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Une agriculture européenne 100% bio est-elle possible ? 

Cofinancé par l’Union Européenne. Les points de vue et opinions exprimés n’engagent que l’auteur ou les auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de l’Union européenne. Ni l’Union européenne ni l’autorité chargée de l’octroi ne sauraient en être tenues pour responsables.

📋  Le contexte  📋

Contrairement à l’agriculture conventionnelle, l’agriculture bio n’utilise pas de produits phytosanitaires ou d’OGM (organisme génétiquement modifié) et a donc moins d’impact sur les sols et la biodiversité. Des produits d’origine naturelle peuvent cependant être utilisés. À long terme, cela permet une meilleure santé des écosystèmes et une résilience des sols, tandis que l’agriculture conventionnelle serait en partie responsable de la disparition d’espèces d’insectes et d’oiseaux. En France en 2021, les surfaces bio représentent 10% du total des surfaces agricoles. La même année, la part de bio dans la consommation alimentaire des ménages est de 6,6%. Il existe enfin d’autres méthodes d’agriculture : l’agroécologie, par exemple, s’appuie sur les spécificités de chaque écosystème. Il peut s’agir d’utiliser des insectes pollinisateurs pour assurer la reproduction des plantes, ou encore de s’appuyer sur les spécificités du sol pour savoir quelles semences s’y développeront le plus facilement. L’agriculture biologique n’est ainsi pas la seule méthode respectueuse de l’environnement. Cette méthode et certaines autres sont donc mises en avant par les autorités pour assurer une transition dans notre modèle agricole.

Le soutien au secteur agricole constitue l’un des plus importants pôles de dépenses de l’Union et la nouvelle PAC (politique agricole commune) pour la période 2023-2027 soutient le développement de l’agriculture bio. En effet, avec la PAC, 34 milliards d’euros seront consacrés aux objectifs environnementaux et au développement de programmes écologiques. Un objectif est notamment de préserver la qualité des sols. Ainsi, les agriculteurs qui participent à ces programmes écologiques peuvent recevoir des financements supplémentaires (par exemple en limitant leur utilisation de pesticides). Avec la nouvelle PAC, les agriculteurs sont aussi encouragés à adopter des méthodes de production agroécologiques. En France, où la PAC représente 47% du budget public global alloué au secteur agricole, cela est mis en place dans le cadre du PSN (plan stratégique national). La PAC oriente donc la politique agricole française. Dans le cadre de l’éco-régime, une nouveauté, les agriculteurs bio bénéficient d’une aide supplémentaire, avec quatre paliers. Le palier le plus élevé (exploitations 100% bio) prévoit une aide à l’hectare de 97€ à 112€/ha chaque année.

L’agriculture biologique représente un nouvel enjeu de taille pour lutter contre le réchauffement climatique. En effet, d’après l’INSEE, en 2021, le secteur agricole était responsable de l’émission d’environ 81,2 millions de tonnes de CO2 en France (sur un total de 418,2 tonnes, soit 19.41% des émissions), ce qui classe ce secteur parmi les plus polluants. Face aux enjeux climatiques, certains estiment que passer à une agriculture bio, plus respectueuse de l’environnement, représenterait une partie de la solution. Les champs bio abriteraient des niveaux de biodiversité 30% plus élevés que dans l’agriculture conventionnelle. Néanmoins, des débats persistent quant aux rendements de l’agriculture biologique en comparaison avec l’agriculture conventionnelle. De plus, en 2022, la consommation de bio a diminué en France, notamment en raison de l’inflation et du pouvoir d’achat des ménages. Cela pose donc la question de l’écoulement de la production à l’heure où le bio reste en moyenne 40% à 50% plus cher que les aliments issus de l’agriculture conventionnelle. Enfin, certains agriculteurs et militants écologistes estiment que les aides de la PAC pour passer au bio ne sont pas suffisantes pour mener une réelle transition.

