bâtiment en ruine en Irak

[Histoire] Les Etats-Unis doivent-ils intervenir en Irak ?

Avertissement !

Ce débat, surtout formulé comme ceci, peut sembler trompeur. Il place sur le même plan deux opinions dont l’Histoire a montré qu’elles n’étaient pas forcément sur le même plan. Néanmoins, à l’époque, elles l’étaient. Nous ressuscitons ces débats historiques dans leur contexte pour montrer que les débats d’hier ont contribué à façonner le monde que nous connaissons, et par extension que les débats d’aujourd’hui contribuent à façonner le monde de demain. Et, qui sait ? Peut-être que dans quelques générations, certains de nos débats actuels ne mériteront plus le pied d’égalité dont ils ont bénéficié aujourd’hui ?

 

📋  Le contexte  📋

La Guerre en Irak (ou Seconde Guerre du Golfe) commence le 20 Mars 2003 sous la présidence de George W. Bush avec l’invasion de l’État de Saddam Hussein.

Cette guerre est lancée sans l’accord du conseil de sécurité des Nations Unies, les Etats-Unis craignant un veto de la France, de la Russie et de la Chine. Qualifiée par le gouvernement Bush comme une “guerre préventive” (c’est-à-dire initiée avec la croyance qu’un conflit futur est inévitable), elle est avant tout pour ses détracteurs une “guerre d’agression” (Noam Chomsky).

Le conflit s’achève sous le mandat de Barack Obama, le 18 décembre 2011 avec le retrait des dernières troupes américaines de la région.

Les attentats du 11 septembre 2001 perpétrés sur les Tours jumelles de Manhattan sont un traumatisme pour les Etats-Unis et le monde entier. Revendiqué par le groupe Al-Qaïda, dirigé par Oussama Ben Laden, ces attaques fondent le terrorisme islamiste comme la principale menace du début du XXIème siècle.

Dès janvier 2002, George Bush prépare l’opinion américaine à une invasion de l’Irak. Il en fait un des membres de l’“axe du mal” aux côtés de l’Iran et de la Corée du Nord. Il accuse Bagdad de soutenir l’organisation terroriste Al-Qaida.

Le 5 février 2003, le secrétaire d’Etat Colin Powell tente de convaincre les membres du conseil de sécurité de l’ONU de la détention secrète d’armes de destruction massive par le régime de Saddam Hussein, en brandissant une fiole d’anthrax (poudre blanche utilisée dans les armes chimiques).

Source : L’Express

Le film Vice souligne l’implication de Dick Cheney, vice-président de Bush, dans le conflit. Il y aurait notamment négocié des accords avec les grandes sociétés pétrolières américaines pour qu’elles se répartissent les gisements du pétrole irakien avant l’invasion. La Guerre en Irak répondrait donc à l’origine à des intérêts économiques. Dick Cheney aurait également été à l’origine du discours remis à Colin Powell, que ce dernier aurait d’abord rejeté pour son manque de preuves.

Les actions des américains sur le territoire sont aussi vivement pointées du doigt : en 2004, CBS révèle les sévices infligés aux prisonniers irakiens par les soldats américains dans la prison d’Abou Ghraib.

Au total, la guerre déclenchée par Georges Bush a tué entre 104 000 et 113 000 civils, et plus de 4400 Américains, a coûté près de 800 milliards de dollars et créé un fort anti américanisme dans la région en déstabilisant le pays et en faisant le nid d’Al-Qaïda, puis de Daech.

Source : Le Monde

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Le « Pour »
George W. Bush
Président des Etats-Unis
Le régime de Saddam Hussein représente un grave danger

LA MENACE IRAKIENNE

[…]

Il y a douze ans, l’Irak a envahi le Koweït sans être provoqué. (…) Cette agression a été stoppée par la puissance des forces de la coalition et la volonté des Nations unies. Pour suspendre les hostilités et pour se ménager, le dictateur irakien a accepté de prendre une série d’engagements. Les termes en étaient clairs, pour lui et pour tous. Au lieu de cela, il n’a montré que mépris pour les Nations unies et tous ses engagements. (…) Saddam Hussein a écrit son propre dossier d’accusation.

Aujourd’hui, l’Irak continue à dissimuler d’importantes informations sur son programme nucléaire. (…) Si l’Irak achetait des matières fissiles, il serait en mesure de construire une arme nucléaire en un an.

