📋 Le contexte 📋
La décroissance est un concept à la fois politique, économique et social qui prône la réduction de la consommation. Né dans les années 1970, il s’appuie sur l’idée que la croissance économique (mesurée par des macro-indicateurs tels que le PIB ou le niveau de population) ne garantit pas (voire contrecarre) l’amélioration des conditions de vie de l’humanité.
Selon les acteurs du mouvement de la décroissance, le processus d’industrialisation a trois conséquences négatives : des dysfonctionnements de l’économie (chômage de masse, précarité, etc.) et donc plus d’inégalités, l’aliénation au travail (stress, harcèlement moral, multiplication des accidents, etc.) et la pollution, responsable de la détérioration des écosystèmes et de la disparition de milliers d’espèces animales. L’objectif de la décroissance est de cesser de faire de la croissance un objectif.
En revanche, pour de nombreux économistes, la croissance est perçue positivement. Selon eux, la croissance permet notamment, si la richesse créée est correctement distribuée, une amélioration du niveau de vie des ménages. La Loi d’Okun indique également qu’elle permettrait empiriquement une baisse du chômage et donc de la précarité. Par ailleurs, une corrélation entre la qualité des systèmes de santé et l’espérance de vie d’une part et le PIB par habitant d’autre part serait empiriquement observable.
Peu d’économistes contestent la réalité même des inégalités ou de l’épuisement des ressources naturelles, mais certains contestent avant tout la réponse proposée par la décroissance à ces défis, et estiment que la décroissance n’est ni nécessaire ni souhaitable pour y faire face. D’où ce débat qui se concentre aujourd’hui sur la capacité de la décroissance à réduire les inégalités. Nous reparlerons bientôt de la décroissance pour savoir si elle apporte la meilleure solution aux défis climatiques et environnementaux. On parlera alors de nouvelles notions comme celle de découplage. Affaire à suivre !
Le concept semble s’installer dans l’opinion publique. Dans un sondage réalisé en mais 2020, les deux tiers des Français s’estimaient favorables au concept de la décroissance définie comme la réduction « de la production de biens et de services pour préserver l’environnement et le bien-être de l’humanité ».
Ces dernières semaines, on a vu apparaître de plus en plus souvent le terme de décroissance dans les médias, entre autres lors des débats entre les candidats à la primaire des écologiste en France. Même s’il ne fait pas l’unanimité chez les Verts, le concept était défendu par 2 candidates : Delphine Batho, qui en a fait son axe de campagne, et Sandrine Rousseau. Sandrine Rousseau, arrivée au second tout de la primaire a eu une position claire à ce sujet : l’économiste croit en la décroissance quand celle-ci s’accompagne d’un grand projet social. Lors du débat qui s’est déroulé le mercredi 8 septembre sur le plateau d’LCI, Sandrine Rousseau déclarait : « la décroissance sans un projet social, sans une réforme de la fiscalité, sans une réduction massive des inégalités, sans un contrôle des marchés financiers et un protectionnisme aux frontières, ça n’existe pas »
Alors que presque tous s’accordent pour dire que les inégalités se sont accentuées, nous voulions poser le débat : le modèle de décroissance peut-il réduire les inégalités ?
🕵 Le débat des experts 🕵
Ce qui est sûr, c’est que le modèle économique de croissance, au-delà du fait d’être ni soutenable ni désirable, n’y parvient pas. En effet, celui-ci ne fait que renforcer les inégalités de manière aussi inquiétante qu’il détruit la planète : ainsi chaque année, nous battons de nouveaux records d’inégalité comme nous le montrent, entre autres, les études OXFAM. En 2020, avant la pandémie de Covid-19, ”les 1 % les plus riches possèdent plus de deux fois les richesses de 6,9 milliards de personnes”.
