LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU
Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…
Jeudi 22 avril et vendredi 23 avril 2021 s’est tenu un sommet international réunissant quarante chefs d’Etat par visioconférence. Organisé par Joe Biden, le président américain, à l’occasion de la Journée de la Terre, l’événement ressemble au dernier arrêt avant le terminus – la COP26 qui se tiendra à Glasgow (Ecosse) en novembre 2021.
A ce sommet, des déclarations ambitieuses de nouveaux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, tempérées par les mises en garde d’activistes environnementaux. Les agendas géopolitiques qui sous-tendent ces sommets où tout le monde semble se mettre d’accord pour sauver la planète brouillent les pistes : pas évident de comprendre ce qu’il faut retenir de cette réunion, annoncée à peine quelques semaines en amont par la Maison Blanche. On décrypte.
Quoi de neuf à l’issue du sommet ?
Biden n’a pas été timide sur les engagements climat des Etats-Unis. Le nouveau président s’engage à une réduction de 50 à 52% des émissions de gaz à effets de serre du pays d’ici à 2030, et à la neutralité carbone d’ici à 2050. Du jamais-vu pour les Etats-Unis, sachant que leur engagement précédent ne dépassait pas les 28%, le tout par rapport au niveau d’émissions de 2005. Il double les objectifs posés par l’administration Obama et signe le retour des Etats-Unis dans les négociations climatiques, après quatre ans d’absence lors du mandat Trump.
Par ailleurs, après une petite visite en Chine de John Kerry, l’envoyé spécial sur les questions climatiques des Etats-Unis, Xi Jinping, le président chinois, était présent lors de ce sommet. Rien n’était moins sûr, les relations entre la Chine et les Etats-Unis demeurant très fraîches. Xi Jinping a même ébauché un début d’engagement de réduction des émissions carbone chinoises : il vise un début des réductions d’ici à 2030, et s’engage à la neutralité carbone pour 2060.
Enfin, l’Union Européenne, sûrement soucieuse d’avoir quelque chose à montrer lors du sommet, a annoncé sa nouvelle loi Climat, juridiquement contraignante. Elle a été votée mercredi, à la veille du sommet, et réhausse de 15% les objectifs pris dans le cadre de l’Accord de Paris de 2015. L’UE vise à présent 55% de réduction des gaz à effets de serre nette par rapport aux émissions de 1990. Les Eurodéputés verts ainsi que les mouvements environnementaux dénoncent une manipulation politique en créant un objectif net (qui prend en compte les puits de carbone), qui réduit ainsi la réduction réelle des émissions de gaz à effets de serre des secteurs polluants.
Et par rapport aux objectifs de l’Accord de Paris ?
L’Accord de Paris, c’est le traité légalement contraignant signé en 2015 par 196 pays qui a pour objectif que le réchauffement climatique ne dépasse pas les +2°C d’ici à 2100, avec une préférence pour une limite à +1,5°C. Selon un rapport publié par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) en décembre 2020, les engagements pris par les 196 signataires de l’Accord de Paris, s’ils sont tous mis en place et appliqués (une supposition ambitieuse), nous mettent sur une trajectoire à +3,2°C. Plus inquiétant encore : si nous continuons au rythme des émissions de gaz à effet de serre pré-COVID, le PNUE estime une trajectoire de réchauffement climatique de +3,4°C à +3,9°C à la fin du siècle.
Critique de Greta Thunberg
La militante suédoise Greta Thunberg a fait valoir, à travers une vidéo adressée aux responsables politiques du monde entier, « qu’on ne peut pas se contenter du mieux que rien », soulignant ainsi que s’il est louable d’amplifier les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il demeure un décalage entre les engagements pris et le temps qu’il nous reste pour éviter la catastrophe climatique.
⚠️This is an emergency alert for the general public⚠️#MindTheGap#LeadersClimateSummit#EarthDay#NoMoreEmptySummits pic.twitter.com/e1z1A783I2
— Greta Thunberg (@GretaThunberg) 22 avril 2021
Thunberg soulève que s’il est relativement aisé de déclarer de nouveaux engagements très ambitieux, The Economist indique avec justesse que « si l’action climatique était mesurée en discours, les US pourraient être certains de leur réussite. » Et si les activistes environnementaux « comprennent la complexité du sujet » selon la militante, la vidéo lance un signal clair : les militants attendent les dirigeants au tournant, et ne se contenteront pas de simples promesses via Zoom.
« Y’a plus qu’à »
Si Biden semble faire du climat une des priorités de son mandat, il faut se rappeler que le Sénat américain ne sera pas forcément à majorité Démocrate lors des législatives qui auront lieu dans deux ans. Biden ayant besoin de l’approbation du Sénat pour voter ses projets de loi, un Sénat à majorité Républicaine pourrait l’empêcher de mener à bien ses ambitions.
