Pour ou contre la suppression de l’ENA ?

Débat suppression ENA
1962 - Classe de l'ENA Promotion Saint Just

Numéro 1

S’informer

Qu'est-ce que l'ENA ?

Créée par le Général de Gaulle en octobre 1945, l’École nationale d’administration se donne pour mission de « démocratiser l’accès à la haute fonction publique et de professionnaliser la formation des hauts fonctionnaires ». Ces derniers sont notamment destinés à travailler dans le domaine de la gouvernance publique et de l’administration. L’école forme également aux questions européennes et à la préparation aux concours d’entrée dans les institutions européennes.

En comptant les formations initiales, courtes et continues ainsi que les cycles internationaux, l’ENA accueille environ 11 000 personnes par an.

Sources : ENA

Qui sont les énarques ?

On appelle les énarques les élèves présents dans l’école. Aujourd’hui, plusieurs énarques sont devenus des politiciens majeurs de la 5ème République. On compte aujourd’hui quatre présidents de la République (Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, François Hollande et Emmanuel Macron), huit Premiers ministres, de nombreux ministres et secrétaires d’État.

Pourquoi sa suppression fait débat ?

Source de critique depuis sa création, l’ENA est souvent associée à l’image d’une école élitiste et technocrate. Très prestigieuse dans l’enseignement supérieur en France, ces détracteurs lui reprochent de nourrir une séparation entre les « élites » et la population. Certains critiquent également son inadaptation au monde actuel et son manque d’ouverture.

Aujourd’hui, la question de sa suppression ou de sa transformation est au cœur des débats, notamment depuis que le président Emmanuel Macron a évoqué son intention de la supprimer.

Numéro 2

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LE « POUR »
Tribune de Michel ZumkellerTribune de Pierre Morel À L'Huissier

L'ENA creuse le fossé entre les citoyens et l’Etat

Billet rédigé par :

Michel ZUMKELLER

Député du Territoire de Belfort

Le sujet de la prédominance des hauts-fonctionnaires et d’hommes politiques issus de l’ENA, pose avant tout la question d’une formation standardisée et de l’émergence d’une pensée unique. C’est pour la première fois en octobre 2015 que j’ai déposé une Proposition de Loi qui avait pour but de supprimer l’ENA. 4 ans après, il semble que la profonde déconnexion du peuple avec ses élites, nécessite encore plus cette remise à plat des modes de fonctionnement de notre haute administration.

L’ENA n’est plus adaptée aux nouveaux besoins de la société

En effet, en 1945, la création de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) avait essentiellement pour objectif de démocratiser le recrutement des hauts fonctionnaires et de reconstruire le pays par la planification économique. Or, soixante-dix ans plus tard, l’ENA semble loin d’avoir répondu aux attentes de ses pères fondateurs et son adaptation aux nouveaux besoins de la société Française est de plus en plus contestée et contestable. L’opportunité du maintien de cette école est remise en cause depuis un certain nombre d’années. Des hommes politiques de tous horizons, souvent eux-mêmes énarques, se sont prononcés en faveur de sa suppression, à l’instar de Jacques CHIRAC qui définissait l’ENA « comme le symbole d’une élite qui a failli, d’une caste qui se coopte » ou bien encore de Laurent FABIUS qui a évoqué « un système malsain et refermé sur lui même ».

L’ENA contribue à une uniformisation de la pensée

En 1999, les députés François GOULARD et Renaud MUSELIER ont déposé une proposition de loi tendant à la suppression de l’Ecole Nationale d’Administration. L’harmonisation de la haute fonction publique a peu à peu cédé la place à une uniformisation de la pensée. La prédominance des énarques s’étend du plus haut sommet de l’Etat, jusqu’à la direction des grands groupes publics ou privés. Formés pour remplir des fonctions administratives au service de l’Etat, les énarques interviennent aujourd’hui dans de nombreux secteurs d’activité marchande où leur formation initiale est largement inadaptée.

Sa suppression ouvre d’autres portes et renouvelle la pensée de la Haute fonction publique

Alors que notre pays est engagé dans une lutte mondiale sans merci au plan économique, est-il encore cohérent de confier notre avenir à des diplômés sortant d’une école d’administration ? Cette concentration des élites accroît le divorce entre secteur public et privé et creuse encore davantage le fossé entre les citoyens et l’Etat. A l’heure d’internet et de la mondialisation, la France ne peut plus accepter de voir l’élite de sa jeunesse se tourner vers une école qui apprend à faire fonctionner une économie administrée et rigidifiée. Mais la suppression de l’ENA ne doit pas être seulement un affichage politique, c’est une chance pour ouvrir au plus grand nombre les portes de la Haute fonction publique et surtout de diversifier les modes de pensées au sein de notre administration.

Pour un retour à la réalité de la haute fonction publique

Billet rédigé par :

Portrait de Pierre Morel-À-L'Huissier

Pierre Morel À L’Huissier

Député de la Lozère, Secrétaire de la Commission des lois

https://www.nosdeputes.fr/pierre-morel-a-l-huissier

La crise des gilets jaunes aura fait une victime inattendue. Véritable serpent de mer, la suppression de l’ENA a été annoncée par le Président de la République dans son discours du 25 avril dernier. Maintes fois préconisée, cette mesure n’avait jamais été mise en application, faute de volonté – ou de pouvoir le faire, tant les énarques pèsent lourd dans la haute administration.