L’Irak était autorisé à utiliser les revenus de son pétrole pour acheter de la nourriture. Saddam Hussein a subverti ce programme, contournant les sanctions pour acheter de la technologie balistique et des armes.

En 1991, l’Irak a promis aux inspecteurs de l’ONU un accès immédiat et sans limites pour vérifier son engagement à se débarrasser de ses armes de destruction massive et de ses missiles longue portée. L’Irak a violé cette promesse, passant plus de sept ans à tromper, fuir et harceler les inspecteurs de l’ONU avant de cesser toute coopération.

Le régime de Saddam Hussein représente un grave danger. Suggérer le contraire revient à nier l’évidence. Croire en la bonne foi de ce régime revient à prendre un pari fou sur la vie de millions d’être humains et sur la paix mondiale. Et c’est un risque que nous ne devons pas prendre. (…) La conduite du régime irakien est une menace contre l’autorité des Nations unies et une menace contre la paix. »

LES CONDITIONS POSÉES À BAGDAD

« Si le régime irakien souhaite la paix, il révélera, retirera ou détruira immédiatement et sans conditions toutes ses armes de destruction massive, tous ses missiles longue portée et tous les matériels les accompagnant. Si le régime irakien souhaite la paix, il mettra immédiatement fin à tout soutien au terrorisme et agira pour le supprimer, comme tous les pays doivent le faire conformément aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. Si le régime irakien souhaite la paix, il cessera de persécuter sa population civile, (…) comme le requièrent les résolutions du Conseil de sécurité. Si le régime irakien souhaite la paix, il relâchera ou rendra compte des soldats de la guerre du Golfe dont le sort est toujours inconnu. Il rendra les corps de ceux qui sont morts, rendra les biens volés, acceptera la responsabilité des pertes résultant de l’invasion du Koweït. (…) Si le régime irakien souhaite la paix, il mettra fin immédiatement au commerce illicite en dehors du programme « Pétrole contre nourriture ». Si toutes ces mesures sont prises, (…) cela pourrait ouvrir la perspective pour les Nations unies d’aider à l’édification d’un gouvernement qui représente tous les Irakiens –un gouvernement basé sur le respect des droits de l’homme, la liberté économique et des élections supervisées par la communauté internationale. »

AVEC OU SANS L’ONU

« Mon pays travaillera avec le Conseil de sécurité de l’ONU pour faire face à notre défi commun. Si le régime irakien nous défie à nouveau, le monde doit agir de façon délibérée et décisive pour que l’Irak soit mis devant ses responsabilités. Nous travaillerons avec le Conseil de sécurité en vue des résolutions nécessaires.

Mais il ne doit pas y avoir de doute sur les objectifs des Etats-Unis.

Les résolutions du Conseil de sécurité seront appliquées. Les exigences justes de paix et de sécurité seront satisfaites, ou l’action sera inévitable. Et un régime qui a déjà perdu sa légitimité perdra également son pouvoir. (…)

Si nous manquons d’agir devant le danger, le peuple d’Irak continuera de vivre dans un état de soumission brutale. Le régime en tirera une force nouvelle pour menacer, dominer et conquérir ses voisins, condamnant le Proche-Orient à des années supplémentaires de sang et de peur. La région restera instable, avec peu d’espoir de liberté, et coupée des progrès de notre temps.

(…)

Nous devons choisir entre un monde de peur et un monde de progrès. Nous ne pouvons pas rester là à ne rien faire quand les dangers s’accumulent. Nous devons défendre notre sécurité ainsi que les droits inaliénables et les espoirs de l’humanité. Par tradition comme par choix, les Etats-Unis le feront. Mmes et MM. les délégués, vous avez aussi le pouvoir de le faire.

Discours devant l’Assemblée générale de l’ONU, le 12 septembre 2002

Source : Le Monde

Le « Contre »
Dominique de Villepin
Ministre des Affaires Etrangères de France
Le "Non" français

Vous savez le prix que la France attache, depuis l’origine de la crise irakienne, à l’unité du Conseil de Sécurité. Cette unité repose aujourd’hui sur deux éléments essentiels:

Nous poursuivons ensemble l’objectif d’un désarmement effectif de l’Iraq. Nous avons en ce domaine une obligation de résultat. Ne mettons pas en doute notre engagement commun en ce sens. Nous assumons collectivement cette lourde responsabilité qui ne doit laisser place ni aux arrière-pensées, ni aux procès d’intention. Soyons clairs: aucun d’entre nous n’éprouve la moindre complaisance à l’égard de Saddam Hussein et du régime iraquien.

