La « casse » est-elle un moyen d’action légitime ?

Numéro 1

S’informer

Qu'est-ce que la casse ?
La casse est un mode d’action visant à détruire des biens matériels ciblés et identifiés comme ennemis. Elle vise en théorie des symboles assez précis : l’Etat par les Forces de l’ordre, bâtiments gouvernementaux, caméras de vidéo-surveillance et le capitalisme par les banques, assurances, agences immobilières, sociétés multinationales mais aussi des grandes surfaces, chaînes de fast-food, publicité…

Ce mode d’action ne cherche pas « à s’attaquer aux personnes, aux petits commerces, aux habitations et aux biens collectifs indispensables » même si certaines déviances existent parfois.

On rapproche souvent la casse aux méthodes d’inspiration anarchiste. Celles-ci utilisent ainsi divers moyens qui sortent du « terrain légal » pour provoquer une prise de conscience populaire.

Elle s’exprime le plus souvent durant des manifestations.

Sources : Paris Luttes, Wikipédia

Qu'est-ce qu'un Black Bloc ?
On associe généralement les actions de casse à la tactique des « Black Blocs », même si tous ne vont pas forcément « casser ». Ceux-ci forment un ensemble de personnes habillées en noir, cagoulées de façon à ne pas être reconnaissables.

Ceux-ci ne forment pas un groupe militant, le mouvement se forme juste le temps d’une manifestation. Les idéologies de chacun peuvent être très différentes. Ils peuvent ainsi être politisés ou non, syndiqués ou non.

Sources : Paris Luttes, Wikipédia, Konbini (Par La ZEP)

Pourquoi on en parle en ce moment ?
Les actions de casse comme la tactique des « Black Blocs » font souvent parler d’elles.  On retient dernièrement les manifestations contre la Loi travail, les mobilisations contre l’aéroport de Notre Dame des Landes ou la casse d’un Macdo pendant les événements du 1er mai à Paris.

Ces méthodes d’action font toujours débat, notamment au sein des mouvements altermondialistes et non-violents. Ceux-ci leur reprochent principalement d’être « contre-productifs », de saborder le message final et de freiner les résultats. Ces actions sont également condamnées par de nombreux politiques, à gauche comme à droite. Dernièrement, une loi contre les casseurs a été adoptée par le Sénat. Pour autant, des politologues et sociologues réfléchissent de plus en plus à la notion de non-violence, qui selon eux pourrait être inefficace dans certains cas.

C’est pourquoi nous trouvions intéressant de poser la question de la légitimité de « la casse » comme mode d’action. Découvrez maintenant les arguments POUR et CONTRE !

Numéro 2

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LE « POUR »

La violence symbolique de la casse est insignifiante par rapport aux violences systémiques

Billet rédigé par :

Corto Déter

Militant antifasciste

La casse, dans des situations de conflictualité, comme les manifestations ou les émeutes, fait ressurgir une certaine forme de violence (concept difficilement définissable en lui-même).

Dans notre société d’images, cette violence apparaît certes comme spectaculaire mais est immédiatement disqualifiée en tant que moyen d’action légitime, presque par principe, par les dominants. Ce tabou autour de la violence est relativement récent dans notre société (30 ans environ) et a pour objectif de nous faire oublier que toutes les luttes progressistes qui ont abouti sont passées par des phases de violence (autrement plus significative que la casse).

La casse est un moyen d’action politique, dans les quartiers populaires comme dans les luttes sociales, qui attire l’attention des médias tout en désignant l’adversaire (multinationales, banques, assurances…) et ses défenseurs (police, gendarmerie). Elle est toujours présentée par les médias mainstream comme un ensemble d’actes nihilistes commis par des barbares ignorants.

Dans une situation de conflictualité me paraissent légitimes ceux qui luttent. Or l’inefficacité des mouvements sociaux, qui utilisent comme unique moyen légitime et de manière dogmatique une voie non-violente, interroge.

L’histoire nous montre que la seule stratégie non-violente (en plus d’être en elle-même inefficace, raciste, patriarcale et étatiste[1]) est un leurre.

Dans les luttes sociales récentes (par exemple contre la loi Travail) a émergé ce qu’on appelle un «cortège de tête» utilisant en son sein une tactique (le black bloc) qui facilite l’expression par la casse (ou le graf). Respectée comme faisant partie d’une stratégie dans sa diversité, la casse ne se produit que si l’entourage l’approuve, et par là même la légitime. Or ce mouvement ne fait que croître, malgré ou à cause d’une répression ultra-violente des forces de l’ordre, justice, médias… et se radicalise. Il délégitime de fait les pratiques imposées de manière autoritaire par les organisations traditionnelles.

