D’un jet de soupe à l’écoterrorisme: ces actions militantes vues par les médias

militant

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

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Prêter une attention particulière aux mots

En mai dernier, un homme jette une tarte sur la Joconde. Des activistes lancent de la soupe sur Les Tournesols de Van Gogh, de la purée sur Les Meules de Monet et se collent le visage sur le tableau de La jeune fille à la perle de Vermeer. Plusieurs actions de désobéissance civile, réalisées par des militants écologistes, ont ainsi défrayé la chronique ces derniers mois. Que ce soit à la télévision, dans la presse ou sur internet, ces dégradations ont amené plusieurs dérives journalistiques. L’information n’étant jamais neutre et parfois incomplète, on vous propose de revenir sur la couverture médiatique de ces actions « pour la planète ».

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L’apanage de la jeunesse

Coup de chaud des jeunes militants”, “deux jeunes femmes à la vingtaine d’années”, “les millénaristes”. Après l’action coup de poing de deux militantes de Stop Oil, qui consistait donc à jeter de la soupe sur le tableau Les Tournesols pour protester contre les projets d’énergies fossiles, plusieurs médias ont employé un vocabulaire qui interroge.  Contrepoint a par exemple titré son article du 22 octobre “ De Greta à Just Stop Oil : l’écologisme en pleine crise d’adolescence« , mettant ainsi en exergue l’image négative que l’on a sur cette période de notre vie où nos émotions sont jugées incontrôlables et nos actes  irréfléchis. “Il faut que jeunesse se passe…”, “notre société au proie du jeunisme”, “la joie des naïfs », aider “l’adolescence à accéder à l’âge de raison”. Tant de termes qui ne cessent de mettre l’accent sur l’âge des militantes pour critiquer leur action.

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Article du 22/10

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Prendre en compte la présence de stéréotypes

La jeunesse a depuis longtemps une image négative dans certains médias. Ce que l’on appelle le jeunisme, qui englobe toutes les valeurs que l’on attribue à la jeunesse, refait surface pour décrédibiliser ou contredire les actions des écologistes. Dans une enquête menée par l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, six grands stéréotypes ressortent. “Les jeunes ne prendraient pas de responsabilité, ne s’engageraient pas, seraient individualistes, manqueraient de respect, ne voudraient pas travailler, auraient des comportements violents”. Si le manque d’engagement n’est pas le stéréotype le plus pertinent ici, même si on peut voir une critique de la façon dont les jeunes décident de le faire, celui de la violence et de la responsabilité prennent tout leur sens.

Un mode d’action contre-productif ?

En effet, leur action est critiquée pour sa radicalité, jugée irrespectueuse et contre-productive par plusieurs médias. Dans un article de RTL, on peut ainsi lire les expressions de “militantisme de buzz”, « manœuvre irréfléchie” ou de “mesures extrêmes pour militer” dans un article de Sud Ouest. Bien-sûr les conflits concernant les modes d’action sont courants au sein des mouvements militants et dans les débats publics en général. Dans le cas des combats écologistes, certains prônent la radicalité quand d’autres ne comprennent pas comment on peut justifier d’outrepasser les lois. Là est toute la question de la désobéissance civile. 

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Article du 17/10

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On parle de « désobéissance civile » lorsque des citoyens, mus par des motivations éthiques, transgressent délibérément, de manière publique, concertée et non violente, une loi en vigueur”. Dans le cas où ces actions de désobéissance s’attaquent à des œuvres d’art fortement appréciées par le public, les questions sur la pertinence se font entendre.

On ne touche pas au sacré

Dans un article de Radio France nous pouvons ainsi lire “des actions spectaculaires (et il faut bien le dire un peu vaines)” et le journal Entreprendre parle lui de “fous qui s’adonnent à de tels délirs”. Quand on touche au patrimoine, de vives réactions vont mettre en avant l’aspect sacré de l’art et tout le vocabulaire que cette notion représente.

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Article du journal Entreprendre – 17/10

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Slate, par exemple, qui titre son article“En souillant un Van Gogh, les éco-activistes ont reproduit un mécanisme qu’elles dénoncent” ne cesse d’utiliser l’imagerie du sacré. Outre le fait d’utiliser le terme “souiller” dans son titre, on peut également lire que cette agression déstabilise “notre dernière croyance profane en l’art” et que ces militantes vont s’attaquer “au dernier refuge du sacré dans nos sociétés”. Une critique semblable à celle de Yann Moix, invité quotidien de la radio Europe 1. Pour lui, l’art “sans la vie n’existe pas. La vie sans l’art n’est pas possible non plus”, quand les militantes s’en prennent à l’art “elles s’en prennent à la vie”. 

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L’art au cœur des actes militants

Mais s’en prendre à l’art pour faire passer des messages politiques n’est pas une chose nouvelle. Certains médias ont d’ailleurs décidé de traiter leurs articles sous un angle plus général, en replaçant ces actions dans un contexte historique. Dans leurs articles “ Pourquoi les militants écologistes utilisent l’art pour mener leur action” et “Vandalisme militant : pourquoi s’en prendre aux œuvres d’art ?” , France culture nous fait ainsi découvrir des actes de vandalisme similaires.