En adoptant à l’unanimité la résolution 1441, nous avons collectivement marqué notre accord avec la démarche en deux temps proposée par la France : le choix du désarmement par la voie des inspections et, en cas d’échec de cette stratégie, l’examen par le Conseil de Sécurité de toutes les options, y compris celle du recours à la force. C’est bien dans ce scénario d’échec des inspections, et dans ce cas seulement, que pourrait se justifier une seconde résolution.

La question qui se pose aujourd’hui est simple: considérons-nous en conscience que le désarmement par les missions d’inspection est désormais une voie sans issue? Ou bien, estimons-nous que les possibilités en matière d’inspection offertes par la résolution 1441 n’ont pas encore été toutes explorées ? En réponse à cette question, la France a deux convictions:

La première, c’est que l’option des inspections n’a pas été conduite jusqu’à son terme et peut apporter une réponse efficace à l’impératif du désarmement de l’Iraq ; la deuxième, c’est qu’un usage de la force serait si lourd de conséquences pour les hommes, pour la région et pour la stabilité internationale qu’il ne saurait être envisagé qu’en dernière extrémité.

Or, que venons-nous d’entendre, à travers le rapport de MM. Blix et El Baradei? Nous venons d’entendre que les inspections donnent des résultats. Bien sûr, chacun d’entre nous veut davantage et nous continuerons ensemble à faire pression sur Bagdad pour obtenir plus. Mais les inspections donnent des résultats.

[…]

Nous sommes là au cœur de la logique de la résolution 1441, qui doit assurer l’efficacité des inspections grâce à une identification précise des programmes prohibés, puis à leur élimination.

Nous sommes tous conscients que le succès des inspections suppose que nous aboutissions à une coopération pleine et entière de l’Iraq. La France n’a cessé de l’exiger. Des progrès réels commencent à apparaître :

L’Iraq a accepté le survol de son territoire par des appareils de reconnaissance aérienne ; Il a permis que des scientifiques iraquiens soient interrogés sans témoins par les inspecteurs ; un projet de loi prohibant toutes les activités liées aux programmes d’armes de destruction massive est en cours d’adoption, conformément à une demande ancienne des inspecteurs. L’Iraq doit fournir une liste détaillée des experts ayant assisté en 1991 aux destructions des programmes militaires.

La France attend bien entendu que ces engagements soient durablement vérifiés. Au-delà, nous devons maintenir une forte pression sur l’Iraq pour qu’il aille plus loin dans la voie de la coopération.

Ces progrès nous confortent dans la conviction que la voie des inspections peut être efficace. Mais nous ne devons pas nous dissimuler l’ampleur du travail restant à accomplir: des questions doivent être encore élucidées, des vérifications doivent être conduites, des installations ou des matériels doivent sans doute encore être détruits. Pour ce faire, nous devons donner aux inspections toutes les chances de réussir. […]

Alors oui j’entends bien les critiques:

Il y a ceux qui pensent que dans leur principe, les inspections ne peuvent avoir aucune efficacité. Mais je rappelle que c’est le fondement même de la résolution 1441 et que les inspections donnent des résultats. On peut les juger insuffisantes mais elles sont là. Il y a ceux qui croient que la poursuite du processus d’inspection serait une sorte de manœuvre de retardement visant à empêcher une intervention militaire. Cela pose naturellement la question du temps imparti à l’Iraq. Nous sommes là au centre des débats. Il y va de notre crédibilité et de notre esprit de responsabilité. Ayons le courage de mettre les choses à plat.

Il y a deux options:

L’option de la guerre peut apparaître a priori la plus rapide. Mais n’oublions pas qu’après avoir gagné la guerre, il faut construire la paix. Et ne nous voilons pas la face: cela sera long et difficile, car il faudra préserver l’unité de l’Iraq, rétablir de manière durable la stabilité dans un pays et une région durement affectés par l’intrusion de la force. Face à de telles perspectives, il y a l’alternative offerte par les inspections, qui permet d’avancer de jour en jour dans la voie d’un désarmement efficace et pacifique de l’Iraq. Au bout du compte, ce choix là n’est-il pas le plus sûr et le plus rapide?