Bâtir quelque chose qui fonctionne mieux

La question n’est pas tant de savoir si la suppression de l’ENA est en soi une bonne ou une mauvaise chose. Bien entendu, il existera toujours, sous une forme ou sous une autre, une école de formation des hauts cadres de la République : il est question de « bâtir quelque chose qui fonctionne mieux », sans que l’on ne sache encore précisément ce qui devrait en sortir.

Faire revenir la haute administration à la réalité

Il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’une opportunité historique, et presque vitale pour l’avenir de notre pays : faire revenir la haute administration française ( parisienne ? ) à la réalité. Depuis trop longtemps, les hauts fonctionnaires n’ont aucun lien avec la vie de l’immense majorité de leurs compatriotes, les habitants des zones défavorisées, rurales, tout simplement trop éloignés de là où se prennent les décisions. A force de vouloir des cadres aptes à s’adapter à tous les secteurs d’intervention de l’Etat, généralistes en tout mais spécialistes en rien, on a créé une catégorie de décideurs publics totalement hors-sol. Connaissent-ils réellement le pays qu’ils administrent ? Combien d’entre eux seraient capables de situer des villes comme Mende ou Vezoul ?

Une nouvelle école pour remettre les réalités du pays au cœur de la machine décisionnaire

Quel que soit son nom, la future école qui formera les hauts fonctionnaires devra répondre à une question, majeure, et qui ne trouve pas de réponse en France depuis plusieurs décennies : est-elle capable de remettre la réalité au cœur de la machine décisionnaire française ?

La déconnexion entre les français et leurs « élites » explique à elle seule beaucoup des derniers développements de l’histoire récente de notre pays. Et trouve une résonnance toute singulière dans la crise des gilets jaunes. Tout compte fait, la victime n’est peut-être pas aussi inattendue… Reste à savoir si toute les leçons seront tirées de cet épisode. Député de Lozère depuis 17ans, enraciné dans une partie du territoire souvent oubliée, je me propose d’ores et déjà d’accueillir les futurs élèves pour leur stage d’immersion longue durée…

LE « CONTRE »

Tribune de Cédric Passard...

Supprimer l’ENA ne résout rien !

Billet rédigé par :

Cédric Passard

Maître de conférences en science politique, Sciences Po Lille - Ceraps

Créée en 1945 dans le but d’unifier le recrutement des hauts fonctionnaires et de le démocratiser, l’Ecole Nationale d’Administration est, depuis longtemps, l’objet de critiques variées concernant tant ses procédures de sélection qui favoriseraient la reproduction sociale et le conformisme, que l’inadéquation de sa formation ou encore la place excessive prise par ses élèves dans la vie politique et économique.

Le risque : favoriser le népotisme et le clientélisme dans le recrutement de la haute fonction publique

Ces critiques sont loin d’être infondées, même si elles peuvent s’appliquer à bien d’autres grandes écoles qu’à la seule ENA. Cela justifie-t-il, pour autant, la suppression de celle-ci ? Sans une Ecole Nationale d’Administration (quel que soit son nom…), le risque est d’ouvrir la voie à un recrutement politique de la haute fonction publique, de favoriser le népotisme et le clientélisme qui prévalaient avant sa création. Sacrifier l’ENA aurait donc valeur de symbole, à forts profits politiques sans doute, mais une telle décision, si elle se confirmait, ne résoudrait pas les maux dont l’école est accusée, au contraire. Elle pourrait en effet accroître les tendances à la managérialisation de la fonction publique et profiter surtout aux business schools dont les anciens élèves sont déjà de plus en plus présents dans les cabinets ministériels notamment. Plutôt qu’abolir l’ENA, il paraît donc plus judicieux de chercher à la réformer.

Il ne faut pas la supprimer mais la réformer davantage

Des changements sont d’ailleurs déjà intervenus pour adapter le contenu de la formation ou pour l’internationaliser notamment, ils peuvent être sans doute prolongés et approfondis. Mais ce sont surtout les modalités et les voies d’accès à l’école qui devraient être repensées : un concours pour les titulaires d’un doctorat en sciences humaines et sociales ou en sciences de la matière et de l’ingénieur a récemment été créé, mais cela reste encore trop marginal pour pouvoir élargir vraiment les profils des étudiants.

La « fabrication » des énarques se fait déjà avant l’ENA

Il faut aussi être conscient qu’une telle réforme est tributaire des modes de formation et de sélection préalables : c’est bien avant l’entrée à l’ENA que sont « fabriqués » les énarques… En ce sens, la réforme de l’ENA, quoique nécessaire, ne peut suffire si elle ne s’accompagne pas de réformes de plus grande ampleur pour démocratiser le système scolaire dans son ensemble, revaloriser le sens du service public et limiter des pratiques comme le « pantouflage » ou, plus généralement, les formes d’interpénétration des élites administratives, politiques et économiques que favorise notre système institutionnel.

Billet rédigé par :

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