La suffragette Mary Richardson a ainsi lacéré en 1914 la Vénus à son miroir de Vélasquez pour protester contre l’arrestation d’Emmeline Pankhurst. En 1974, Tony Shafrazi écrit sur le tableau de Picasso, Guernica, Kill lies all” contre la guerre du Vietnam et en 1985, un homme incendie une œuvre de Rubens pour protester contre la pollution. Ce regard sur l’histoire questionne ainsi le traitement journalistique de ces actions militantes qui sont décrites comme perpétrées par de  “nouveaux activistes écologistes”. 

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Des insultes aux accusations de fascisme

Si on peut tout de même comprendre cette qualification de “nouveaux”, étant donné la fréquence de ces actes de vandalisme ces derniers mois, plusieurs médias et journalistes n’ont pas hésité à utiliser un vocabulaire plus injurieux.

Dans l’article d’Entreprendre cité plus haut, on qualifie par exemple ces activistes de “crétins” en allant vers une psychophobie assumée avec l’utilisation du terme “fous”. Une psychophobie reprise également par Pascal Praud quand il questionne “la psychologie de ces gens-là« , de ces « hurluberlu« . Quand Yann Moix parle de “deux idiotes”, le journaliste Hugo Clément fustige ces “deux imbéciles”. Sur CNEWS on a pu également pu entendre dans l’émission Soir Info du 28/10, la critique de Yves Jégo d’une “débilité ambiante” perpétré par des “fous-dingues”.

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Diverses interprétations

On peut alors se questionner sur la pertinence d’employer ce genre de propos et sur l’image que cela donne d’un journalisme professionnel. Au-delà de ces qualificatifs douteux, d’autres vont décider d’aller encore plus loin. L’attaque de ces tableaux de maîtres est par exemple pour Alexandre Devecchio, invité dans l’émission Soir Info du 27/10, une volonté de “détruire l’Occident”. Ces militants qui “détestent vraiment les peintures de Van Gogh” selon les dires du Point, voient ainsi leurs actes interprété comme des actes “fascistes”. Un terme qui a notamment été employé dans l’émission l’Heure des pros et plus généralement sur la chaîne dans la manière de rapprocher le jet de soupe ou de purée à un autodafé. On note également la présence médiatique des termes de “terrorisme” et “terrorisme écologique”. 

Peut-on parler d’écoterrorisme ?

L’emploi actuel du mot “écoterrorisme” ne cesse de faire débat. Employé par certains politiques comme une vérité et fustigé par d’autres, l’écoterrorisme est interrogé dans tous les médias : “Ecologie, de la désobéissance civile à l’écoterrorisme ?”, “L’écoterrorisme, un terme flou qui continue de faire polémique”… 

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Article du 25/10

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L’écoterrorisme est finalement assez récent. Dans l’Angleterre des années 1960, le groupe Hunt Saboteurs Association (HSA) commence à se tourner vers des actions plus originales. Luttant contre la chasse, ses membres vont d’abord employer des méthodes légales pour perturber les chasseurs. Mais en 1973, un ancien membre de la HSA, Ronnie Lee, va créer le groupe Band of Mercy (qui devient plus tard l’ Animal Liberation Front) jugeant qu’il serait plus efficace d’agir en dépit des lois. Il promeut alors les destructions de véhicules et les incendies dans des laboratoires.

Existe-t-il un écoterrorisme à la française ?

Les différents mouvements d’écologistes radicaux nés en Grande-Bretagne vont par la suite émigrer dans les années 1970 aux Etats-Unis. On voit alors naître des groupes comme Environmental Life Force ou Earth First!. C’est en 2003 que le FBI définit pour la première fois l’écoterrorisme. Selon l’organisation, ce mode d’action relève de “l’utilisation ou la menace d’utilisation de la violence de nature criminelle contre des personnes ou des biens, par un groupe infranational pour des raisons environnementales et politiques”.

Article du journal Le monde – 3/11

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Pour autant selon Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, « Il n’y a pas d’éco-terrorisme en France pour l’instant.” L’emploi du préfixe “éco” n’ayant aucun fondement dans le droit français, son existence se cantonne seulement dans le débat public et médiatique. Toutes les actions citées précédemment peuvent selon lui relever de trouble à l’ordre public mais aucunement entrer dans la définition d’écoterrorisme.

Garder un œil ouvert et critique

Ainsi, que vous soyez contre ces actions de désobéissance civile ou en faveur de l’affranchissement des lois pour lutter contre le dérèglement climatique, il reste important de garder une certaine distance avec les productions journalistiques. Comme vous avez pu le constater dans cet article ou dans notre mise en presspective, les titres, les termes employés, et les intervenants sollicités ne sont pas neutres. 

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