Aung San Suu Kyi à nouveau condamnée : on vous explique tout !

Aung San Suu Kyi à nouveau condamnée : on vous explique tout !
Aung San Suu Kyi à nouveau condamnée : on vous explique tout !

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Aung San Suu Kyi a récemment été condamnée à 4 ans de prison par la junte militaire, pour “incitation aux troubles publics et violation des règles sanitaires liées au Covid”. Entre-temps, la condamnation a été réduite à deux ans. Mais la femme politique risque de finir ses jours en détention. On vous décrypte tout ça !

Que se passe-t-il en Birmanie ?


Pour rappel, nous avions déjà fait une infographie pour résumer la situation en Birmanie. Petit récapitulatif : En 1962 débute une dictature militaire. Entre 1962 et 2011, une succession de juntes (groupes de militaires qui se saisissent du pouvoir politique) gouvernent le pays. En 1989, pour rompre avec le passé colonial britannique, le gouvernement militaire rebaptise le pays : “Burma” (nom anglais) devient “Myanmar”. En Europe, les deux noms sont utilisés. En 1990, des élections sont organisées après 30 ans de dictature, et c’est le parti d’Aung San Suu Kyi, la “Ligne Nationale pour la Démocratie” (LND), qui remporte l’élection. La junte rejette cependant les résultats et Aung San Suu Kyi est assignée à résidence pendant 15 ans. En 2007 éclate la “Révolution de safran”, et une nouvelle constitution est proclamée pour apaiser les tensions : elle assure la majorité du pouvoir aux militaires. Une clause est annoncée : il est impossible pour les personnes mariées à des étrangers ou ayant des enfants étrangers d’accéder à des hautes fonctions politiques (cette clause vise Aung San Suu Kyi, ayant été mariée à un britannique).

Assignée à résidence, l’ex-dirigeante ne peut communiquer avec le monde extérieur que par l’intermédiaire de ses avocats. Elle entre finalement au Parlement avec son parti en 2012. En 2016, Aung San Suu Kyi est nommée ministre des Affaires étrangères et du Conseil de l’État (équivalent de premier ministre). Hin Kyaw, un membre de la LND, est nommé président de la Birmanie. Le rôle de l’armée dans les décisions politiques demeure néanmoins très important :  ils sont à la tête de trois ministères (l’Intérieur, la Défense et les Frontières). Pour le réduire, Aung San Suu Kyi envisage une réforme constitutionnelle (qui mettrait l’armée à l’écart du pouvoir). Elle obtient plus de 75% des sièges au Parlement aux élections législatives de 2021. La junte la renverse, assurant que plus de 11 millions de cas de fraude ont été détectés et déclare l’état d’urgence pour un an, promettant la tenue d’un scrutin “multipartite et démocratique […] d’ici août 2023”.

Birmanie : la junte militaire contre Aung San Suu Kyi, Le Monde

Qui est Aung San Suu Kyi ?

Née en 1945, Aung San Suu Kyi est la fille du général Aung San, figure de l’indépendance du pays, assassiné en 1947. Elle quitte la Birmanie à 19 ans et part vivre en Inde, puis en Grande-Bretagne. Elle y épouse un universitaire spécialiste du Tibet à Oxford, Michael Aris. En 1988, elle retourne en Birmanie et décide de s’impliquer dans le destin de son pays, en pleine révolte contre la junte militaire. Son premier discours, intitulé “Libérez-nous de la peur”, marque son entrée dans la vie politique. Elle déclare : 

« Ce n’est pas le pouvoir qui corrompt, mais la peur : la peur de perdre le pouvoir pour ceux qui l’exercent, et la peur des matraques pour ceux que le pouvoir opprime […]. Je ne pouvais pas, en tant que fille de mon père, rester indifférente à tout ce qui se passait »

Aung San Suu Kyi

La répression de 1988 fait environ 3 000 morts. Aung San Suu Kyi incarne l’espoir d’un retour à la démocratie pour le peuple Birman qui subit la dictature militaire depuis 1962. Alors qu’elle est assignée à résidence en 1990 suite au rejet de la victoire de son parti par la junte, elle reçoit le prix Sakharov pour la liberté de pensée, le prix Rafto en tant que personnalité ayant agi pour les droits de l’homme, puis le prix Nobel de la paix en 1991

Aung San Suu Kyi reçoit le prix Sakharov 23 ans plus tard, lors d’une cérémonie le 22 octobre à Strasbourg, 2013.

Parfois comparée à Nelson Mandela ou Martin Luther King, son image est ébranlée par la crise des musulmans Rohingyas. Le 25 août 2017 débute une répression menée par l’armée birmane, qui entraîne un exode de plus de 700 000 membres de la communauté. On reproche à Aung San Suu Kyi son silence. En effet, elle ne dirige ni les policiers ni les militaires responsables de la répression, mais elle ne s’est jamais opposée publiquement concernant cette politique, ce qui lui a valu les foudres de la communauté internationale.  

Les Rohingyas se réfugient dans des camps de fortune au Bangladesh et la Birmanie est accusée de génocide devant la Cour internationale de Justice (CIJ), le principal organe judiciaire des Nations Unies. Aung San Suu Kyi y nie “toute intention génocidaire” et défend son pays. En réaction, le Canada et plusieurs villes britanniques lui retirent son titre de citoyenne d’honneur. Amnesty International la prive notamment de son prix d’”ambassadrice de conscience”, qui lui avait été attribué en 2009. 

