L’UE est-elle prête à négocier avec la Macédoine du Nord ?

Ce débat a initialement été publié sur The Rift, le site anglophone du Drenche, et il a été traduit en français par la Rédaction.

📋  Le contexte  📋

Les négociations d’adhésion sont le deuxième des 3 pas vers l’adhésion à l’Union européenne. Premièrement, un Etat doit atteindre un certain niveau de développement pour pouvoir se porter officiellement candidat à l’adhésion. Une fois cette candidature déposée et acceptée, l’UE peut soutenir financièrement le candidat afin de l’aider à mener les réformes économiques et politiques nécessaires pour remplir les conditions d’adhésion. 

Les négociations commencent après une décision unanime du Conseil européen, ce qui signifie que tous les Etats membres de l’UE doivent donner leur accord à l’ouverture des ces négociations. Pendant cette période, l’Etat-candidat doit transcrire dans les règles de l’UE et du droit européen, condensées en 35 chapitres de ce que l’on appelle “acquis communautaire”. Il n’y a pas de date de péremption pour les négociations : elles durent autant que nécessaire, et elles peuvent être suspendues ou arrêtées par une décision du Conseil de l’UE. 

Sources : Commission européenne, Toute l’Europe

La Macédoine du Nord est candidate à l’UE depuis décembre 2005. L’Etat a mené des réformes politiques et économiques pour être en conformité avec les critères d’adhésion (les critères de Copenhague), et reçoit actuellement une aide au développement de la part de l’UE. 

Pendant plusieurs années, tout avancement dans le processus d’adhésion de l’Etat était compromis par la dispute entre la Macédoine du Nord et la Grèce au sujet du nom de ce premier, qui à l’époque s’appelait la République de Macédoine. La signature de l’accord de Prespa en juin 2018 a résolu ce conflit et changé le nom du pays en République de Macédoine du Nord, ce qui a rouvert les discussions sur sa candidature. 

Sources : Commission européenne, Reuters

Ce sujet est un débat important pour l’Union européenne, comme la République de Macédoine du Nord a prouvé son intérêt pour poursuivre le processus d’adhésion en changeant de nom. En effet, l’Union européenne impose une condition supplémentaire d’avoir des bonnes relations avec son voisinage pour les Etats des Balkans occidentaux. 

Cependant, le Conseil européen n’a pas encore donné son accord pour l’ouverture des négociations d’adhésion. Des pays comme la France ou les Pays-Bas s’y sont opposés, et ont appelé à une réforme interne préalable au sein de l’Union européenne. De plus, il était envisagé de négocier l’élargissement avec deux Etats, la Macédoine du Nord et l’Albanie, ce qui est également un point de désaccord entre les Etats membres. 

Ce sujet est actuellement en cours de débat, comme les Etats membres recherchent un consensus au sein du Conseil européen. 

Sources : Reuters, Radio Free Europe

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »
Sena Maric
Chercheuse senior, European Policy Center à Belgrade
Un petit pas pour l'UE, un grand pas pour le pays candidat

Je soutiens l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Macédoine, car ce petit pas dans la procédure d’adhésion à l’UE a un impact énorme sur la motivation de l’Etat-candidat à poursuivre les processus de transformation liés à l’Europe, qui sont en ce moment en cours. 

La barre pour devenir membre de l’UE n’a jamais été aussi haute qu’aujourd’hui

Premièrement, les lecteurs devraient être conscients que l’ouverture des négociations d’adhésion n’est en effet qu’un petit pas symbolique dans un processus très complexe d’adhésion à l’UE, qui a été beaucoup revu par rapport aux Balkans occidentaux en comparaison aux précédents élargissements. La barre pour devenir membre de l’UE n’a jamais été aussi haute qu’aujourd’hui, alors le pays-candidat a réellement besoin de temps et doit faire des efforts pour prouver d’être prêt à rejoindre le bloc. A savoir, quand un pays-candidat ouvre les négociations d’adhésion, beaucoup de travail doit être fait pour qu’il devienne membre – il doit ouvrir et compléter avec succès tous des 35 chapitres de négociations. Ce sont les Etats membres de l’UE qui ont le mot final sur l’appréciation si le candidat a rempli les conditions pour ouvrir et fermer ces chapitres. Si on multiplie les 35 chapitres par les 28 Etats membres, on voit quelle grande place est laissée aux Etats de potentiellement ralentir ou bloquer ce processus. Sans mentionner d’autres obstacles possibles, tels que “la clause de sauvegarde” qui peut être appliquée si l’Etat ne fait pas ses preuves en respect de l’Etat de droit, ce qui peut conduire à une suspension temporaire des négociations d’adhésion. En bref, les Etats membres ont à leur disposition un éventail d’options pour tester le progrès et la préparation du candidat, et l’ouverture des négociations d’adhésion n’est qu’un premier pas dans cette direction. 

