LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU
Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…
Mercredi 14 avril 2021, le Président américain Joe Biden a annoncé le retrait progressif des dernières troupes américaines encore présentes en Afghanistan. Ce retrait a débuté le 1er mai et s’achèvera le 11 septembre, une date symbolique, anniversaire de l’attentat commis par Al-Qaïda contre le World Trade Center et le Pentagone à New York.
Cette annonce n’a pas fait l’unanimité, bien qu’attendue et s’inscrivant dans la continuité des politiques de Barack Obama et, une fois n’est pas coutume, de Donald Trump. En effet, si la présence des troupes américaines ne fait que très peu sens aujourd’hui, beaucoup jugent que leur départ aujourd’hui aura pour conséquence de déstabiliser une région déjà très instable, renforçant la domination des groupes terroristes qui y sont actifs.
Une rapide histoire moderne de l’Afghanistan
Longtemps sous le joug de l’Empire Britannique, l’Afghanistan ne restaure son indépendance qu’en 1919. En 1978, en pleine Guerre Froide, deux coups d’Etat successifs portent au pouvoir un régime communiste qui maintient pourtant ses distances avec l’URSS et le bloc de l’Est. Moscou, craignant que l’Afghanistan ne devienne pro-américain, envahit le pays en 1979 et met en place un gouvernement qui lui est favorable. Commence alors un conflit de plus de 9 ans opposant l’URSS à une résistance nationale de la population afghane et particulièrement aux moudjahidines, des combattants religieux financés et armés par les Etats-Unis et le bloc de l’Ouest.
Cependant, à la fin des années 1980, l’URSS doit faire face à son propre déclin et à un conflit qui s’enlise en Afghanistan. Les troupes soviétiques quittent définitivement le pays en 1989 et en 1992, le régime communiste afghan tombe. Les années qui suivent sont chaotiques, ouvrant la porte à l’essor des Talibans.
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Les Talibans sont un mouvement de l’islam radical présent en Afghanistan et au Pakistan prônant l’application de la loi divine. Initialement, ce sont des étudiants issus des écoles coraniques deobandi (une école de pensée portant une vision de l’islam traditionaliste). Ils sont ensuite influencés en partie par le wahhabisme, une forme de salafisme saoudien souhaitant “un retour aux pratiques en vigueur dans la communauté musulmane du prophète Mahomet et ses premiers successeurs ou califes”. Le mouvement émerge réellement à partir d’octobre 1994.
Les Talibans prennent peu à peu le contrôle du pays et en 1996, ils entrent à Kaboul, capitale de l’Afghanistan et fondent l’Emirat islamique d’Afghanistan. Ils imposent la charia et soutiennent différentes organisations djihadistes, notamment Al-Qaïda.
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Al-Qaïda est une organisation terroriste islamiste fondée en 1987 par le palestinien Abdullah Yusuf Azzam et son élève Oussama Ben Laden en Afghanistan. Salafiste djihadiste, elle prône le djihad (la guerre sainte) contre toute nation non-musulmane ainsi qu’une lecture fondamentaliste et la plus littérale possible des textes de l’islam. Elle est issue des groupes de moudjahidines, ces combattants du djihad qui constituaient une part importante de la résistance afghane face à l’invasion de l’URSS durant les années 1980. A ses débuts, Al-Qaïda est ainsi en partie soutenue et financée par la CIA. En 1989, Oussama Ben-Laden prend la tête de l’organisation puis, à partir de 1996, il profite de la prise de pouvoir des talibans pour former et entraîner des moudjahidines sur le territoire afghan. Al-Qaïda forme ainsi des milliers de combattants islamistes à travers le monde. En 1998, ils désignent officiellement les Etats-Unis et leurs alliés comme ennemis n°1 pour leur mode de vie contraire aux principes de l’islam et leur interventionnisme au Proche et Moyen-Orient (notamment en Israël-Palestine).
Les Etats-Unis en Afghanistan : pourquoi ?
Le 11 septembre 2001
Le 11 septembre 2001, quatre avions de ligne sont détournés par le réseau djihadiste Al-Qaïda. Deux d’entre eux vont s’écraser contre les tours jumelles du World Trade Center, symbole de la puissance économique américaine et un troisième avion atteint le Pentagone, siège du Département de la Défense. Le quatrième avion, qui visait la Maison-Blanche, manque sa cible et termine sa course dans un champ en Pennsylvanie après que les passagers et membres de l’équipage aient tenté de reprendre le contrôle. Ces attentats, extrêmement meurtriers, ont fait plus de 2900 morts et 6 291 blessés. Ils constituent à ce jour la plus grosse attaque perpétrée sur le sol américain.
