Majorité relative à l’Assemblée : un atout pour la démocratie ?

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LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

La majorité relative dont dispose le gouvernement à l’Assemblée nationale a été vécue par certains de ses soutiens comme une véritable catastrophe, alors que d’autres aux extrêmes y ont vu au contraire le signe annonciateur d’une forte instabilité politique qui ne pourrait déboucher à terme que sur une dissolution et donc de nouvelles élections dont ils espèrent bien tirer profit. Il convient pourtant d’apprécier cette situation, qui n’a d’ailleurs rien d’exceptionnel (1), à la lumière de la Constitution du 4 octobre 1958, avant de voir que l’exécutif conserve un certain nombre de moyens destinés à lui permettre de gouverner avec certaines chances de réussite.

Un article de Jean-Louis Clergerie, Professeur émérite des Universités en Droit public 

Il ne faut tout d’abord pas perdre de vue que, malgré les apparences, la Vème République reste avant tout un régime parlementaire, dans lequel gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale qui peut le renverser (art.50), et qui peut également être dissoute par le Président de la République.

Il est vrai que depuis la révision du 6 novembre 1962, qui a mis en place l’élection du Chef de l’Etat au suffrage universel (2), elle tend à se rapprocher d’un régime présidentiel (3) ou pour le moins d’un régime « semi-présidentiel », pour reprendre l’expression utilisée dès le 8 janvier 1959 dans le Monde par son fondateur le journaliste Hubert Beuve-Méry, puis reprise en 1970 par le Professeur Maurice Duverger dans la onzième édition de son célèbre manuel de Droit constitutionnel.

Un régime parlementaire « rationalisé »

Pourtant, dans l’esprit de ses rédacteurs et tout particulièrement de Michel Debré, futur Premier ministre du Général de Gaulle, il s’agissait plutôt d’un régime parlementaire « rationalisé ».

Ce système (4), destiné à corriger les excès du parlementarisme, qui avaient été à l’origine de l’échec de la IVème République, prévoit un certain nombre de dispositions institutionnelles destinées à normaliser les relations entre l’exécutif et le législatif et surtout à diminuer l’influence du Parlement sur l’action gouvernementale, et ce grâce à toute une série de mesures  (limitation du domaine de la loi aux seuls domaines limitativement énumérés par la Constitution, réglementation de la motion de censure, vote bloqué, priorité du gouvernement dans la fixation de l’ordre du jour (5), contrôle de la constitutionnalité des lois …).

Un régime qui change de nature selon les circonstances

La Vème République constitue donc un système hybride, qui présente en effet la plupart des caractères d’un régime parlementaire, mais qui par certains côtés s’apparente également à un régime présidentiel. Il pourra donc paraître changer de nature selon les circonstances politiques. 

Ainsi lorsque le Chef de l’Etat, le Premier Ministre et l’Assemblée nationale sont tous les trois issus de la même majorité politique, il tendra plutôt à apparaître comme présidentiel, alors-que si une seule de ses composantes vient de l’opposition, il deviendra très largement parlementaire. 

Composer avec les oppositions désormais majoritaires

Depuis les élections législatives de 1962, tous les gouvernements de la Ve République ont bénéficié d’une majorité à l’Assemblée nationale, la plupart du temps absolue, mais parfois seulement relative (6).

Telle est d’ailleurs la situation depuis des élections législatives des 12 et 19 juin 2022, quand Emmanuel Macron pourtant confortablement réélu à l’issue du second tour de la présidentielle, le 24 avril 2022, n’a en effet pas réussi à obtenir plus de 245 députés sur 577. Il ne bénéficie donc désormais plus que d’une majorité relative et même si sous la Vème République, l’exécutif dispose d’un certain nombre de prérogatives lui permettant de contourner le Parlement, il devra nécessairement composer avec les oppositions désormais majoritaires à l’Assemblée nationale.

Un retour à la logique parlementaire de la Vème république

La Première Ministre ne pourra d’abord pas avoir systématiquement recours à l’article 49-3 (7), dont l’usage a été très sensiblement restreint depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui ne permet en effet d’y avoir recours que « sur des questions d’ordre budgétaire comme sur le vote d’un projet de loi de finances, de financements de la sécurité sociale ou un projet de loi de finances rectificative » et sur toute autre question « une seule fois par session parlementaire ». Il est en effet loin le temps où Michel Rocard, qui ne disposait d’une majorité relative de 275 députés socialistes, n’avait pas hésité à utiliser vingt-huit fois cette disposition en trois ans (1988-1991) pour permettre l’adoption de textes sans le vote des parlementaires !

Il est en revanche assez peu probable que, compte-tenu des divisions des oppositions, le gouvernement puisse être renversé par une motion de censure (art.49-2), comme le montre l’échec de celle déposée par la gauche qui, le 11 juillet 2022, n’a reçu le soutien que de 146 députés, alors que pour être adoptée, il aurait été nécessaire qu’elle recueille la majorité absolue, soit au moins 289 députés.