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🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Devrions nous passer à une agriculture 100% bio ?
Le « Pour »

Sélectionnez la tribune de votre choix :
Eric Andrieu
Député européen, Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates
Alimenter toute l’Europe avec une agriculture bio est possible

Une agriculture européenne 100% bio est possible ! Cela implique d’une part un besoin de moyens financiers considérables. Et d’autre part, la réduction du gaspillage, de la consommation de protéines animales et la mise en place de circuits courts. 

L’agriculture bio a impact moindre sur l’environnement, le climat et la santé humaine

Pour bien comprendre le sujet, il faut avoir une approche systémique et regarder l’impact de l’agriculture non biologique sur les variables environnementales, climatiques, sanitaires et de productivité. En comparant ces variables dans l’agriculture conventionnelle et celle bio, on comprend que cette dernière est certes moins productive, mais qu’elle a également impact moindre sur l’environnement, le climat et la santé humaine. Or, le coût économique de la dégradation de l’environnement ne cesse de s’accroître. Ce coût est aussi considérable sur la santé humaine et il faut le prendre en compte. Le passage à une agriculture complètement bio pourrait réduire ces coûts environnementaux et l’impact sur notre santé. 

L’augmentation de la surface agricole nécessaire pour passer d’une agriculture conventionnelle à une agriculture bio serait de l’ordre de 16% à 35% de terres cultivées en plus. Cela ne signifie pas une dégradation de l’environnement : les nouvelles terres agricoles ne seraient pas dégradées, étant donné que le bio est respectueux de l’environnement. Dans cette hypothèse, les émissions de GAS (gaz à effet de serre) du secteur agricole diminueraient de 3% à 7%. On peut donc augmenter la taille des surfaces agricoles tout en baissant les émissions de GAS. L’étude Afterres2050 menée en 2016 par l’association Solagro montre que si la France atteignait 50% de surfaces agricoles cultivées bio, elle pourrait nourrir 72 millions de Français en divisant par deux ses émissions de GAS et par trois son utilisation de pesticides. 

Le passage au bio est une solution réaliste à la crise écologique que nous vivons

Aujourd’hui, 30% des aliments sont jetés avant d’arriver dans l’assiette du consommateur dans le monde. La réduction du gaspillage alimentaire est possible si on limite la concurrence entre la nourriture destinée aux humains et celle pour le bétail, autrement dit en réduisant la consommation de protéine animale. 

Mon seul point de réserve est que le passage à l’agriculture bio est trop lent, alors même qu’il apparaît comme une solution réaliste à la crise écologique que nous vivons. Pour passer au bio, nous aurions besoin d’objectifs clairs, contraignants et chiffrés. Or, quand la nouvelle PAC a été votée, certains ont été en deçà des exigences nécessaires. Au regard des objectifs du pacte vert, la PAC devrait soutenir plus largement l’agriculture bio. Aujourd’hui, 1,8% des crédits lui sont alloués, alors que les terres cultivées bio représentent 8,5% du total des surfaces agricoles de l’UE. Il faudrait donc cibler les aides de la PAC à la conversion vers l’agriculture bio bien plus fortement qu’aujourd’hui. 

Passer à l’agriculture bio relève d’un choix politique

Pour cela, trois axes doivent être développés : premièrement, lutter contre la spéculation et les marges excessives des distributeurs pour garantir l’accessibilité des prix pour tous, car cette spéculation fait exploser les prix de l’alimentation et pousse les familles vers l’aide alimentaire. Deuxièmement, généraliser l’accès au bio dans les cantines et la restauration. Troisièmement, encourager tous les circuits courts entre producteurs et distributeurs. Les AMAP en France sont un bon exemple. 

Passer à l’agriculture bio relève donc d’un choix politique : si on veut vraiment atteindre la neutralité carbone à l’échelle européenne, notre politique agricole doit réellement participer à la transition climatique. Dans ce cadre, le bio a tout son rôle à jouer.