« En tant qu’ambassadrice de conscience d’Amnesty International, nous espérions que vous utiliseriez votre autorité morale pour dénoncer l’injustice partout où vous la verriez, même en Birmanie. Nous sommes consternés de constater que vous ne représentez plus un symbole d’espoir, de courage et de défense indéfectible des droits de l’homme. Nous vous retirons donc ce prix avec une profonde tristesse. »

Kumi Naidoo, secrétaire général de Amnesty International, 12 novembre 2018.

Fin 2018, la Corée du Sud lui retire le prix Gwangju des droits de l’Homme, remis en 2004.  Anne Hidalgo, maire de Paris, retire elle aussi à Aung San Suu Kyi la citoyenneté d’honneur de la ville. Les villes d’Oxford, Glasgow et Edimbourg en font de même.

« La déception fut grande car les attentes étaient irréalistes. Aung San Suu Kyi considère que l’ethnie majoritaire dont elle est issue, les Bamar, est supérieure et que ce sont eux les vrais Birmans, d’où son manque de considération pour les Rohingya. Il y avait aussi un calcul politique de sa part car elle devait se montrer conciliante avec les militaires et afficher son patriotisme. »

David Camroux, historien spécialiste de l’Asie du Sud-Est, maître de conférences au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po, pour France 24.

Quelles sont les accusations contre elle ?

Lors de son arrestation en février 2021, Aung San Suu Kyi est à nouveau assignée à résidence et les militaires nomment le général Myint Swe président par intérim. Depuis, la junte mène une répression contre les opposants au régime. On recense plus de 1 200 civils tués et plus de 7 000 en détention d’après une ONG locale, l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP). Des cas de tortures, de viols et d’exécutions extrajudiciaires ont aussi été rapportés. Un expert des droits humains de l’ONU qualifie ces répressions de “crimes contre l’humanité”. Le coup d’État a mis un terme brutal à la transition démocratique en cours en Birmanie depuis 2010.

Le 6 décembre, Aung San Suu Kyi est inquiétée pour des affaires de corruption, de fraude électorale, ou encore de violation des lois sur les télécommunications (pour possession de talkies-walkies sans licence). L’ancien président birman, Win Myint, et l’ancien maire de la capitale, Myo Aung, seront jugés à ses côtés. Au total, 12 accusations sont formulées contre Aung San Suu Kyi.

« La raison même de ce coup d’État était d’évincer Aung San Suu Kyi du paysage politique, C’est seulement dans un deuxième temps que les militaires ont essayé de trouver le plus d’éléments possibles pour justifier leurs actions et la maintenir à l’écart ; que ce soit en invoquant une supposée corruption ou une prétendue collusion avec des conseillers étrangers… »

Richard Horsey, conseiller sur la Birmanie auprès de l’ONG International Crisis Group, Le Figaro

Quelques heures après le verdict qui condamne Aung San Suu Kyi à quatre ans de prison, le chef de la junte, le général Min Aung Hlaing, annonce publiquement une “amnistie partielle” et réduit la peine de deux ans. L’ex-dirigeante birmane, 76 ans, est détenue dans un lieu inconnu depuis le coup d’État. Elle risquerait des centaines d’années de prison si elle est reconnue coupable de tous les chefs d’accusation.

Birmanie : la peine de l’ancienne dirigeante Aung San Suu Kyi réduite à deux ans de prison

« La réduction de peine ne change rien sur le fond, puisque Aung San Suu Kyi reste empêchée de faire campagne pour les prochaines élections, annoncées par la junte à partir d’août 2023. Par ailleurs, l’ex-dirigeante birmane fait face à d’autres accusations, pour des faits qui pourraient lui valoir jusqu’à une centaine d’années de prison au total. […] Ces condamnations relèvent de la vengeance et d’une démonstration de pouvoir de la part des militaires. Il serait toutefois surprenant qu’elle soit envoyée en prison. Il est plus probable qu’elle purge cette peine et les suivantes à son domicile ou dans une maison d’hôtes fournie par le régime. »

Richard Horsey, analyste de l’International Crisis Group, pour l’AFP.

Les journalistes n’ont pas le droit d’assister aux débats du tribunal, et les avocats d’Aung San Suu Kyi ont pour interdiction de parler aux médias. D’après un communiqué d’Amnesty International, la junte birmane cherche à asphyxier les libertés en emprisonnant Aung San Suu Kyi.

« Les lourdes peines infligées à Aung San Suu Kyi sur la base de ces accusations infondées illustrent une nouvelle fois  la détermination de la junte à éliminer toute opposition et à asphyxier les libertés au Myanmar. »

Ming Yu Hah, directeur régional adjoint d’Amnesty International chargé des campagnes.

Sources : 

Explique-moi… La situation en Birmanie, Le Drenche, 18/02/2021

Birmanie : six mois après le coup d’État, la junte promet des élections « d’ici deux ans », France 24, 01/08/2021

Aung San Suu Kyi, la sanglante déception, France 24, 31/12/2018 

Aung San Suu Kyi, la chute d’une icône devenue paria hors de son pays, France 24, 01/02/2021

Birmanie: Aung San Suu Kyi comparaît pour corruption, Le Figaro, 01/10/2021

En pleine détresse sanitaire, la Birmanie marque l’anniversaire des six mois du coup d’Etat, 01/08/2021

Procès d’Aung San Suu Kyi : un premier verdict attendu le 14 décembre, Ouest France, 09/11/2021

Birmanie : la peine d’Aung San Suu Kyi réduite de quatre à deux ans, Le Monde, 06/12/2021

Myanmar. Destruction effrénée des libertés alors qu’Aung San Suu Kyi est condamnée, Amnesty International, 06/12/2021

 

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