Camions bétonneuse

Faut-il souhaiter la fin du béton ?

📋  Le contexte  📋

Le béton est un matériau de construction assemblé de différents composants. Pour en fabriquer, il suffit de mélanger du gravier, du sable et de l’eau avec un liant qui va « coller » l’ensemble (le plus souvent du ciment).

Après avoir chauffé du calcaire, de l’argile et un peu de gypse à plus de 1400 degrés on obtient du clinker. Il suffira de réduire en poudre pour avoir du ciment. C’est le mélange d’eau et de ciment qui va créer cette colle : le mortier. Pour produire 1m3 de béton, il faut 300 kg de ciment, 800 kg de sable, une tonne de gravier et 180 litres d’eau.

Sa malléabilité permet de faire beaucoup de choses, c’est pourquoi il est principalement utilisé dans le secteur du bâtiment (70 % de sa production), de la voirie (20 %) et des ouvrages d’art (10 %). Son omniprésence, il la doit à sa facilité de production et la proximité des matériaux. Aujourd’hui, environ 80 % de nos constructions sont en béton.

Au sens où on l’entend aujourd’hui, soit un mélange de ciment et de granulats, l’histoire du béton commence en Rome antique. Mais ce n’est qu’au XIXe siècle, en pleine industrialisation, que le matériau se démocratise mais reste limité aux ouvrages de travaux publics. En 1852, François Cognet a l’idée de couler du béton sur une armature en acier pour améliorer sa résistance. Cette innovation, le béton armé, permet de construire des bâtiments plus massifs.

Après la Seconde Guerre mondiale, les villes se recouvrent de béton et des multiples déclinaisons apparaissent. Parmi elles, des formes plus solides comme le béton fibré (composé de fibres synthétiques ou métalliques) ou le béton précontraint (avec des câbles en acier sous tension) mais aussi des bétons résistants au gel, autonettoyants, cirés, colorés, translucides ou encore dépolluants.

Sa malléabilité séduit même artistes et architectes au point que le centre-ville du Havre, reconstruit par Auguste Perret de 1945 à 1964 avec du béton armé, est inscrit à la liste du patrimoine mondial de l’Humanité par l’UNESCO en 2005.

Depuis le 14 août 2018 et l’effondrement du pont autoroutier de Gênes, la réputation du béton, considéré comme inébranlable, s’est effritée. D’autant que le viaduc Morandi, avec ses 51 années, était l’un des plus modernes d’Italie. En réaction, une commission d’enquête de 2019 du Sénat français fait état d’ « au moins 25 000 ponts dans un mauvais état structurel qui posent des problèmes de sécurité pour les usagers ». Les causes ? Le vieillissement, l’humidité et le manque d’entretien. En plus de son étonnante fragilité, explorée dans le documentaire « L’envers du béton », il pose aussi question d’un point de vue écologique. Tous ces aspects sont résumés dans le réquisitoire Béton. Arme de construction massive du capitalisme du philosophe Anselm Jappe. Il y dénonce un béton qui unifie le monde et en aliène les habitants. Alors, pour toutes ces raisons, faut-il qu’on abandonne le béton ?

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Le « Pour »
Philippe Rahm
Architecte, Docteur en architecture
Comment le CO2 disqualifie le béton

Le béton est un matériau qui nécessite beaucoup d’énergie pour être fabriqué. En effet, pour faire fondre /déshydrater la pierre calcaire pour en faire sortir du ciment constituant le béton, il faut chauffer la pierre naturelle à de très haute température (vers 1500°C), ce qui ne fut rendu possible que par l’utilisation du charbon, le bois ne permettant pas d’atteindre de telles températures. C’est donc grâce aux énergies fossiles que le béton armé existe, et le problème actuel est qu’en brûlant ces énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole) pour fabriquer du béton, on émet dans l’atmosphère du CO2, un gaz à effet de serre qui provoque le réchauffement climatique et les catastrophes naturelles et sociales qui en découlent.

Il faut donc limiter les émissions de CO2 et c’est pourquoi les architectes aujourd’hui choisissent quand cela est possible du bois, de la pierre, de la terre crue (car ce sont des matériaux de construction qui n’émettent pas de CO2 pour être produit), plutôt que du béton.

Et l’esthétique suit. Aujourd’hui, plus personne (y compris les architectes) n’aime le béton, tout le monde aime le bois et la pierre.

Cela a changé en 2 ou 3 ans. Et c’est un nouveau chapitre de l’Histoire de l’architecture qui s’ouvre à cause du CO2, un nouveau style architectural est en train de naître, que l’on pourrait appeler, après le style moderne, le style Anthropocène. L’architecture et l’urbanisme étaient traditionnellement basés sur le climat et la santé, comme on peut le lire dans les traités de Vitruve, Palladio ou Alberti, où l’exposition au vent et au soleil, les variations de température et d’humidité influençaient les formes des villes et des bâtiments.

Ces causes fondamentales de l’urbanisme et des bâtiments ont été ignorées dans la seconde moitié du XXe siècle grâce à l’énorme utilisation d’énergie fossile par les systèmes de chauffage et de climatisation, les pompes et les réfrigérateurs, qui provoquent aujourd’hui l’effet de serre et le réchauffement de la planète. De même, les antibiotiques et les vaccins apparus à la même époque ont largement résolu les problèmes de santé, permettant aux architectes et aux urbanistes de se concentrer sur les questions culturelles plutôt que physiologiques, esthétiques plutôt que sanitaires.

