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Violences policières : faut-il restreindre l’usage de la force ?

📋  Le contexte  📋

Le maintien de l’ordre est assuré par des forces de sécurité dont la police et la gendarmerie sont les deux principales. Il comprend d’une part des opérations de service d’ordre public (accompagner et encadrer des actions collectives), et d’autre part des opérations visant à contenir des actions qui présentent un risque de débordements.

Le maintien de l’ordre repose sur trois principes :

  • la mise à distance des manifestants (éviter le contact forces de l’ordre/manifestants en employant des dispositifs d’éloignement tels que des grenades lacrymogènes) 
  • l’intervention des forces de sécurité collective et sur ordre (éviter des réactions individuelles disproportionnées)
  • l’usage de la force conditionné à la nécessité (principes de gradation et de réversibilité : c’est-à-dire la proportionnalité de l’usage de la force et la capacité à interrompre l’usage de la force dès qu’elle n’est plus nécessaire). 

En France, le maintien de l’ordre doit permettre l’exercice de la liberté de manifester tout en prévenant les atteintes à la sécurité des personnes et des biens.

Source : Assemblée Nationale ; The Conversation

A partir des années 2000 un glissement s’est opéré dans la gestion des troubles à l’ordre public : les flashballs par exemple, dédiés à la légitime défense dans les années 90, se généralisent (pendant les émeutes de 2005 par exemple). En 2014, l’usage de la grenade offensive est interdit suite à la mort de Rémi Fraisse pendant les manifestations du barrage de Sivens.

En 2018, le mouvement des gilets jaunes prend une forme différente des manifestations habituelles (absence de déclaration, parcours évolutifs…). Au cours de celles-ci, la légitimité de certaines armes est remise en cause. On se souvient du débat autour des lanceurs de balles de défense (LBD) -actuellement prohibés en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Belgique- qui sont à la source de nombreuses blessures parmi les manifestants. Plusieurs collectifs et notamment le journaliste David Dufresne vont alors compiler le nombre de blessures et récolter des témoignages de blessés sur les réseaux sociaux. Peu à peu, les mouvements gilets jaunes rejoignent les revendications de leurs prédécesseurs sur les violences policières comme le Comité Vérité et Justice pour Adama, créé à la suite de la mort d’Adama Traoré (décédé lors d’une interpellation en juillet 2016).
A côté de cela, des témoignages des forces de l’ordre émergent pour dénoncer la haine de la population envers leur métier et leurs conditions de travail « deshumanisantes ».

L’occasion pour nous d’ouvrir le débat sur le sujet. Découvrez les tribunes !

Sources : Libération ; Davduf ; Le Monde

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »
Aline Daillère
Consultante et chercheuse, spécialiste des questions police-justice
Un autre maintien de l'ordre est possible

Les derniers mois ont offert l’occasion de questionner les moyens employés en France pour maintenir l’ordre lors des manifestations. Historiquement fondée sur l’idée que l’intervention de la police ne devait pas générer des désordres plus grands que ceux auxquels elle tentait de mettre fin, notre doctrine du maintien de l’ordre s’est longtemps fixée pour principe le retardement des actions coercitives. Il s’agissait alors de « montrer sa force pour ne pas avoir à l’exercer ». La situation a cependant bien évolué depuis. Le recours à la force est aujourd’hui perçu comme inévitable pour garantir l’exercice du droit de manifester.

La France n’est pas confrontée à un niveau de violence inédit qui justifierait ce degré

Pourtant, est-il réellement nécessaire, pour maintenir l’ordre, de recourir à ce degré de force-là ? L’utilisation d’armes telles que le lanceur de balle de défense et les grenades de désencerclement est-elle le moyen le plus efficace de rétablir l’ordre public en manifestation ?

