Ce débat est publié en partenariat avec l’Observatoire du Sport Business
📋 Le contexte 📋
Amazon s’est octroyé vendredi 11 juin les droits télévisés de 80 % des matchs de Ligue 1 pour 250 millions d’euros par an jusqu’à 2024. Le groupe continue ainsi sa stratégie d’investissements sur les événements sportifs après avoir acheté les droits de diffusion de Roland Garros ou encore ceux des certains matchs de football américain aux Etats-Unis. Il voudrait devenir un des plus grands acteurs du marché des droits sportifs dans les vingt prochaines années.
Une nouvelle réjouissante pour les grands supporters qui pourront facilement observer les matchs depuis leur tablette, smartphone et téléviseurs. L’audience sera surement plus importante puisque les prix d’abonnements seront moins importants qu’avant. Une aubaine pour le championnat et l’industrie du football qui connait ces derniers temps des difficultés financières. Amazon pourra alors offrir aux clubs des perspectives de développement à plus long terme.
Aujourd’hui l’abonnement à Amazon Prime est de 49 euros par an ou six euros par mois, mais il va sûrement falloir prévoir un supplément pour regarder la Ligue 1. L’arrivée d’Amazon risque de bouleverser le modèle concurrentiel des diffuseurs. Comme le divertissement représente une activité secondaire de l’entreprise, ils peuvent davantage se permettre de garder les prix plus bas et ainsi mettre en danger leurs concurrents. Les diffuseurs pourraient être amenés à demander davantage de transparence dans son modèle économique.
🕵 Le débat des experts 🕵
Sur cette question, il est évident qu’il ne faut pas parler des montants : que ce soit Amazon et ses 250 millions d’euros où l’offre cumulée Canal+ et beIN Sports, de toute façon le football français va vers une période difficile jusqu’en 2024. La vraie question, c’est de savoir si l’arrivée d’Amazon offre au football français des perspectives intéressantes pour l’avenir. J’ai plutôt tendance à penser que oui.
En effet, ça faisait longtemps que l’on parlait d’une potentielle arrivée des GAFA ou d’acteurs comme DAZN sur l’activité des droits télé. Là, il y a une chance pour la France d’être le client pilote, au delà de ce qu’Amazon a déjà acheté, par exemple des matchs de ligue des champions qui sont des matchs à forte attractivité.
Un championnat domestique c’est une autre prise de risque pour eux. Donc ils vont s’y essayer comme ils s’y sont essayés sur Roland Garros. Pour Roland Garros, ils ont démontré que dans un délai assez court, ils pouvaient être bien préparés : la diffusion a été bien réalisée et ça a intéressé les téléspectateurs, ou du moins les fans du tournoi.
Donc ça a réglé le sujet de l’accessibilité : les Français savent qu’ils peuvent accéder à Amazon sur leur téléphone ou sur leur tablette, mais aussi sur leur télévision grâce aux télés connectées ou à des consoles de jeux comme Playstation ou Xbox par exemple. Ça règle aussi le sujet de l’audience : on ne connaît pas encore la notion tarifaire, mais ce sera de toute façon mieux que l’offre de 25 euros par mois de Mediapro. Ça prépare l’avenir parce qu’en2024 ce genre d’acteur pourra probablement traiter non pas pour des droits domestiques mais pour des droits globaux.
On a donc trois ans en France pour se créer les conditions favorables par rapport à ça, d’un point de vue notamment réglementaire, sur des conditions d’appel d’offres par exemple. Mais en effet, j’ai plutôt tendance à croire que l’arrivée d’Amazon est une bonne nouvelle pour le football français, du moins pour son avenir.
La question de l’avenir est en effet intéressante. Par contre, sur le plan du présent, je suis un peu inquiet pour notre Ligue 1 et pour la Ligue de Football Professionnel (LFP). La LFP a pris un énorme risque en écartant une solution qui, même si elle n’était pas totalement satisfaisante, avait le mérite d’être extrêmement fiable avec Canal+ et beIN Sports. On a vu cet hiver que Canal+ était là pour dépanner et pour avancer des sommes importantes pour la trésorerie des clubs.
De plus, je me demande si il ne va pas y avoir des suites judiciaires : la LFP a gagné quelques étapes juridiques à l’occasion de cet appel d’offres mais il n’est pas interdit de penser que ça retournera au tribunal et que Canal+ et/ou beIN seront actifs sur ce dossier. Il est possible qu’ils essayent de déconstruire ce fameux lot à 332millions qui est essentiel pour le financement des clubs. Pour le présent, c’est donc un pari risqué.
Maintenant, est ce que faire rentrer Amazon est une solution d’avenir ? Dans un sens oui, puisque c’est la première fois qu’un GAFA est aussi bien placé, avec les meilleurs matchs. Amazon a déjà des matchs de Ligue des Champions dans certains pays et de Première Ligue, mais quelques- uns seulement. Là effectivement, on parle des meilleurs matchs, c’est donc une avancée assez importante.
Mais encore une fois peut-être qu’une étape intermédiaire qui aurait consisté à servir le client fiable Canal+ avec ces deux matchs laissait la possibilité de faire rentrer Amazon plus progressivement. Alors que là, finalement, il va falloir tout traiter en express et Amazon devra être très performant pour être encore présent en 2024. Je note donc plusieurs risques. Je comprends bien que la territorialité des droits est peut-être terminée et qu’Amazon représente un certain avenir. Mais dans ces conditions là, est ce une si bonne nouvelle ? J’émets des doutes.