Le climatoscepticisme de Donald Trump ne se cantonnait pas qu’à la bête politique et demeure bien trop présent dans les rangs du parti Républicain pour, à première vue, espérer faire de l’environnement une thématique politique qui défie les lois de la politique partisane. A moins que Biden joue sur la corde patriotique, au véritable effet de levier en politique américaine.
Uncle Sam contre le CO2 ?
Si, si. En témoigne le texte de sa réforme sur l’infrastructure de Joe Biden, son deuxième gros projet de loi après le plan de relance gargantuesque qu’il a malgré tout réussi à faire approuver par le Sénat, en mars.
A première vue, cet American Jobs Plan ne parle pas du tout de climat. C’est parce qu’il l’évoque peu, et parle principalement de grands travaux, de création d’emploi pour réaliser ces travaux, et de « concurrencer la Chine », dès la cinquième ligne. Et pourtant, il s’apparenterait presque à une première étape d’un Green New Deal, le tout en reformulant les enjeux environnementaux en des termes plus consensuels aux Etats-Unis : le retour de la grande nation en tant que leader occidental, battre la Chine, créer des emplois, et la course à la technologie (verte).
When I think of climate change, I think about jobs.
— President Biden (@POTUS) April 22, 2021
Within our climate response lies an extraordinary engine of job creation ready to be fired up.
Mais comme évoqué plus tôt, ce projet de loi n’est ni voté, ni approuvé, ni mis en oeuvre à l’heure actuelle. Y’a plus qu’à, mais l’approche « unis derrière le drapeau » de Biden peut fonctionner, à la manière d’un cheval de Troie pour le réchauffement climatique.
America’s back
Ce qui est certain, c’est que ce sommet avait aussi pour but de réinstaurer les Etats-Unis comme les leaders occidentaux de la lutte contre le réchauffement climatique, n’en déplaise à l’Union Européenne qui se fait piquer sa place après le mandat de Trump.
Pour Pascal Canfin, président de la commission environnement du Parlement Européen rapporté par Le Monde, il vaut mieux ça que l’absence de dialogue qui a marquée ces quatres années sans les Etats-Unis à la table des négociations. « La seule manière de gagner la bataille climatique, c’est d’engager une course vers le haut. Avec Biden, on peut avoir un problème de leadership, et tant mieux. Avec Trump, il n’y avait pas de sujet »
Mais bon : la puissance américaine face à celle de l’UE a probablement un goût de réchauffé pour les Etats-Unis, un peu comme un ami qu’on sait qu’on va battre à FIFA. Ils ne se sont jamais sentis menacés, l’UE leur a juste gardé leur siège au chaud.
Non, ce qui peut motiver les masses américaines, et qu’on risque de retrouver dans les discours de Biden à domicile, c’est la course à la technologie verte contre la Chine, qui est elle-même très avancée sur le sujet, et a conforté cette avance lors du mandat Trump.
Qu’attendre à l’avenir ?
A l’instar de la conquête de l’espace entre l’URSS et les Etats-Unis à l’époque, cette compétition vertueuse émerge alors que les relations sino-américaines se réchauffent un peu. De lourds enjeux économiques et politiques se jouent sur le terrain de l’environnement, et passeront par la course à la technologie de captation de carbone et de production de voitures non-polluantes.
Il existe aussi une dimension soft power à tous ces discours. La Chine a amélioré son image politique en comparaison à celle des Etats-Unis, face à la diplomatie du tweet trumpienne. Aujourd’hui sous le feu des critiques liées aux violations des droits humains et à la persécution des Ouïghours, le pays a une carte à jouer sur l’environnement et ne peut plus se permettre de travailler le sujet dans son coin. D’autant plus que l’élection de Biden et sa volonté apparente de redorer l’image des Etats-Unis à travers les enjeux climatiques font augmenter la pression.
Ce sommet de la Journée de la Terre ne montre pas de rupture nette, ni une révolution verte, ni un bouleversement des priorités. Pourtant, nombreux sont ceux qui les attendent. Il aura toutefois eu le mérite de prendre la température, et de voir se redessiner les contours de la politique internationale, et nous reconfirme une énième fois que le climat sera l’enjeu politique du siècle. Enfin, il soulève la question suivante : si la compétition vertueuse peut s’avérer utile, est-il bien prudent de faire reposer l’avenir de la planète sur l’expression capitaliste d’une lutte de pouvoir entre la Chine et les Etats-Unis ?
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