Solidaire, ce mouvement gagne en maturité en ne mettant pas en danger les plus opprimés (les sans-papiers par exemple).

La violence symbolique que représente la casse est insignifiante par rapport aux violences systémiques (moins visibles dans leurs formes et leurs logiques[2]) et oppressions diverses (racisme, sexisme, impérialisme, capitalisme, l’Etat et mode de vie culturellement écocidaire). La brutalité de la répression sous toutes ses formes (police, justice, médias) des luttes (sociales, des quartiers populaires et ZAD) met en doute la légitimé d’un gouvernement qui utilise de telles méthodes.

Alors que (sans compter la torture, l’humiliation et les violences quotidiennes) meurt en moyenne un.e racisé.e tous les mois sous les coups de la police en toute impunité, voir les images de la casse d’un McDo (œuvre de salubrité publique) en boucle avec leur lot de commentaires haineux sur « les casseurs » m’écœure et me met en colère.

Concernant la casse et sa dite « violence », je citerai cet excellent graf (vite repeint) éminemment politique : « Une pensée pour les familles des vitrines ».

[1] GELDERLOOS Peter, Comment la non-violence protège l’Etat, Editions libre, 2018

[2] CUSSET François, Le déchainement du monde, La Découverte, 2018

LE « CONTRE »

Si la colère est compréhensible, casser est illégitime

Billet rédigé par :

Philippe Cherpentier, avec le Comité d’Animation du Mouvement pour une Alternative Non-violente

Membre du Comité d’Animation du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN)
https://nonviolence.fr/

Lors des manifestations il arrive que des vitrines de magasins, du mobilier urbain, des véhicules, soient cassés, dégradés. Il nous semble compréhensible et même sain de ressentir de la colère face à une injustice, face au non-respect des droits humains, aux exclusions et aux discriminations, mais aussi face à l’usage excessif de la « violence légale » des forces de police. Cette colère est légitime. Cela ne rend pas pour autant légitimes toutes sortes de manifestations de cette colère.

Pour qu’une action soit « légitime », quelle que soit la définition admise du mot, elle doit être au minimum acceptable, même si elle est illégale. Acceptable signifie qu’elle est comprise et non condamnée par une proportion importante de la population. Elle est alors susceptible d’être reconnue comme étant tolérable du point de vue de la justice, voire à terme, de devenir légale, ou bien de faire bouger la loi.

C’est ce qui s’est passé, par exemple, pour les « Faucheurs Volontaires d’OGM ». Faucher un champ de maïs transgénique est assimilable à de la casse. Pourtant les actions des Faucheurs Volontaires ont été considérées comme « légitimes » puisqu’elles ont abouti à l’interdiction de la culture en plein champ des plantes génétiquement modifiées. Toutefois, ces actions répondent à des critères bien spécifiques qui en font des actions de désobéissance civile :

– actions collectives à visage découvert, et nommément revendiquées.

– le matériel endommagé (ici des pieds de maïs transgénique) est strictement ciblé.

– l’objectif est d’aller devant la justice pour faire d’un procès une tribune et tenter de prouver l’iniquité de la loi en place, pour plaider la légitimité de ces actions et aboutir à une évolution de la loi dans le sens des revendications.

Ces critères très précis d’une action de désobéissance civile ne sont pas ceux que l’on retient, en général, quand on parle de « casse » dans les manifestations.

Les personnes qui « cassent » lors de manifestations le font la plupart du temps masquées et sans aller ensuite le revendiquer. Si certaines cibles sont précises, par exemple vitrines des banques, les dégâts « collatéraux » sont souvent importants : véhicules automobiles, mobilier urbain, devantures de magasins… Ces actions sont souvent davantage médiatisées que la cause défendue elle-même, elles ne sont pas comprises par la population, car sans rapport immédiatement logique avec les revendications. Par ailleurs, elles sont évidemment ressenties comme injustes et violentes par celles et ceux qui en sont victimes.

Il se trouve que la société française est de plus en plus intolérante à la violence, au gaspillage et à la pollution. Il en résulte que des dégâts matériels considérés il y a quelques années comme anecdotiques, sont ressentis aujourd’hui comme violents et inadmissibles, d’autant plus s’ils sont commis à l’occasion de manifestations annoncées comme non-violentes.

C’est pourquoi nous considérons comme illégitime et contre-productive la casse pendant les manifestations.

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