Dans sa version longue ; « Faut-il systématiser les consultations citoyennes sur internet lors d’un projet ou d’une proposition de loi ?«
Le contexte
Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Oui, il faut systématiser les consultations citoyennes
Patrice Martin-Lalande
Député à l’origine de la proposition de loi
Tous les aspects de notre vie en société sont transformés par l’internet. Il conduit à une révolution mondiale de l’information et de l’organisation du travail. Il permet à chacun d’être récepteur et émetteur d’un nombre illimité d’informations et d’expertises. Il tend à faire du “collaboratif” le mode normal d’organisation du travail.
L’internet redéfinit puissamment la vie politique en rendant technologiquement possible la nouvelle aspiration des citoyens à y jouer un rôle sans intermittence. Je crois que cette révolution peut être un instrument de mutation positive. En permettant une participation sans précédent des citoyens au processus de préparation et d’évaluation de la décision politique. Et en contribuant ainsi à retisser le lien de confiance distendu entre les citoyens et leurs représentants.
Le vrai enjeu pour le Parlement, c’est en fait de choisir ou de subir ce changement. Le Parlement français veut-il subir cette évolution, en laissant à la seule société civile le soin de la conduire ? Veut-il rester simple spectateur de sa mutation historique ?
Je ne le crois pas. J’ai donc déposé à l’automne 2016, avec une cinquantaine de collègues députés, une proposition de loi organique “généralisant la consultation publique en ligne, par l’internet, sur les textes de loi avant leur examen par le Parlement”. Cette proposition de loi ne remet en aucune manière en cause la légitimité du Gouvernement à initier et à amender la loi. Ni celle du Parlement à l’initier, à l’amender puis à la voter. Comme il en a seul le pouvoir hors référendum ou ordonnance.
Mais en apportant un supplément de participation dans notre démocratie représentative, la généralisation de la consultation publique en ligne doit permettre plusieurs avancées.
Elle doit d’abord permettre d’ouvrir et d’enrichir le débat sur les futures lois suffisamment en amont de la discussion parlementaire – au lieu de se contenter d’un débat de dernière minute.
Elle doit ensuite permettre au Parlement d’avoir connaissance et de prendre en compte des expertises nouvelles dans une démarche de “co-préparation” de la loi. Dans l’hypothèse d’un projet de loi, le législateur bénéficie d’une expertise plus large que la seule expertise officielle mobilisée par le Gouvernement. Et dans le cas d’une proposition de loi, le législateur bénéficie d’une expertise suppléant l’absence d’expertise administrative et l’absence d’étude d’impact.
La généralisation de la consultation publique en ligne doit aussi permettre une plus grande transparence du débat législatif et du processus d’élaboration des normes. En donnant à tous ceux qui veulent faire passer aux parlementaires des critiques et des propositions le moyen de les exprimer publiquement et de façon contradictoire. Les parlementaires pourront ainsi inviter tous ceux qui s’adressent à eux individuellement à déposer leur contribution sur le site de la consultation en ligne.
Elle doit enfin permettre l’organisation d’une réponse aux principales critiques et propositions émises dans un cadre contradictoire, ce que ne garantit pas pour l’instant l’interpellation individuelle des parlementaires par les particuliers ou par les groupes de pression.
Pour toutes ces bonnes raisons, généraliser la consultation publique en ligne, c’est construire la démocratie à l’ère numérique.
Contre la systématisation des consultations via Internet sur tous les projets et propositions de loi
Dominique RAIMBOURG
Député
Président de la Commission des Lois
Nos institutions et fonctionnements démocratiques sont en crise, contestés. Le Parlement, qui devrait être le cœur battant de la démocratie n’est pas perçu comme tel et ne permet donc pas au peuple de se représenter en lui. Et cela malgré des avancées réelles en quelques années avec la parité, le non cumul ou encore la transparence.
Nos institutions et celles et ceux qui y exercent temporairement un mandat issu du suffrage populaire, doivent avancer plus avant dans la rénovation et la réforme de leurs structures et de leurs pratiques.
Parmi les pistes explorées depuis la présente législature, figure en bonne place l’organisation de consultations populaires associées à l’examen de projets ou de propositions de lois. Des parlementaires l’ont fait volontairement sur des textes qu’ils présentaient ou dont ils étaient rapporteurs pour leur commission. La présidence de l’Assemblée nationale a porté de telles consultations sur des projets de lois, ainsi que le Gouvernement.
Ces démarches sont à ce stade expérimentales. De nombreux collectifs citoyens ont vu le jour dans ce domaine du renforcement de l’exercice de la citoyenneté par les citoyennes et citoyens, notamment via la promotion d’une participation citoyenne au processus législatif.
Pour avoir expérimenté cela, j’ai pu constater les fortes potentialités de ces consultations pour améliorer le diagnostic préalable à l’étude d’un texte, ainsi que pour améliorer les dispositions d’un texte, cela grâce à la diversification des points de vue qui sont ainsi pris en compte. Les consultations peuvent ainsi ouvrir le travail législatif aux citoyens « non organisés », sachant que le travail parlementaire est déjà très ouvert et à l’écoute de la société civile « organisée » (associations, syndicats, universitaires, professionnels, etc.).
Mais pour que de telles consultations soient utiles, pour que les paroles des citoyennes et citoyens soit effectivement prises en compte, pour ne pas dévaloriser ces démarches et tromper les citoyens, il faut notamment que les parlementaires en charge de l’examen d’un texte estiment avoir le temps nécessaire à une telle consultation, soient réceptifs à celle-ci, que le texte soit adapté aux conditions d’une telle procédure, etc.
Par ailleurs, il ne saurait être question de réduire la question de l’ouverture du parlement aux citoyens aux seules communications web.
Enfin, ces procédures de consultation sont à l’évidence en cours de conception et d’expérimentation, il faut laisser le temps et l’espace, notamment aux citoyens eux-mêmes, de concevoir, de développer et d’expérimenter ces nouvelles modalités d’une citoyenneté enrichie, plus exigeante.
Ce sont quelques-unes des raisons pour lesquelles je suis favorable au développement volontariste et fort de ces consultations, mais dans un cadre gardant la souplesse de l’expérimentation, et ne s’enfermant pas dans uns systématisation illusoire et réductrice.