Suite à ces attaques, l’organisation djihadiste aux racines afghanes Al-Qaïda et plus précisément son chef Oussama Ben-Laden sont identifiés comme responsables.
Le Président George W. Bush lance alors un appel aux talibans qui occupent l’Afghanistan, les sommant de livrer les chefs d’Al-Qaïda et de fermer les camps d’entraînement de moudjahidines sous peine de représailles. Ils offrent également 25 millions de dollars pour toute information permettant d’appréhender Ben Laden.
La guerre contre la terreur
Le 7 octobre 2001, les Etats-Unis engagent une guerre contre le terrorisme et lancent les premières offensives contre le régime taliban, épaulés par l’Alliance du Nord, une formation afghane opposée aux talibans. Kaboul tombe à la mi-novembre et les derniers bastions talibans suivent peu après. Les américains traquent Ben Laden jusqu’à la mi-décembre, toutefois, celui-ci parvient à s’enfuir au Pakistan.
En décembre 2001, l’ONU signe les Accords de Bronn prévoyant un retour progressif à la démocratie en Afghanistan. Mais, après tant d’années de guerre, le pays est ravagé et le processus de stabilisation prend du temps. Fin 2002, 9 400 soldats américains et 4 800 militaires de l’OTAN sont ainsi présents sur le terrain.
Par ailleurs, à partir de 2003, l’Afghanistan passe au second plan. Le Président George W. Bush vise désormais l’Irak dans sa “guerre globale contre la terreur”, alléguant que le pays possède des armes de destruction massive. Le régime de Saddam Hussein est pourtant fermement opposé aux djihadistes et il ne s’agit finalement là que d’un prétexte. Le 20 mars 2003, l’Irak est ainsi envahie et le 1er mai 2003, les Etats-Unis annoncent la fin des “activités de combat majeures” en Afghanistan.
Cependant, les talibans sont toujours présents dans le pays et si à partir de 2004, ils cessent les affrontements directes avec les forces occidentales, ils se concentrent désormais sur les attentats-suicide à Kaboul et dans d’autres villes afghanes. 6 attaques sont ainsi perpétrées en 2004, puis 21 en 2005 et 121 en 2006.
Une guerre qui s’éternise
Petit à petit, les Occidentaux perdent de vue l’objectif de leur présence en Afghanistan. Des dissensions apparaissent au sein de l’OTAN et les troupes sont régulièrement accusées de bavures. La population afghane accepte de moins en moins la présence des forces étrangères sur leur territoire.
En 2008, lorsque Barack Obama est élu, il annonce vouloir centrer les forces américaines en Afghanistan au détriment de l’Irak pour vaincre définitivement Al-Qaïda. Ainsi, en 2010-2011, plus de 100 000 soldats américains sont déployés en Afghanistan. L’OTAN prévoit quant à elle de transférer progressivement, d’ici à 2014, la responsabilité des opérations sur le terrain aux forces de sécurité afghanes.
En mai 2011, près de 10 ans après les attentats du 11 septembre, Ben Laden est retrouvé et abattu dans un complexe fortifié à Abbottabad au Pakistan. Les Etats-Unis entament alors des discussions avec les talibans pour mettre fin à la guerre et planifient parallèlement le retrait des troupes américaines avec le gouvernement pro-américain mis en place à Kaboul. Les négociations sont toutefois compliquées. Les Occidentaux sont de plus en plus mal vus et ils ne parviennent pas à stabiliser le pays. Les talibans en profitent alors pour multiplier les attaques contre les forces américaines et afghanes, ce qui a pour effet de constamment repousser le départ des Etats-Unis.
We went to Afghanistan because of the horrific attacks on 9/11 that happened 20 years ago.
— President Biden (@POTUS) April 14, 2021
That cannot explain why we should remain there in 2021.
Rather than return to war with the Taliban, we have to focus on the challenges of the future.
