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Le Brexit, une opportunité à saisir
Jerome Creel
Economiste A récemment coordonné L’économie européenne 2016, collection Repères, aux éditions La DécouverteEn tant que citoyen de l’Union européenne et par intérêt certainement, je m’intéresse davantage à l’impact du résultat du référendum sur le projet européen que sur le Royaume-Uni. Deux raisons m’amènent à préférer la sortie du Royaume-Uni à son maintien dans l’Union européenne aujourd’hui.
La première a trait aux concessions faites au Royaume-Uni en février 2016. Le détricotage d’une « Union toujours plus étroite entre les peuples » pour satisfaire les intérêts égoïstes d’un Etat est juste inadmissible. La discrimination à l’encontre des ressortissants européens en ce qui concerne l’accès aux prestations sociales freine leur libre circulation tandis que la protection de la place financière de Londres promeut la libre circulation des capitaux.
C’est oublier que la crise internationale que nous subissons tous depuis 2007 n’est pas venue de la cupidité des bénéficiaires de prestations sociales mais de celle des détenteurs de capitaux. Les concessions faites au Royaume-Uni, et ce ne sont pas les premières, ne sont pas le résultat d’un compromis mais d’une compromission. Une façon d’y échapper est de rendre ces concessions caduques, par la sortie du Royaume-Uni.
La seconde raison a trait au projet européen lui-même. Si le Brexit est rejeté lors du référendum, on imagine bien le soulagement des chefs d’Etat, de gouvernement et des personnalités influentes des institutions européennes. Mais soulagement de quoi ? D’être passés à côté d’une crise grave ? Soulagement pourquoi ? Car le projet européen peut se poursuivre sans vague, le retour du « business as usual » ? Ce serait manquer de jugement.
La crise, grave, est bien présente : chômage élevé avec son lot de désespérance sociale, croissance économique fragile, tensions financières toujours latentes, montée des extrémismes, que faut-il encore pour que la conscience européenne se réveille ?
Il faut un électrochoc, pour concevoir que le projet européen n’est plus un projet ; il est une réalité imparfaite sans projection vers l’avenir.
Si l’on croit encore à la capacité des Etats européens à défendre leurs intérêts communs par des coopérations plus étroites, et j’ai envie d’y croire, la sortie du Royaume-Uni est la seule solution au délitement lent du projet d’Union européenne.
Elle obligera les Etats, les institutions et les citoyens européens à analyser les avantages et les défauts de l’Union européenne actuelle pour tenter de la réformer, de la transformer ou d’y mettre fin.
Dans tous les cas de figure, les Européens auront gagné du temps.
Les raisons de la colère
Certains ont émis l’idée qu’une sortie de la Grande-Bretagne de l’UE serait le catalyseur d’un réveil européen susceptible d’aboutir à une construction plus efficace une fois sorti l’empêcheur de tourner rond, au statut, sous trop d’aspects, particulier. Le Royaume-Uni, un pied dedans un pied dehors, ne s’inscrivant aucunement dans la logique d’une adhésion à la monnaie unique pourrait ainsi légitimement sortir. D’autres voient dans cette séparation une opportunité inestimable de récupérer sur le continent des entreprises qui ont fait du Royaume-Uni leur tête de pont vers le marché unique, la finance et bon nombre d’activités de services.
L’histoire risquerait toutefois d’être bien plus compliquée et beaucoup plus coûteuse pour les uns et les autres. La construction européenne a été l’occasion pour l’économie délabrée qu’était le Royaume-Uni il y a un quart de siècle de se reconstruire. Devenue place financière européenne, la City a drainé investissements massifs et populations qualifiées, des activités de services multiples, elle a manucuré la ville de Londres dont le confort et la qualité de vie occupent une place de choix parmi les grandes capitales européennes, concentrant aujourd’hui 25 % des revenus du pays. En quittant l’Union européenne, c’est sa qualité de tremplin vers le grand marché européen que la Grande-Bretagne mettrait en jeu et, avec elle, une bonne part de ces acquis.
Mais ne nous trompons pas, la probabilité que les membres de l’UE profitent de ce dépeçage est incontestablement faible. Dans le contexte présent d’une Europe malade, ankylosée faute de leader et d’ambition, les retentissements tant politiques, qu’économiques et financiers d’un éventuel Brexit seraient autant de sources additionnelles d’instabilité et de crises de ce côté-ci de la Manche. S’il y a incontestablement une vie possible en dehors de l’UE, défaire les liens est souvent beaucoup plus douloureux que d’en créer de nouveaux, surtout en cas de fragilité extrême comme on peut, sans hésiter, qualifier la situation présente de l’Europe.
Entre 2008 et 2014, la part des Britanniques dont le revenu par tête est passé sous la moyenne européenne s’est accrue de 36 % à 68 %. On comprend mieux la rancœur qui s’exprime à travers les sondages sur le Brexit. Le Royaume-Uni est, avec la France, parmi les économies les plus sévèrement impactées par l’abaissement absolu et relatif du niveau de vie de ses classes moyennes. Il s’agit là d’un terreau bien peu propice à la cohésion nécessaire pour consolider une Europe fragilisée par nombre de différends culturels et politiques. Plus que toute autre maladie, c’est bien d’une répartition de plus en plus inégale de ses revenus et sources de croissance entre les différents pays et régions dont souffre l’Europe. En l’absence de politiques volontaires de rééquilibrage, les inquiétudes que provoquent ces situations ont effectivement de quoi ébranler le fragile édifice européen, avec ou sans Brexit.