Faut-il encourager l’accouchement à domicile ?

📋  Le contexte  📋

Aujourd’hui le lieu de naissance par excellence est la maternité. Elle se divise en trois catégories : 

  • Type 1 : Elles peuvent gérer des urgences. Les femmes dont la grossesse ne présente aucun problème identifié accoucheront dans des maternités de niveau 1. Il y a une unité d’obstétrique, spécialité médico-chirurgicale pour la grossesse et l’accouchement. Les bébés atteints d’affections sans gravité et ne nécessitant pas une hospitalisation en unité de néonatologie peuvent y être pris en charge même s’il n’y a pas de service de pédiatrie dédié.
  • Type 2 : Les maternités de niveau 2 sont divisées en deux types. Les femmes vivant des grossesses à risque modéré et les bébés ayant besoin d’une surveillance plus importante y seront orientées.
    •  2A : Elles accueillent les bébés nés dont la prématurité est supérieure à trente-trois semaines d’aménorrhée – le temps pendant lequel la mère n’a pas ses règles – avec un poids d’au moins 1 500 grammes. Elles proposent un service d’obstétrique et de néonatologie sur le même site. 
    • 2B : Elles proposent les mêmes services que les 2A, avec une unité de soins intensifs  supplémentaire. 
  • Type 3 : Elles disposent d’un service de réanimation néonatale en plus, par rapport aux maternités de type 2. 

 

Son nom l’indique, l’accouchement à domicile, lui, n’a pas lieu à la maternité ! En alternative aux lits d’hôpitaux et aux salles d’accouchement, quelques familles préfèrent leur foyer pour accueillir leurs nouveau-nés. Pour beaucoup, c’est un moyen d’échapper aux mécanismes hyper-médicalisés de notre société moderne ou encore de ne pas revivre l’expérience traumatisante d’accouchements passés.  On doit tout de même préciser qu’il y a différents types d’accouchement à domicile :  

  • Dans la plupart des cas, on parle d’accouchement accompagné à domicile (AAD). La mère décide du lieu où se déroule son accouchement, quel(s) proche(s) seront présents, et quelle sage-femme sera à ses côtés lors de ce moment. La sage-femme ne “pratique” pas mais “accompagne” l’accouchement physiologique. C’est-à-dire qu’elle veillera au bon déroulement de l’accouchement, à la sécurité de la mère et de l’enfant en la conseillant sur l’attitude à adopter, et en vérifiant à l’aide d’un monitor si les données médicales de ses patients ne les mettent pas en danger. En aucun cas elle ne pratique des déclenchements, des césariennes ou encore des épisiotomies
  • L’ accouchement non accompagné (ANA) se fait aussi à domicile. Il concerne les femmes enceintes qui ont décidé d’accoucher à domicile sans la présence d’une sage-femme ou de toute autre personne du corps médical. 

 

Une dernière possibilité : la maison de naissance (MDN). On y fait aussi des accouchements physiologiques. Elles correspondent aux critères suivants : 

  • que les locaux de ces structures soient contigus à une structure autorisée pour l’activité de gynécologie-obstétrique, avec un accès direct et aménagé permettant un transfert rapide des patientes ;
  • qu’une convention soit établie entre ces 2 établissements, précisant les obligations et devoirs de chacun ;
  • qu’une sélection rigoureuse des femmes enceintes prises en charge dans ces structures soit organisée. 

Pour pouvoir bénéficier d’un accouchement physiologique, donc pour l’accouchement à domicile ou en maison de naissance, les femmes enceintes doivent respecter certains critères concernant leur grossesse : 

  • Vivre/aller dans une MDN à 30 minutes maximum de la maternité la plus proche, pour être prise en charge le plus rapidement possible en cas de complication. 
  • La maman doit être en bonne santé et ne pas présenter une grossesse à risque (les facteurs : hypertension, diabète, ancienne grossesse compliquée etc…) 
  • L’accouchement à domicile n’est pas possible si le bébé est positionné en siège, si la grossesse est gémellaire, ou si une césarienne est envisagée. 

Si aucun texte n’interdit l’accouchement à domicile en France, une mère s’expose à des poursuites pour mise en danger de la vie de son enfant lorsqu’elle accouche seule, par choix. C’est aussi prendre le risque de s’exposer à une enquête des services sociaux. Des vérifications sont mises en place, particulièrement lorsque la mère a pratiqué un ANA

 

En France, un déploiement des maisons de naissance est actuellement mis en place, après une période d’expérimentation de cinq ans. Seules les maisons de naissance intra-hospitalières étaient autorisées jusqu’à présent. Les sages-femmes y voient une meilleure reconnaissance de leur travail, mais les gynécologues sont eux moins enthousiastes. Publiée en 2019, une étude menée par un groupe de recherche du CNRS et de l’Inserm, basée sur l’examen des dossiers de 649 femmes prises en charge dans des maisons de naissance en 2018, a ainsi établi que ces structures offrent «un niveau de sécurité satisfaisant», avec des «complications maternelles peu, voire très peu fréquentes». Échantillon insuffisant pour être représentatif, a déclaré le Syngof.

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Faut-il encourager l'accouchement à domicile ?
Le « Pour »
Isabelle Koenig
Sage-Femme, co-présidente de l'Association Professionnelle de l'Accouchement Accompagné à Domicile (APAAD)
Mon corps, Mon choix, Mon droit

La question de l’Accouchement Accompagné à Domicile (AAD) relève d’abord de la volonté libre et responsable des femmes d’accoucher où elles veulent et avec qui elles veulent. C’est à leur demande que des sages-femmes leur répondent et soutiennent leur projet, dans le cadre d’un accompagnement global « une femme/une sage-femme ». Les motivations des femmes, et leurs profils, sont extrêmement variés. Néanmoins on peut retrouver trois convictions communes :

 

– L’accouchement n’est pas une maladie et devrait se dérouler de façon physiologique dans 90% des cas. Or en quelques décennies ce processus d’enfantement naturel s’est vu perturbé par un excès de contrôle et de médicalisation.