La période qui a suivi, période de récession, c’est-dire de société de croissance sans croissance, n’a fait que renforcer ces inégalités. Les inégalités, avec ou sans croissance, ne pourront être amorties qu’avec des politiques ambitieuses de partage. Et c’est le grand mensonge de la croissance, qui permet de faire accepter des inégalités toujours plus grandes, car on promet un gâteau toujours plus grand donc toujours plus de miettes à redistribuer…
Dans son projet, la décroissance refuse d’abandonner qui que ce soit en dessous d’un seuil de dignité à travers ses réflexions autour de la dotation inconditionnelle d’autonomie
De son côté, la décroissance invite à reposer la question du partage tout en sortant de cette folie auto-destructrice que représente la société de croissance. Dans son projet, la décroissance refuse d’abandonner qui que ce soit en dessous d’un seuil de dignité à travers ses réflexions autour de la dotation inconditionnelle d’autonomie. Une telle dotation propose de définir démocratiquement, en prenant en compte les impacts environnementaux, quels sont nos besoins essentiels. Santé, droit à l’information libre, éducation, logement, nourriture, services funéraires ou encore eau et énergie constituent des biens et services essentiels accessibles à toutes et tous sans condition, de la naissance à la mort. Cette dotation peut être donnée en droit d’accès et de tirage à travers des gratuités, en monnaie locale et aussi en euros.
Mais la décroissance questionne aussi et surtout le sens des limites en proposant un revenu maximum acceptable, au-delà duquel nous dépassons les seuils de soutenabilités mais aussi d’équilibres démocratiques nécessaires au vivre-ensemble. Mais même avec une telle limite, ce ne serait pas suffisant tant les inégalités sont surtout liées au patrimoine hérité. Ainsi il faut ouvrir le délicat débat de l’héritage…
Donc si on est sérieux et réaliste, on sort de la croissance car celle-ci nous amène toujours plus vite droit dans le mur. Le découplage n’existe pas. Mais surtout on s’attaque aux véritables fondements des inégalités, donc la question du partage.
La décroissance économique ne fait que renforcer les inégalités ! En effet, cette situation rime avec la décroissance de l’emploi, autrement dit avec la suppression de nombreux emplois. Alors les jeunes générations ont de grandes difficultés pour s’insérer dans la société et en définitive le chômage et la précarité des jeunes s’accroissent.
Ouvrons les yeux sur la situation de l’Italie, la seule économie développée qui connaisse la décroissance économique depuis la grande crise financière et économique de 2008, avec un recul du PIB de 0,3% en moyenne annuelle sur cette longue période. Le tableau est désespérant : 23% des Italiens sont désormais sous le seuil de pauvreté, plus de 3 millions de jeunes (18-35 ans) sont sans emploi, ne poursuivent pas d’études et ne suivent pas de formation tandis qu’environ 2 millions d’entre eux ont émigré depuis les années 2000.
Dans les autres économies développées (Etats-Unis, Japon et Europe), le ralentissement économique est à l’œuvre depuis le nouveau millénaire à tel point que de nombreux économistes redoutent une future stagnation séculaire, tandis que les inégalités ne font que s’aggraver.
Quant à la France, sa croissance depuis 2008 n’a jamais été aussi faible et là aussi la précarité s’accroit
Le Japon connait la stagnation économique depuis maintenant trois décennies et là aussi la pauvreté et la précarité s’accentuent, surtout pour les jeunes générations. Quant à la France, sa croissance depuis 2008 n’a jamais été aussi faible (environ 0,9% en moyenne annuelle) et là aussi la précarité s’accroit ainsi que le chômage, accentués par la pandémie de 2020.
Bien sûr la croissance économique n’est pas toujours synonyme de réduction des inégalités. Aussi, dans « La Grande Rupture », co-écrit avec Jean-Hervé Lorenzi, nous démontrons la possibilité d’une croissance économique raisonnable, durable et inclusive, compatible avec la nécessité, d’une part de lutter contre le changement climatique par des investissements massifs, et d’autre part de réduire les inégalités. L’obligation est de revoir la répartition des revenus, des richesses, que ce soit au niveau des individus ou des générations.
Notre nouveau paradigme met en lumière tout particulièrement deux répartitions déterminantes pour l’avenir, celle des revenus entre profits et salaires, à rééquilibrer en faveur des salaires ainsi que celle des revenus selon les générations, à rééquilibrer en faveur des jeunes générations.
Seule une nouvelle trajectoire économique et sociale est capable de contrer la défiance et la violence des temps et de réconcilier à l’avenir croissance économique et réduction des inégalités.