📋 Le contexte 📋
La crise sanitaire impacte fortement l’économie française. Avec 66 millions de personnes sommées de rester chez elles et de nombreux commerces fermés, les habitudes de vie et de consommation ont été bouleversées.
L’INSEE a enregistré une chute de la consommation de biens des ménages (-17,9% en mars), même si la consommation alimentaire a tendance à augmenter.
Les ventes étant presque inexistantes, les marques (notamment dans le textile) sont fortement impactées.
Certaines ont ainsi décidé d’adapter leur production aux besoins actuels. Louis Vuitton et la marque de jeans 1083 se sont ainsi lancés dans la production de masques, PSA s’est mis à fabriquer des pièces de respirateurs… Les initiatives sont nombreuses.
L’incertitude de la situation et les nouvelles conditions de vie provoquent de nombreuses remises en question. Consommera-t-on de la même manière après la crise ? Faut-il relocaliser les entreprises en France ? Faut-il consommer plus pour soutenir les entreprises ? Moins pour des questions environnementales ?
Les marques sont au cœur des réflexions. Les problématiques sociales, environnementales et éthiques sont au centre des discussions sur leur avenir.
🕵 Le débat des experts 🕵
Il semble de plus en plus difficile aujourd’hui d’imaginer que les marques vont « repartir comme en 40 », c’est-à-dire se consacrer uniquement à la relance et à leur croissance. Notre conviction profonde c’est qu’elles sont elles aussi infectées par le COVID-19, et qu’elles vont devoir « repartir à zéro ». Nous croyons en L’AN 01 des marques, celui qui va voir la généralisation de leur contribution aux enjeux écologiques et sociaux.
Pourquoi ? Les marques ne sont pas hors-sol. Elles sont le lien entre la société, le monde des entreprises et le monde des citoyens. Et tous trois sont très fortement heurtés. De fait, les marques se trouvent aujourd’hui au milieu d’un champ de bataille (pensez au transport aérien, à la distribution, au tourisme…). Mais leurs armes habituelles ne fonctionnent plus ! En effet, la situation de stress liée à la pandémie modifie en profondeur les logiques de perception et d’attentes des consommateurs. Et la prise de position des marques, extrêmement délicate et complexe, est aussi plus que jamais stratégique ; il est vital pour elles de ne pas perdre en pertinence face à ces évolutions :
- Les gens n’achètent plus des produits mais de l’impact. Que ce soit sur leur santé au sens large, celle de la société ou de la planète. En 2019, l’écologie était la première préoccupation des français (sondage IPSOS), et c’est toujours le cas depuis le virus (étude Society). Le Made in France n’a jamais été autant sollicité par les français même si cela implique une augmentation du prix (l’avis de 89% des français, étude Kantar).
- Chacun doit contribuer à l’effort collectif, les marques doivent montrer l’exemple. Nous sommes déjà dans une crise écologique d’ampleur mondiale, dont le COVID constitue une épreuve inédite ; un stress-test grandeur nature. Sans changement radical, nous serons perpétuellement en état de crise sanitaire. Pour en sortir : servir, protéger et pérenniser la société devra devenir l’engagement de toutes les marques. Decathlon et leurs dons de masques de plongée est un bel exemple de solidarité parmi tant d’autres depuis le début de la crise.
- Nous sommes arrivés au « point de bascule ». D’après Malcolm Gladwell, auteur de l’ouvrage The Tipping Point: How Little Things Can Make a Big Difference, trois conditions sont nécessaires à un changement de paradigme : un virus (ici, l’idée qu’une société plus durable est nécessaire), un groupe déclencheur représentant 10 à 20% d’une population (ici, des marques engagées et contributives) et enfin un environnement propice (ici, les 80% des marques restantes touchées de plein fouet par la crise sanitaire).
Une fois cette première alerte passée et les plaies soignées, il faudra anticiper les nouvelles formes de crise écologique qui nous attendent, sans doute de plus en plus graves pour notre santé et notre monde. Et accélérer l’émergence d”un nouveau modèle de progrès et de prospérité. Les marques y ont un rôle déterminant à jouer, car « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ». Et nous ne doutons pas qu’elles seront au rendez-vous, et à la hauteur.
Les marques ne changeront pas leur modèle économique.
Pour participer à « l’effort de guerre » contre le covid-19, le groupe LVMH a annoncé le 16 mars 2020 qu’il produira des « quantités importantes » de gel hydroalcoolique, lesquelles seront livrées gratuitement aux hôpitaux. La semaine suivante, le groupe Kering a déclaré que les marques Yves-Saint-Laurent, Balenciaga et Gucci se lanceront dans la fabrication massive de masques d’hygiène. Ces exemples semblent montrer que la crise sanitaire a rendu les entreprises et leurs marques plus solidaires. On pourrait même croire qu’il s’agit d’une opportunité pour elles de revoir leur modèle d’affaires et de se désensorceler de l’idéologie du profit. Nous pensons qu’il n’en est rien.
L’existence des marques remonte à l’Antiquité. Cependant, c’est à partir du XIXe siècle, avec l’industrialisation et l’émergence progressive de la société de consommation, que leur développement s’est accéléré. Leur fonction est d’établir un lien direct entre le producteur et le consommateur, de fidéliser ce dernier et donc de stabiliser la demande. Grâce à la publicité, elles tiennent leurs clients informés des nouveaux produits qu’elles proposent à la vente, tout en les persuadant, parfois de manière cynique, que ces produits leur sont indispensables. Leurs considérations sont uniquement commerciales et non morales. La logique à laquelle elles obéissent est, par structure, la logique du profit. Ni les guerres mondiales, ni la pandémie de grippe espagnole, ni le krach de 1929 ne les ont fait dévier de cette ligne. Celle-ci, dans le cadre d’un système économique fondé sur la concurrence, apparaît même comme un chemin de dépendance : en sortir reviendrait à perdre la course contre ses rivaux commerciaux, et dans le pire des cas, à disparaître.
Ainsi, quand des entreprises s’engagent dans la lutte contre le covid-19, elles ne le font pas par charité. Leur objectif est de renforcer leur image de marque, source de profits. Comme le souligne Mark Ritson, le gourou australien du marketing, les marques ne doivent pas se laisser « infecter » par le coronavirus. « Faites de l’argent, pas de jolies déclarations morales, et magnez-vous », leur enjoint-il. Il y a fort à parier que c’est bien ce qu’elles feront. Ces dernières vont en effet devoir gérer l’impact économique de la crise sanitaire. Face à une telle situation, dont la gravité est extrêmement difficile à mesurer, il est peu probable que les marques aient d’autres objectifs que de s’engager dans la relance du capitalisme : encore une fois, leurs profits en dépendent.
Finalement, il paraît utopique de penser que la pandémie bouleversera le marketing et son écosystème capitaliste. Les crises et les récessions surviennent, passent, et après quelques ajustements mineures, les choses reviennent « à la normale ». Après la crise de 2008, il était question de moraliser le capitalisme et l’action des entreprises. Cette promesse est restée lettre morte. L’histoire, sans doute, se répétera.
France Stratégie lance une consultation – Covid-19 : pour un « après » soutenable.
Ce débat fait partie des 7 thèmes sur lesquels France Stratégie recherche des contributions.
POUR EN SAVOIR PLUS…
👩💻 Consultez notre entretien réalisé avec 2 experts de France Stratégie
SI VOUS AVEZ UN TEMOIGNAGE OU UN TRAVAIL A PARTAGER…
📝 Rendez-vous sur le site strategie.gouv.fr