– Les femmes désirent avant tout de l’intimité, le respect de leur projet et de leur corps, un accompagnement bienveillant et professionnel qui crée le climat de sécurité indispensable pour cet évènement si important de leur vie.

– Ces femmes ne trouvent pas leur compte au sein des structures hospitalières hyper-médicalisées actuelles. Les analyses statistiques des AAD publiés depuis 3 ans par l’APAAD, Association Professionnelle de l’Accouchement Accompagné à Domicile, apportent la preuve de la pertinence de ce choix, pour les femmes qui le demandent et dont le dossier médical le permet : les résultats sont meilleurs que ceux des maisons de naissance ou des maternités de niveau 1, pour une même population à bas risque obstétrical.

 

Enfin les innombrables témoignages, poignants, profonds, sont là pour confirmer, s’il en était besoin, la pertinence de leur choix : « accoucher chez moi m’a donné de découvrir ma puissance de femme, ma capacité à enfanter, parce qu’on m’a fait confiance et qu’on m’a simplement accompagnée avec bienveillance sur ce chemin que j’ai choisi »

Les sages-femmes qui les accompagnent témoignent de la richesse de ce qui se vit. C’est exigeant pour elles, il faut acquérir un positionnement professionnel différent de celui qui est enseigné et pratiqué en maternité, ce qui exige de se former à la physiologie, de partager sur les pratiques entre collègues, de construire des référentiels permettant d’orienter en cas de situation difficile. Beaucoup de sages-femmes libérales répondraient, elles aussi, à ces demandes de plus en plus nombreuses si la France – à contrario de nombreux autres pays – ne mettait pas une pression indigne sur les femmes et sur les sages-femmes et ne bloquait pas l’accessibilité à une assurance professionnelle pour cette pratique. (Une véritable chasse aux sorcières est organisée par endroits par des institutions et des professionnels qui, au lieu de s’intéresser à la réalité et aux faits, n’en restent qu’à une idéologie totalement injustifiée).

 

Heureusement de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer que ce choix soit offert aux femmes, et que les professionnel(le)s puissent les accompagner. Par défaut, certaines préféreront accoucher seules chez elles. Les travaux de mémoire, les échanges entre spécialistes, et la presse, évoquent de plus en plus l’Accouchement Accompagné à Domicile.

 

Le « Contre »
Emmanuel Peigné
Gynécologue obstétricien à la Polyclinique du Beaujolais (69), Vice-Président du syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (SYNGOF)
C'est sur un meilleur accueil des patientes en maternité qu'il faut s'attarder

L’accouchement à domicile (ADD) se pratique dans quelques pays développés. Il est un sujet de réflexion dans de nombreux pays. Sa fréquence reste anecdotique : 0.1% en Suède, 1.2% au Canada et autant aux USA en 2020, 2.1% en Angleterre. Elle est de 13% aux Pays Bas, mais diminue régulièrement, et était de 75% en 1953 (Eugene Declercq, PhD, Naomi E Stotland,MD – UPTODATE 29/11/2021).

 

Des facteurs diminuant les risques ont été clairement établis : sélection des patientes, formation et compétence des acteurs de soins, matériel sur place, transport rapide et fiable vers une maternité, coordination domicile/maternité. Cinq critères d’exclusion ont été identifiés après revue des principaux accidents : nulliparité, présentation du siège, antécédents de césarienne, gémellité, terme avancé; 41sa. (Grünenbaum A, McCullough LB, Sapra KJ et al. – Am J Obstet Gynecol 04/2017)

 

Toutefois, la réalité du travail en salle d’accouchement montre à tous ses acteurs l’existence d’accidents rares graves et imprévisibles, tant pour la mère que pour l’enfant. Les équipes sont en permanence mobilisées par la gestion du risque et par la crainte du médico-légal.

 

Les études des pays développés montrent des transferts de 20% des patientes multipares et 40% des nullipares, accaparant les vecteurs de transferts par ailleurs saturés. Si les risques maternels sont peu augmentés dans les systèmes très organisés, les risques périnataux sont accrus dans les accouchements à bas risques. Ceci conduit les sociétés savantes des gynécologues et des pédiatres des pays développés à demander de ne pas développer la pratique des accouchements à domicile. (Sanchez-Redondo MD, Cernada M et al – An Pediatr (Barc) 2020,93 : 266)

 

En France, comme dans les autres pays, cette demande concerne une population urbaine jeune (25-34) et d’un niveau intellectuel supérieur. L’intérêt porté à l’accouchement à domicile est donc à nuancer au regard de la demande globale des patientes qui est d’accoucher dans des maternités comportant un recours pédiatrique le plus élevé possible. L’évolution des activités des maternités de type 1, 2 et 3 depuis 15 ans est spectaculaire.

L’organisation minimale n’existe pas en France, les accouchements à domicile sont donc dangereux pour la mère et l’enfant. L’impératif pour la naissance est d’améliorer la pertinence et l’efficacité des soins en maternités, et surtout leur bienveillance et leur humanité. Ces investissements ne sont pas accordés aux 95% des patientes voulant accoucher en maternité. Il n’est pas raisonnable d’investir lourdement en temps et en argent dans l’accouchement à domicile.

 

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