À ces questions, d’autres pays ont répondu par la négative. Contrairement aux arguments souvent entendus, la France n’est pas confrontée à un niveau de violence inédit qui la placerait dans une situation d’exception au regard de ses homologues européens et justifierait à elle seule l’emploi d’armes qu’aucun d’eux n’accepte de mettre entre les mains de ses forces de sécurité. Eux-aussi confrontés à des mouvements de violence importants dans certains de leurs cortèges, plusieurs pays ont profondément refondé leur approche du maintien de l’ordre.

La France s’est tenue à l’écart de la doctrine unifiée de maintien de l’ordre en Europe

D’importants travaux de recherche ont ainsi été conduits en Europe en vue de construire une doctrine unifiée de maintien de l’ordre. Basé sur l’observation et l’étude de « bonnes pratiques » dans neuf pays (1), ce projet d’envergure a abouti en 2013 à la définition d’un modèle commun, dont la France s’est jusqu’ici tenue à l’écart. Visant à permettre la désescalade des tensions, il préconise de minimiser les violences collatérales, inutiles ou dangereuses et de construire et entretenir un dialogue permanent avec la foule.

Une méthode contre-productive qui creuse le fossé entre police et population

Le modèle français suit pourtant une direction radicalement opposée à celle de nos voisins européens. Loin d’apaiser les tensions et de garantir la protection de l’ordre public et des libertés fondamentales, il se révèle au contraire être contre-productif sur les court, moyen et long termes. Repenser en profondeur le modèle du maintien de l’ordre français semble désormais être une nécessité absolue, au risque de creuser de manière durable le fossé entre police et population et de générer des tensions plus grandes encore.

 

(1) Les neuf pays suivants ont participé au projet « GODIAC » : Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Hongrie, Portugal, Royaume-Uni, Slovaquie, Suède.

 

Le « Contre »
Benoit Barret
Secrétaire national adjoint Province Alliance Police Nationale
Un usage de la force de circonstance

La notion de maintien de l’ordre est profondément modifiée depuis ces dernières années, et les derniers mois émaillés par la crise des Gilets Jaunes et les débordements n’ont fait qu’amplifier les difficultés de gestion. Aujourd’hui on ne peut plus parler de manifestation, puisque cette notion juridique implique des règles, notamment de déclaration et surtout un fondement revendicatif. Or actuellement le mot d’ordre est « la convergence des luttes ». Ces luttes sont systématiquement accompagnées de violences et de dégradations.

La force est toujours employée dans un cadre légal

Dans ce cadre et exclusivement dans ce cadre le rétablissement de l’ordre, puisque l’on ne parle plus de maintien, l’usage de la force est de circonstance. La force est toujours employée dans un cadre légal et reposant sur trois grands principes : la légitimité, la nécessité et la proportionnalité. 

Le respect de ces trois principes répondent à eux seuls à la question, puisque les policiers ne font que répondre à des agressions commises à leur encontre.  De plus, l’usage de la force est toujours graduée ce qui doit permettre une » désescalade ». Outre un dispositif humain qui a pour première vocation de dissuader les débordements, les sommations qui sont prononcées le sont justement pour éviter l’usage de la force. Or malheureusement ces deux premières étapes ne suffisent plus tant la volonté d’affrontement contre les forces de l’ordre est intense.

L’usage des moyens de défense intermédiaire est toujours proportionné aux agressions

Enfin l’usage des moyens de défense intermédiaire est toujours proportionné aux agressions. Il s’agit du recours ultime imposé par les circonstances.

Les policiers font preuve de courage et de sang froid, la majeure partie des donneurs de leçon n’ont jamais été confrontés à la haine et à la volonté farouche d’en découdre.  

Il faut prendre conscience de l’ultra violence quotidienne contre les forces de l’ordre

Avant de parler de restreindre  l’usage de la force « légitime » il est temps de prendre conscience de l’ultra violence quotidienne qui se manifeste dans les attroupements et se focalise contre les forces de l’ordre, dernier rempart de la société.

Restreindre l’usage de la force pour le maintien de l’ordre c’est l’assurance de débordement encore bien plus importants et incontrôlables.

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