La lutte contre le changement climatique oblige les architectes et urbanistes à reprendre sérieusement la question climatique afin de fonder leur conception sur une meilleure prise en compte du contexte climatique local et des ressources énergétiques.

De même, la pandémie de Covid-19 nous a rappelé les facteurs sanitaires dans la conception de l’espace urbain et architectural, l’importance par exemple de la ventilation ou dans le choix du cuivre comme matériau de contact.

Face aux défis climatiques et sanitaires du XXIe siècle, nous proposons de reposer notre discipline sur ses qualités atmosphériques intrinsèques, où l’air, la lumière, la chaleur ou l’humidité sont reconnus comme de véritables matériaux de construction, où la convection, la conduction thermique, l’évaporation, l’émissivité ou l’effusivité deviennent des outils de conception pour composer l’architecture.

Le « Contre »
Rudy Ricciotti
Architecte et ingénieur, Grand Prix national d’architecture, Médaille d’or de l’Académie d’architecture, Prix Auguste-Perret de l’Union Internationale des Architectes (UIA), Membre de l’Académie des technologies (Crédit photographie : Mario Sinistaj)
LE BÉTON EN GARDE À VUE bis repetita

Le béton a une image de mauvais fils, voué aux gémonies depuis toujours. Prononcer son nom relève de l’insulte ou de l’outrage à magistrat. Manipulée par les anathèmes sur la bétonisation, l’image du béton est devenue noire. On lui reproche d’être résistant. On lui reproche d’avoir remplacé la pierre. On lui reproche d’incarner notre culture. On lui reproche d’être un matériau politique au-delà des politiques, de faire la guerre. On lui reproche d’être schizophrène, à la fois béton honni et omniprésent dans les HLM. Ignorant totalement le caractère savant, la dimension sociale et le bénéfice économique de cette industrie, personne ne veut comprendre l’intérêt d’extraire le sable à proximité des sites de construction, ni le processus de concassage des résidus du béton dans une optique de recyclage, ni encore l’incontestable bénéfice territorial.

Comme le pain, le béton accompagne toute l’histoire de l’humanité.

On ignore qu’il y a des milliers d’années, le béton avait déjà sa place dans la cité, qu’il existe encore à Rome des ouvrages d’une ingéniosité sans pareil, une coupole composée à la base d’agrégats lourds, s’allégeant progressivement jusqu’au sommet, avec des agrégats plus fins, faits de pierres volcaniques pillées à la porosité réduite par un empilement granulaire maximum, pour résister aux infiltrations. Le panthéon, à l’époque d’Astérix et Obélix, vous rendez-vous compte de la qualité de ce génie romain ?

Les promoteurs font souvent du béton sans intelligence ni invention, ils radotent. Et je ne parle pas des barbares qui défigurent tout comme ils respirent ! Les porcs ! Mais le béton est un vrai matériau précis, d’orfèvrerie et de haute voltige. Sans parler de la dimension sociale, avec de vrais métiers, de vrais savoirs. Il favorise le partage de la mémoire, des connaissances, des ressources. Il permet de défendre les emplois. Une économie responsable, un travail de spécialiste effectué aux yeux de tous, une brigade de compétences, simple en apparence seulement… mais à l’origine de la transmission des savoirs intergénérationnelle.

Au cœur des reproches actuels, le béton aurait une empreinte carbone critiquable, c’est vrai mais ni plus ni moins que l’acier, le plastique, l’aluminium, le verre, l’inox et tous les matériaux recomposés par hybridation de ressources.

De la même manière, alors que les lobbies capitalistes étaient derrière le béton il est aujourd’hui plein pot derrière le bois et en particulier le pin douglas dont la filière de coupes rases produit un vrai désastre environnemental dans l’écosystème. A quel moment, alors que la France pays forestier manque déjà de production, réalisons- nous que la totalité des pays méditerranéens n’ont pas de production forestière. Quand aurons-nous refusé cette hypocrisie de ne pas calculer l’empreinte sur la longueur de durée de vie, intégrant les coûts de transport d’un matériau léger sur un poids lourd au gasoil pour livrer des charpentes préfabriquées venant de l’est pour arriver à Toulouse ? Pour ne parler que du Mucem à Marseille, la majorité des ouvrages verticaux ou horizontaux ont été produits dans un rayon de 50 km.

Et les choses changent rapidement. La matrice cimentaire se fabrique aujourd’hui avec les déchets de l’industrie sidérurgique. Les bétons actuels sont quasiment décarbonés et étendus aux bétons à ultra haute performance, au béton de chanvre, au béton de terre… mais il faut mieux faire… Le processus de recyclage des agrégats est lui très engagé. Le futur c’est le recyclage comme le faisaient les romains il y a 2000 ans. Là est le futur, recycler les poubelles de nos industries comme nous le faisons pour les déchets alimentaires. Et de nombreuses nouvelles entreprises développent déjà un arsenal de technologies environnementales suivant la voie de nos ancêtres.

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