Deuxièmement, les lecteurs devraient avoir conscience que l’ouverture des négociations d’adhésion n’implique pas automatiquement que le pays-candidat rejoindra l’UE. Il rejoindra l’UE seulement si les Etats membres jugent qu’il est prêt, et s’ils y donnent leur accord. L’UE n’a pas promis l’adhésion à la Macédoine du Nord, ni à l’ensemble des Etats des Balkans occidentaux. L’Union s’est seulement engagée à donner une “perspective européenne”, ce qui est un engagement bien moindre qu’une promesse d’adhésion. 

L’Union perd sa crédibilité à décaler l’ouverture des négociations

En revanche, l’ouverture des négociations d’adhésion a une grande valeur symbolique pour le pays-candidat. Cela représente une reconnaissance de tout le travail fastidieux et de décisions courageuses entreprises par la Macédoine du Nord lors ces deux dernières années, et elle devait en être récompensée. La Macédoine a initié des réformes et elle a créé une dynamique pour que ces réformes de long terme soient irréversibles. Avec une telle tournure d’événements, la gouvernance actuelle du pays pourrait perdre le support si elle ne délivre pas un progrès sur la voie d’adhésion à l’UE. L’Union perd sa crédibilité à sans cesse décaler l’ouverture des négociations pour des raisons de politique interne. Les Etats membres qui s’y opposent devraient en assumer une plus grande responsabilité et expliquer à leur électorat que l’ouverture des négociations n’est fondamentalement pas grand chose, comme expliqué ci-dessus. Sinon, l’état actuel des choses paraît confortable seulement pour les gouvernants problématiques d’autres Etats de la région, qui auraient vu que la poursuite des réformes au nom de l’intégration européenne ne ferait que raccourcir leur vie politique. 

Le « Contre »
Nathalie Loiseau
Eurodéputée de la République en Marche, ancienne Ministre de l'Europe
On n'invite pas des amis dans une maison en désordre

Historiquement, géographiquement, culturellement, les Balkans sont en Europe. Alors qu’attendons-nous pour les faire entrer dans l’Union européenne ?

Il est irréaliste d’élargir l’UE davantage tant qu’elle ne s’est pas réformée

Nous devons d’abord faire le ménage chez nous : on n’invite pas des amis dans une maison en désordre et, aujourd’hui, l’Union européenne est en désordre. Le Brexit n’en finit pas, les divisions entre nationalistes et progressistes s’acroissent, la gouvernance d’une Europe à 28 est une gageure. Il est donc irréaliste d’élargir l’UE davantage tant qu’elle ne s’est pas d’abord réformée. Quant aux pays qui frappent à la porte, leurs candidatures doivent être examinées selon les mérites de chacun. Je ne crois pas que le processus d’intégration de l’ex-Yougoslavie devrait se faire en bloc.

Si les 27 membres de l’Union ont des points de vue différents sur l’élargissement de l’Union européenne, tous sont d’accord pour renforcer le partenariat avec les Etats des Balkans occidentaux, et de davantage les aider dans le processus d’intégration. Nous avons beaucoup d’intérêts et de projets en commun avec ces Etats, qu’il s’agisse de la lutte contre le trafic des armes de petits calibres, ou le programme d’échange Erasmus +.

Nous n’en sommes qu’au début du processus de réformes

La Macédoine du Nord s’est réconciliée avec ses voisins, c’est un pas très positif. Maintenant, nous attendons qu’elle lutte avec détermination contre la corruption, pour la bonne gouvernance et l’état de droit. Nous avons confiance que les Macédoniens le souhaitent aussi. Il nous faut donc accentuer notre partenariat avec la Macédoine du Nord comme avec tous les Balkans pour aider ceux qui souhaitent rapprocher leur pays de l’Union européenne et lutter contre les tendances centrifuges ou les vieux démons.

La Macédoine du Nord a maintenant envie d’avancer sur les réformes qu’elle a entrepris et demande à y être encouragé par l’ouverture de négociations d’adhésion. Mais fixer des dates au préalable n’a pas de sens. J’espère sincèrement que le moment venu les négociations pourront s’ouvrir, lorsque de part et d’autre nous serons prêts. Nous n’en sommes qu’au début du processus de réformes.

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