Personne ne peut donc affirmer aujourd’hui que le chemin de la guerre sera plus court que celui des inspections. Personne ne peut affirmer non plus qu’il pourrait déboucher sur un monde plus sûr, plus juste et plus stable. Car la guerre est toujours la sanction d’un échec. Serait-ce notre seul recours face aux nombreux défis actuels? Donnons par conséquent aux inspecteurs des Nations Unies le temps nécessaire à la réussite de leur mission. Mais soyons ensemble vigilants et demandons à MM. Blix et El Baradei de faire régulièrement rapport au Conseil. La France, pour sa part, propose un nouveau rendez-vous le 14 mars au niveau ministériel, pour évaluer la situation. Nous pourrons alors juger des progrès effectués et de ceux restant à accomplir.

Dans ce contexte, l’usage de la force ne se justifie pas aujourd’hui. Il y a une alternative à la guerre: désarmer l’Iraq par les inspections. De plus, un recours prématuré à l’option militaire serait lourd de conséquences. L’autorité de notre action repose aujourd’hui sur l’unité de la communauté internationale. Une intervention militaire prématurée remettrait en cause cette unité, ce qui lui enlèverait sa légitimité et, dans la durée, son efficacité. Une telle intervention pourrait avoir des conséquences incalculables pour la stabilité de cette région meurtrie et fragile. Elle renforcerait le sentiment d’injustice, aggraverait les tensions et risquerait d’ouvrir la voie à d’autres conflits.

Nous partageons tous une même priorité, celle de combattre sans merci le terrorisme. Ce combat exige une détermination totale. C’est, depuis la tragédie du 11 septembre, l’une de nos responsabilités premières devant nos peuples. Et la France, qui a été durement touchée à plusieurs reprises par ce terrible fléau, est entièrement mobilisée dans cette lutte qui nous concerne tous et que nous devons mener ensemble. C’est le sens de la réunion du Conseil de Sécurité qui s’est tenue le 20 janvier, à l’initiative de la France.

Il y a dix jours, le Secrétaire d’Etat américain, M. Powell, a évoqué des liens supposés entre Al-Qaida et le régime de Bagdad. En l’état actuel de nos recherches et informations menées en liaison avec nos alliés, rien ne nous permet d’établir de tels liens. En revanche, nous devons prendre la mesure de l’impact qu’aurait sur ce plan une action militaire contestée actuellement. Une telle intervention ne risquerait-elle pas d’aggraver les fractures entre les sociétés, entre les cultures, entre les peuples, fractures dont se nourrit le terrorisme?

La France l’a toujours dit: nous n’excluons pas la possibilité qu’un jour il faille recourir à la force, si les rapports des inspecteurs concluaient à l’impossibilité pour les inspections de se poursuivre. Le Conseil devrait alors se prononcer et ses membres auraient à prendre toutes leurs responsabilités. Et, dans une telle hypothèse, je veux rappeler ici les questions que j’avais soulignées lors de notre dernier débat le 4 février et auxquelles nous devrons bien répondre:

En quoi la nature et l’ampleur de la menace justifient-elles le recours immédiat à la force? Comment faire en sorte que les risques considérables d’une telle intervention puissent être réellement maîtrisés?

En tout état de cause, dans une telle éventualité, c’est bien l’unité de la communauté internationale qui serait la garantie de son efficacité. De même, ce sont bien les Nations Unies qui resteront demain, quoi qu’il arrive, au cœur de la paix à construire.

Monsieur le Président, à ceux qui se demandent avec angoisse quand et comment nous allons céder à la guerre, je voudrais dire que rien, à aucun moment, au sein de ce Conseil de Sécurité, ne sera le fait de la précipitation, de l’incompréhension, de la suspicion ou de la peur. Dans ce temple des Nations Unies, nous sommes les gardiens d’un idéal, nous sommes les gardiens d’une conscience. La lourde responsabilité et l’immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix.

Et c’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien, l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui, qui a connu les guerres, l’occupation, la barbarie. Un pays qui n’oublie pas et qui sait tout ce qu’il doit aux combattants de la liberté venus d’Amérique et d’ailleurs. Et qui pourtant n’a cessé de se tenir debout face à l’Histoire et devant les hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à construire ensemble un monde meilleur.

Je vous remercie.

Discours devant le Conseil de sécurité de l’ONU à New York le 14 février 2003

Source : Le Figaro

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