Malgré nos recherches, nous n’avons pas pu trouver de contributeur pour défendre cette thèse. Si vous êtes compétent et légitime ou que vous connaissez quelqu’un qui l’est, n’hésitez pas à nous contacter : contact@ledrenche.fr

Le « Contre »

Sélectionnez la tribune de votre choix :
Gil Kressmann
Membre de l’Académie d’agriculture de France et co-auteur du livre « Le tout bio est-il possible ? »
Une agriculture 100 % bio fragiliserait notre souveraineté alimentaire

Préconiser une agriculture européenne à 100 % bio en 2050 c’est généraliser une montée en gamme de toutes les productions agricoles. Est-ce possible et même souhaitable ? 

L’agriculture bio est moins productive que l’agriculture conventionnelle

Une conversion de 100 % des surfaces agricoles de l’UE à une production uniquement bio entrainerait une baisse importante de la production agricole compte tenu de l’infériorité des rendements des productions biologiques (bio) par rapport à ceux issus des agricultures conventionnelles, différences de l’ordre de 25% en moyenne, voire 50% en grandes cultures. 

Peut-on envisager, malgré ces baisses de production dues à la généralisation de l’agriculture bio, que l’agriculture européenne puisse répondre aux besoins d’une population qui atteindra près de 530 millions d’habitants en 2050 ? Selon plusieurs études (cf. l’étude de l’IDRI-TYPHA), cela serait possible quantitativement, mais à condition de manger moins de viande (-30%) et de diminuer de 50% le gaspillage alimentaire. C’est loin d’être gagné d’avance. 

Le bio coûte plus cher et la demande n’est pas assez forte pour écouler les stocks

La généralisation de l’agriculture bio moins productive que les agricultures conventionnelles alors que ses coûts de main d’œuvre sont plus élevés, se traduirait par une hausse généralisée du prix de revient des productions agricoles qui devrait être répercutée aux consommateurs. Quelle serait alors leurs réactions à cette augmentation des prix de leur alimentation ? Face à une offre européenne à 100% bio, quel serait le niveau de la demande de produits bio sur le marché européen ? 

Les consommateurs seront encore largement majoritaires à choisir des produits agricoles et alimentaires issus des agricultures conventionnelles parce que nettement moins chers. Ces produits proviendraient nécessairement de pays tiers qui auraient continué à développer une agriculture productive alors que ce type de production aurait disparu au sein de l’UE. Ainsi, une offre européenne de production 100% bio n’impliquerait nullement une demande de 100% bio de la part des consommateurs. 

Prenons l’hypothèse que la part de marché du bio dans l’UE soit de l’ordre de 30%, un chiffre élevé pour des productions haut de gamme. (Celle-ci est actuellement de 3 à 10% selon les pays) alors que 100% de la production européenne serait devenu biologique. En conséquences, 70% de la production agricole bio ne trouveraient pas de débouchés dans l’UE, mais devrait conquérir des marchés hors de l’UE pour écouler ses surplus.

Passer au 100% bio entraînerait une dépendance aux importations d’autres pays

L’UE devrait en même temps, pour satisfaire le segment de marché le plus important, à savoir celui de la grande consommation, importer massivement des productions agricoles non bio, issues de pays qui auraient conservé une agriculture productive et donc vendues à prix plus bas. 

Consacrer 100% des surfaces agricoles de l’UE à l’agriculture bio, alors que la demande des consommateurs européens resterait majoritairement une demande de produits à des prix abordables pour les classes moyennes, serait une erreur stratégique : elle condamnerait l’UE qui aurait délaissé le mode d’agriculture productive à se mettre sous la dépendance des importations en provenance des grandes puissances agricoles. 

Au total, la souveraineté alimentaire de l’UE produisant 100% bio serait gravement fragilisée puisque la plus grosse partie de notre consommation alimentaire resterait issue d’une agriculture productive que nous aurions abandonnée en Europe.


Philippe Stoop
Directeur Recherche & Innovation d’ITK, Membre Correspondant de l’Académie d’Agriculture de France
Une Europe 100% bio n’est pas une utopie, mais une dystopie

Une Europe 100% Bio est-elle possible ? Il y a 3 niveaux de réponse à cette question : la faisabilité agronomique, l’acceptabilité économique et sociale, et les conséquences environnementales. Le scenario prospectif TYFA, de l’IDDRI, explicite les conditions auxquelles une Europe sans pesticides ni engrais de
synthèse serait possible. Malgré l’optimisme des auteurs, on voit bien que certaines difficultés agronomiques sont loin d’être réglées, et que les conséquences pour les consommateurs et les agriculteurs (même bio) seraient drastiques.

