📋 Le contexte 📋
L’extrême droite est une famille idéologique de partis formée de différents groupes hétérogènes, ce qui explique la difficulté à la définir. Cas Muddle, un politologue néerlandais, établissait dans les années 2000 environ 28 différentes définitions de celle-ci dans le milieu académique. Il est possible d’identifier quelques points communs aux groupes d’extrême droite : nationalisme et exclusivisme (racisme, antisémitisme, ethnocentrisme), xénophobie, culte du chef, populisme et esprit anti-parti. Le Rassemblement National (RN), parti fondé en 1972 (anciennement Front National) est le principal parti situé à l’extrême droite aujourd’hui en France, idée pourtant récusée par ses représentants.
La république étymologiquement signifie “la chose commune” (Res Publica), c’est un mot d’origine latine qui naît dans la Rome Antique. Il s’agit d’un système politique dans lequel on retrouve l’idée d’un Etat fort qui assure le bien commun et l’égalité des citoyens, protégés de la domination par les institutions communes. L’Etat devient garant des libertés publiques, protégées par et pour le peuple. Au cœur de ce système se trouve donc le peuple, qui est souverain et exerce son pouvoir politique directement ou par l’intermédiaire de représentants. Attention, si les deux termes sont assez proches, la République n’est pas nécessairement une démocratie. Il faut aussi rappeler qu’il existe un républicanisme “à la française”, marqué davantage par des valeurs sociales.
Le RN étant devenu un parti important dans l’échiquier politique (passant de parti d’opposition à parti de gouvernement au cœur de sa stratégie de conquête du pouvoir et de “dédiabolisation”), la question se pose désormais de savoir si l’extrême droite est républicaine ou non. Puisqu’à l’origine, elle ne l’était pas : l’extrême droite en France est née du côté des contre-révolutionnaires, défavorables à l’instauration de la République. Aujourd’hui, le RN joue le jeu des élections et des institutions politiques, ce que rappellent ses représentants pour refuser la catégorisation de parti d’extrême droite. Pourtant la question se pose toujours, d’autant plus que certaines libertés fondamentales et républicaines pourraient être menacées par l’arrivée au pouvoir d’un tel parti.
🕵 Le débat des experts 🕵
Que le RN soit républicain, c’est une évidence. Il n’est pas royaliste, par exemple, et il est difficile de faire passer pour fasciste un mouvement dont la candidate aux présidentielles de 2017, Marine Le Pen, faisait référence dans son projet aux « valeurs de la République ». Le problème est que dans l’histoire de France, la République renvoie à bien des systèmes: celui issu de la Révolution de 1789, la République sociale et libérale de 1848 devenue autoritaire avec Louis-Napoléon Bonaparte, le républicanisme rouge des Communards et celui, accepté contre ses convictions monarchistes par le maréchal de Mac-Mahon, le régime parlementaire de la IVème et le semi-présidentiel de la Vème, mis en place par le général de Gaulle. Boulanger tente un coup d’Etat, mais il est républicain. Et Pétain est d’abord président du Conseil de la IIIème République avant d’amener le régime de Vichy.
Il faut donc déterminer ce que le RN met derrière le mot République. Le volet institutionnel de son programme est flou : « réviser la Constitution » de 1958 ; ne plus réviser celle-ci que par référendum ; élargir le champ du référendum vers le « référendum d’initiative populaire » ; abaisser le nombre des parlementaires ; instaurer la proportionnelle intégrale ; supprimer les régions. Au pied de la lettre, il est toujours possible de réviser la loi fondamentale pour éliminer l’article 89, qui précise que la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision. Mais faisons confiance au RN pour ne pas tomber dans cette provocation inutile : il lui suffit d’instaurer une République plébiscitaire, dans laquelle un exécutif fort fait valider par la volonté populaire, via le référendum, le changement des règles de droit qui se mettent en travers de son programme. Ainsi du remplacement du droit du sol par le droit du sang, de la préférence nationale ou des possibles conflits entre le droit national et les traités internationaux.
Le risque ? Faire du référendum une arme qui permet de gouverner au gré des passions et des émotions des citoyens. Annihiler la raison d’être du politique puisque, dans un régime où l’initiative populaire et le référendum tranchent sur tout, les gouvernants n’ont plus qu’à suivre l’opinion et à mettre en musique ses avis. La démocratie représentative a ses défauts, mais la démocratie directe proposée par le RN devient vite démagogie. Et peut même aboutir à ce que le peuple abdique des libertés fondamentales.
Depuis des décennies, et malgré le travail engagé notamment par Bruno Gollnish, l’extrême droite française montre chaque jour un visage anti-républicain.
D’abord il faut rappeler que respecter la démocratie, à savoir participer aux élections et se conformer aux résultats, ne suffit pas à qualifier un parti ou une idéologie comme compatible avec la République. Ce sont les idées défendues, les propos tenus, mais surtout le respect de notre socle constitutionnel qui définissent ou non la compatibilité d’une organisation politique avec la République. En quelques semaines, l’extrême droite a fait une fois de plus la preuve de son caractère anti-républicain. En marge des débats sur la loi sur le séparatisme, la Députée d’extrême droite Emmanuelle Menard a déposé un amendement visant à modifier l’article premier de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat au motif que « ce n’est pas la République, simple régime politique, qui garantit la liberté de conscience, mais bien l’Etat français à travers tous les régimes politiques assumés ». Cela revient à nier fondamentale la notion de laïcité, qui est justement un des piliers de la République Française. En soutenant une tribune de hauts gradés, parlant publiquement de sédition, d’intervention au nom de la « protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national », Marine Le Pen a quant à elle rappelé une réalité trop souvent oubliée. L’extrême droite rêve de coup d’état et de régime fasciste. N’oublions pas que le Front National a été créé par Ordre Nouveau, et que le logo (la flamme) est directement inspiré du parti fasciste italien MSI fondé le 26 décembre 1946 après l’interdiction du Parti national fasciste.
L’histoire est faite de filiation. François Duprat qui a joué un rôle d’idéologue au sein de l’extrême droite française souhaitait, avec Alain Renault, la création d’un parti néofasciste en France et pensait que le FN pouvait être une médiation vers ce parti. Il rêvait d’un Chili à la française et envisageait la constitution de groupes de combat et suivait avec attention le mouvement chilien « Patria y Liberta ». Les années passent, rien ne change.
Cet idéologie, porteuse de haine, qui veut remettre en cause les syndicats, le droit de grève, le droit d’asile et rêve de préférence nationale est incompatible avec la République. Hier, aujourd’hui comme demain.