la couverture neigeuse d’ici 2050 intègrent la production de neige de culture, sans laquelle il n’y aura plus de neige en montagne d’ici quelques années, contre plusieurs décennies si son utilisation est maintenue tout en mettant en oeuvre les mesures nécessaires pour éviter une trop forte hausse des températures. Faute de neige, ce serait alors l’ensemble de l’environnement montagnard qui serait impacté, que l’on se place du point de vue économique comme de celui de la biodiversité.

L’économie de montagne représente plusieurs dizaines de milliers d’emplois directs et indirects

Rappelons à ce titre que l’économie de montagne représente plusieurs dizaines de milliers d’emplois directs et indirects et près de 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Il s’agit d’un secteur qui n’est pas délocalisable, créateur d’attractivité pour nos territoires, qui fait partie intégrante de notre culture et qui agit déjà de manière extensive pour protéger la biodiversité et les paysages, ces derniers étant des composantes essentielles de l’attrait de la montagne. Ainsi, la seule chose qu’apporterait l’interdiction de la neige de culture serait la perte de nos savoir-faire, la mort de l’économie montagnarde et de l’attractivité des territoires de montagne, ainsi qu’une hausse du chômage dans ces derniers.

D’ailleurs, il convient de noter que la France n’utilise de la neige de culture que pour 30 à 40% de ses pistes de ski, contre 70% en Autriche et 87% en Italie. Aussi, faute d’usage de la neige de culture, les touristes français se reporteraient vers les stations d’autres pays qui en utilisent, ce qui engendrerait des déplacements plus longs et donc plus polluants. Notre usage de ce procédé, comparé à d’autres pays, est donc rationalisé et équilibré, et devra le rester. En outre, son utilisation ne doit pas servir d’excuse pour ne pas mettre en oeuvre en parallèle des mesures visant à diversifier et vérifier les activités de montagne, pour réduire leur empreinte carbone mais aussi rendre la montagne attractive même en dehors de la saison hivernale.

Une balance avantages/désavantages 

Enfin, l’une des principales critiques relative à la neige de culture est qu’elle nécessite la création de retenues collinaires. Si, là encore, une multiplication incontrôlée du nombre de retenues aura un impact négatif sur l’environnement et sur la disponibilité de l’eau, des créations ponctuelles, réfléchies et permettant différents usages de l’eau ne posent pas de difficulté. De plus, les innovations techniques permettront à terme de consommer moins d’eau et d’électricité pour la production, et la grande majorité de l’eau utilisée retourne dans les sols lorsque la neige fond.

Il apparaît donc que, même si la neige de culture n’est bien évidemment pas exempte de défaut, lorsqu’elle est utilisée dans des cas précis, sur des pistes habituellement enneigées mais étant ponctuellement en déficit, dans le but de préserver l’activité économique en montagne durant la saison hivernale et non pas de réduire les « ailes de saison », elle présente une balance avantages/désavantages qui semble somme toute peser du côté des bénéfices.

Le « Contre »
Corentin Mele
Membre du pôle veille et expertise (eau) de France Nature Environnement Haute Savoie
La neige artificielle est dommageable pour l’environnement

Il est nécessaire d’examiner la question sereinement à la lumière des effets déjà constatés et ceux prévisibles du changement climatique. La neige artificielle a été conçue au départ comme une mesure d’adaptation ponctuelle à l’insuffisance localisée, bas des pistes, ou zones de très fortes fréquentations. Désormais, elle est utilisée comme couche d’ancrage à la neige naturelle, afin de sécuriser les dates d’ouverture des stations et augmenter les « journées skieurs ».

C’est cette volonté d’accroître encore l’enneigement artificiel qui pose aujourd’hui question, alors que nous sommes dans un contexte de réchauffement climatique et d’effondrement de la biomasse terrestre.

La neige artificielle est dommageable pour l’environnement : l’eau

En effet, la production de neige artificielle a de réelles conséquences sur le cycle de l’eau. La coexistence des divers usages de l’eau en période d’étiage hivernal des cours d’eau (quand leur débit est au plus bas) est peu évidente. Il arrive qu’en période de pénurie, l’eau
nécessaire à la production de neige artificielle soit prélevée directement dans les rivières, dont le débit est déjà faible. La solution envisagée des retenues collinaires n’en est malheureusement pas une… Ce sont des ouvrages au volume très conséquent, parfois d’une capacité supérieure à 100 000 m3 (40 piscines olympiques).

Ces retenues sont implantées sur des zones humides, qu’elles détruisent. Pourtant, ce sont des puits de carbone, des refuges de biodiversité, et elles constituent des zones naturelles de stockage et de purification de la ressource en eau. Ce sont ainsi des espaces qu’il est particulièrement nécessaire de préserver dans le cadre du changement climatique et de l’intensification des sécheresses. Par ailleurs, la méthode actuelle de production gaspille 30 à 40 % de l’eau par évaporation et perte mécanique. Cette eau, qui ne pourra donc ni ruisseler, ni s’infiltrer, deviendra alors inutilisable pour les autres usagers et les milieux naturels.

La biodiversité

L’impact de la neige de culture sur la faune et la flore ne se limite pas à la destruction directe d’habitats liée à la construction d’infrastructures du réseau de neige artificielle. La prolongation de l’enneigement associée à l’utilisation d’une eau plus riche en nutriments (cas de retenue d’altitude) induit un changement dans les communautés végétales.

La neige de culture favorise ainsi les plantes très compétitives des milieux méso-hydriques et riches en nutriments aux dépens notamment d’espèces caractéristiques de pelouses sèches, conduisant à un appauvrissement de la diversité végétale et une banalisation des milieux (Source :
Kammer, 2002).

Et l’énergie ?

Un autre problème que pose le développement de la neige artificielle est sa consommation énergétique depuis le captage d’eau jusqu’à la production de la neige et son étalement sur les pistes par les dameuses. La consommation d’énergie supplémentaire inhérente à
l’enneigement artificiel apparaît incohérente avec les objectifs de sobriété énergétique fixés par la loi de transition énergétique pour la croissance verte dans un contexte de changement climatique.

Il est primordial d’adapter les besoins aux ressources et de n’envisager que le strict nécessaire aussi bien en équipement qu’en consommation. Le développement permanent de l’enneigement artificiel essaie de compenser la baisse permanente d’enneigement naturel lié au changement climatique. Pourtant, en dégradant l’espace naturel et le capital naturel que constitue la montagne, la production de neige artificielle aggrave les conséquences mêmes du changement climatique.

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