En 2016, Barack Obama annonce qu’ils maintiendront 8400 soldats en Afghanistan jusqu’en 2017. Par la suite, son successeur, Donald Trump, confirme vouloir y diminuer la présence américaine. Les discussions avec les talibans se poursuivent et le 29 février 2020, un accord prévoyant le retrait des troupes américaines à la mi-2021 est signé à Doha, au Qatar, par les Etats-Unis et les talibans. Ainsi, le 1er mai 2021, les 2500 soldats américains encore présents en Afghanistan ainsi que 7500 soldats de l’OTAN entament leur processus de départ qui se poursuivra jusqu’au 11 septembre 2021. Joe Biden a en effet estimé que “l’heure [était] venue de mettre fin à la plus longue guerre de l’Amérique” après avoir relevé que les raisons de la présence américaine en Afghanistan “sont devenues de moins en moins claires”.
Un retrait jugé risqué
Le contexte du retrait des troupes américaines aujourd’hui illustre leur échec en Afghanistan. Après vingt années de guerre, le pays est toujours instable et fait face à la menace bien réelle d’un retour des Talibans, qui contrôlent déjà 50% du territoire. De plus, pour Gilles Dorronsoro, professeur de sciences politiques à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et spécialiste de l’Afghanistan, “l’armée afghane est incapable d’assurer la sécurité de façon sérieuse”. Le chef d’état-major américain lui-même, le général Mark Milley, a reconnu que “Dans le pire des cas, on assiste à l’effondrement du gouvernement afghan et de l’armée, et on a une guerre civile et la catastrophe humanitaire qui va avec” malgré le fait que le président afghan, Ashraf Ghani, martèle pour sa part que les forces afghanes sont “pleinement capables” de repousser les talibans.
Ainsi, la perspective d’un retour au fondamentalisme islamiste fait peur. La population afghane, notamment les femmes qui travaillent et la minorité musulmane chiite en seraient premières victimes. Selon Mena Nowrozi, employée d’une radio privée de Kaboul pour l’AFP, “Tout le monde est effrayé à l’idée de retourner aux jours sombres de l’ère talibane”, “Les Talibans sont toujours les mêmes, ils n’ont pas changé. Les États-Unis auraient dû rester au moins une ou deux années de plus.”
Parallèlement, les pays frontaliers de l’Afghanistan comme le Tadjikistan et l’Ouzbékistan s’inquiètent également d’une instabilité croissante en Afghanistan.Joe Biden est pourtant resté intraitable, considérant que toute autre voie conduirait à “maintenir indéfiniment les troupes américaines en Afghanistan”. Il a toutefois tenu à rassurer face aux différentes critiques “même si nous ne resterons pas impliqués militairement en Afghanistan, notre travail diplomatique et humanitaire se poursuivra”.
Un retour des talibans signifierait-il un retour d’Al-Qaïda ?
Un potentiel retour des talibans au pouvoir interroge subséquemment sur un potentiel retour d’Al-Qaïda. Bien qu’affaiblie et concurrencée par l’Etat Islamique ces dernières années, l’organisation pourrait largement tirer parti du départ des Occidentaux.
Pour le Washington Post, “le retrait des troupes américaines relâchera certes la pression sur Al-Qaïda, mais le groupe est loin d’être aussi puissant qu’avant le 11-Septembre”. Il juge par ailleurs “très peu probable” que l’on assiste à une recrudescence d’attaques terroristes internationales après le départ des Occidentaux.
En revanche, pour Nick Reynolds, spécialiste de l’Afghanistan au Royal United Services Institute, “Les talibans sont très proches d’Al-Qaïda et travaillent ensemble. Il y a donc un très grand risque qu’Al-Qaïda utilise les parties contrôlées par les talibans comme base”. Cette hypothèse signerait un échec cuisant pour les Etats-Unis, alors que la guerre en Afghanistan a coûté plus de 2 260 milliards de dollars et a été responsable de la mort de 2 442 soldats américains, 1 444 soldats des forces alliées et plus de 47 000 civils afghans.
Ainsi, les menaces qui planent aujourd’hui sur la région, les mêmes qu’il y a vingt ans, interrogent sur le rôle des Etats-Unis dans un conflit qui leur a coûté cher tant matériellement qu’en termes de réputation. Le gouvernement mis en place à Kaboul est fragile et semble, au regard de la communauté internationale, peu apte à instaurer une réelle stabilité en Afghanistan et à assurer la sécurité de sa population. Pourtant, est-ce le rôle d’un pays qui s’étend à plus de 11 000 km de là et qui ne s’est que trop mêlé des affaires du Moyen-Orient ? Ce qui est certain, c’est que, 20 ans après, les raisons de leur présence en Afghanistan paraissent déconnectées des motivations premières.
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