Faute de majorité absolue à l’Assemblée nationale, il est également peu vraisemblable qu’il puisse pour « l’exécution de son programme demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi » (art.38§1). Il lui faudrait en effet préalablement obtenir le vote d’une loi d’habilitation fixant le délai pendant lequel le gouvernement pourrait légiférer ainsi ce qui semble pour le moins totalement improbable.

Former avec ses opposants des majorités de circonstance

La seule possibilité qui lui reste alors pour éviter le blocage des institutions est donc de revenir à la logique parlementaire de la Vème République, qui devrait le conduire à former avec ses opposants des majorités de circonstances autour de projets d’intérêt commun, comme en matière de sécurité, de maintien du pouvoir d’achat, d’éducation ou de lutte contre le réchauffement climatique…N’est-ce pas déjà depuis longtemps la règle au sein des municipalités qui très souvent rassemblent des élus de toutes sensibilités et qui parviennent sans trop de difficultés à transcender leur différences pour prendre des décisions utiles à leurs administrés ? En Allemagne, en Italie ou en Espagne, avec il est vrai un système électoral et institutionnel différent du nôtre, il est courant d’avoir recours à des coalitions plus ou moins larges pour légiférer. 

L’assemblée ne sera plus qu’une simple « chambre d’enregistrement »

Ce sera également l’occasion pour l’ensemble des formations hostiles au gouvernement de prouver leur capacité à adopter une attitude constructive au lieu de s’en tenir à dénigrer systématiquement toutes ses propositions et donc de se montrer en capacité de pouvoir gouverner. Comment dans ces conditions comprendre l’attitude des députés du Rassemblement National, qui lors du vote en première lecture du « projet de loi sanitaire », le 12 juillet 2022, en ont rejeté l’article 2 qui prévoyait la possibilité de mettre en place un « passe sanitaire » aux frontières pour les voyages « extra-hexagonaux » depuis ou vers l’étranger, alors même qu’ils sont toujours les premiers à réclamer des contrôles aux frontières ?

Il ne serait alors plus possible de désigner l’Assemblée nationale comme une simple « chambre d’enregistrement », ce qu’elle a malheureusement été pendant trop longtemps. Majorité et opposition y gagneraient sans aucun doute en crédibilité.

Un atout pour la démocratie

N’oublions pas que le mot « Parlement », qui vient du mot « parler », désigne l’endroit où l’on parle, voire où l’on « parlemente » et renvoie à une assemblée délibérative.

Il est donc plus que probable que l’absence de majorité absolue qui fait défaut au gouvernement dirigé par Madame Borne, loin d’être un handicap, pourrait bien constituer un atout pour la démocratie…

Notes de l’auteur

(1) : Par deux fois déjà sous la Ve République, de 1958 à 1962 (198 députés sur 551 pour l’UNR), puis de 1988 à 1993 (275 députés sur 575 pour le PS) le parti du Président, n’a pu s’appuyer que sur une majorité relative à l’Assemblée nationale.

(2) : La première élection présidentielle selon ce mode de scrutin a eu lieu les 5 et 19 décembre 1965.

(3) : Le Président ainsi élu bénéficie d’une forte légitimité qui lui permet de nommer et de révoquer les ministres qui sont donc responsables devant le seul Président, qui cumule les fonctions de Chef de l’État et Chef du Gouvernement.

(4) : La « rationalisation du parlementarisme » avait été imaginée par Boris Mirkine-Guetzévitch professeur de droit russe à partir de son étude des Constitutions adoptées dans les nouveaux pays européens issus du Traité de Versailles, dans les « Constitutions de l’Europe nouvelle » Delagrave Paris 1928.

(5) : Même si depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, le gouvernement n’en définit plus qu’une partie ; cf. supra

(6) : A distinguer des périodes de « cohabitation », qui désigne la situation dans laquelle le Président de la République est tenu de choisir un Premier ministre issu d’une majorité parlementaire qui lui est opposée (comme entre 1986 et 1988, 1993 et 1995, et 1997 et 2002).

(7) : Les parlementaires ont la possibilité de s’opposer au texte sur lequel le gouvernement engage sa responsabilité, en déposant et en adoptant une motion de censure, qui entraîne la démission du gouvernement.

(8) : Cf. Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, JORF, n°171 du 24 juillet 2008.

(9) : Selon l’expression utilisée par le Président de l’Assemblée nationale, le 8 janvier 1961, qui avait alors déclaré : « L’Assemblée ne saurait devenir une simple chambre d’enregistrement ».

(10) : Ainsi « l’ Assemblée européenne » créée par le Traité de Rome en 1957 est-elle devenue en 1986 « Parlement européen » après avoir acquis certains pouvoirs de décision avec l’AUE en 1986.

 

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