Des impasses agronomiques évidentes

TYFA prévoit une forte baisse de la production agricole européenne (-35%), avec en particulier une baisse de 60 à 65% de la production de volailles et de porc. L’élevage bovin resterait à un niveau proche de sa production actuelle, mais uniquement en élevage herbager. Cette baisse de la production de protéines
animales serait compensée par l’augmentation des cultures oléoprotéagineuses, qui deviendraient majoritaires par rapport aux céréales. Ces hypothèses font l’impasse sur les difficultés techniques bien connues de l’agriculture bio : la fertilisation des cultures avec une fumure exclusivement organique n’est possible qu’en conservant une forte part d’élevage pour fournir ces engrais, d’autant plus qu’en élevage herbager, les effluents retournent directement à la pâture, et ne sont donc pas disponibles pour fertiliser d’autres cultures. Ils sont par ailleurs structurellement déficitaires en phosphore par rapport aux besoins des cultures.

Côté cultures, l’accroissement de la part des légumineuses, postulé par TYFA, nécessiterait un retour trop fréquent de ces espèces dans les rotations, ce qui pose des problèmes phytosanitaires non résolus à ce jour. Enfin, TYFA n’atteint un équilibre production/consommation qu’en postulant des écarts de rendement entre bio et conventionnel très inférieurs à ceux actuellement constatés.

Des conséquences économiques très lourdes, pour les consommateurs comme pour les agriculteurs européens…même bios !

Supposons ces difficultés techniques résolues, quelles seraient les conséquences économiques ? Dans le cadre de l’économie libre actuelle, la majorité des consommateurs ne pourrait supporter le surcoût d’une alimentation totalement bio, et se tournerait donc massivement vers les aliments conventionnels produits
hors Europe. L’offre alimentaire bio européenne serait donc très supérieure à la demande, ce qui provoquerait un effondrement des cours. Pour éviter ces réactions en chaîne, les auteurs de TYFA recommandent la mise en place de « clauses miroirs », pour fermer les frontières de l’UE aux produits qui ne répondraient pas à ses propres normes. Si par miracle l’UE les obtenait, cela voudrait donc dire que l’alimentation bio deviendrait obligatoire du jour au lendemain… sans pour autant protéger les agriculteurs européens de la concurrence du bio extra-européen !

Une incohérence environnementale

Tout cela pour quel bénéfice environnemental ? Les études d’impact montrent que l’agriculture bio a certes une empreinte environnementale plus faible par hectare que l’agriculture conventionnelle. Mais à cause des trop faibles rendements du bio, les analyses de cycle de vie (ACV) montrent qu’au contraire les aliments bio ont en moyenne un moins bon bilan carbone. Pour la biodiversité, les approches land sharing/land sparing montrent qu’en Europe le land sparing (maintien d’une agriculture intensive raisonnée, accompagné d’une restauration des espaces naturels, des infrastructures agroécologiques non productives, et des prairies pâturées) serait globalement plus favorable qu’une généralisation du bio (l’optimum restant une combinaison des deux approches).

Les scenarios décroissants comme TYFA ou Afterres 2050 montrent la bonne voie, en combinant développement de l’agroécologie, et baisse de la consommation de viande chez les citoyens. Mais leur postulat commun, de supprimer ou réduire arbitrairement les intrants de synthèse, sans en chiffrer les
impacts, les condamne à des impasses économiques, sans bénéfice clair pour l’environnement. Une approche mixte, combinant restauration des espaces semi naturels, avec un mix agriculture raisonnée/agriculture bio, où le bio ne serait favorisé que dans la limite où il répond à la demande des consommateurs, aurait de meilleures performances environnementales, avec un impact moindre pour les
consommateurs (changement de régime alimentaire et augmentation du coût de l’alimentation), et éviterait de mettre en péril la filière bio européenne.

 

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