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Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
La baisse de la fiscalité du capital est favorable à la croissance
Les prélèvements obligatoires sur le capital représentaient 10,8 % du PIB en France en 2015, contre une moyenne de 8,4 % dans l’Union européenne et seulement 6,3 % en Allemagne.
Cette singularité française n’est probablement pas sans rapport avec nos médiocres performances économiques.
Pour que la croissance de la production soit plus forte, il faut que les entreprises recrutent et investissent beaucoup plus. Pour qu’elles investissent plus, il faut non seulement qu’elles anticipent une demande plus forte pour leurs produits mais aussi qu’elles trouvent les financements nécessaires.
Trouver les financements nécessaires
Elles ont notamment besoin de fonds propres pour amortir les chocs négatifs sur leurs résultats auxquelles elles doivent s’attendre. Une entreprise sans fonds propres et qui enregistre une perte est insolvable et doit rapidement déposer son bilan.
Les placements en actions sont toutefois risqués pour les ménages, leur rémunération étant par nature très volatile, et il faut donc les inciter plus fortement à prendre ce risque en améliorant le rendement après impôt de ces placements.
Les mesures votées fin 2017 vont dans ce sens, notamment : la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés (le plus élevé de l’Union européenne), qui leur permet de distribuer plus de dividendes ; la soumission de ces dividendes à un prélèvement forfaitaire plus favorable que le barème de l’impôt sur le revenu (dont le taux marginal supérieur est l’un des plus élevés de l’Union européenne quand on y ajoute le taux des prélèvements sociaux sur les revenus du capital) ; la suppression de l’ISF sur les actifs financiers.
Des mesures favorables à une accélération de la croissance
En outre, le relèvement de la fiscalité qui a été voté en même temps sur les placements non risqués, comme les contrats d’assurance-vie en euros, contribuera à plus orienter l’épargne des ménages vers le financement des entreprises.
Ces mesures sont donc favorables à une accélération de la croissance mais il ne faut pas en attendre des effets rapides.
Il faudra en effet beaucoup de temps pour que les comportements d’épargne des ménages et d’investissement des entreprises changent, notamment parce qu’ils doivent être d’abord convaincus que ces mesures sont pérennes et ne seront pas remises en cause pour réduire le déficit public par l’actuelle ou une nouvelle majorité parlementaire.
L'illusion du ruissellement
Mathieu Plane
Économiste à l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) à Sciences PoIl est difficile d’établir un lien entre niveau de fiscalité du capital et croissance à long terme d’un pays. Certains pays, comme la France, le Canada, le Royaume-Uni ou la Belgique, ont des hauts niveaux de productivité malgré une fiscalité sur le capital élevée quand d’autres ont une faible productivité en dépit d’une imposition sur le capital très basse.
Dans les pays de l’OCDE, c’est le cas de nombreux pays d’Europe de l’Est, du Chili ou de la Turquie. Ainsi, l’exception dans les pays les plus avancés économiquement proviendrait plutôt des pays scandinaves et de l’Allemagne qui associent une faible imposition du patrimoine et forte productivité. Peut-on donc pour autant déduire que baisser la fiscalité du capital va accélérer notre croissance ? La réponse est probablement non, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, la croissance à long terme dépend de nombreux facteurs, comme la qualité du système éducatif, la formation des travailleurs, l’organisation dans les entreprises, la place de la recherche et développement, les innovations et leur diffusion dans le système productif, la qualité des réseaux et des infrastructures. Ainsi, la performance structurelle d’une économie n’est pas directement raccrochée à la fiscalité du capital.
En revanche, les institutions internationales, comme le FMI et l’OCDE, ont bien montré que la hausse des inégalités avait un impact négatif sur la croissance. Or, la réduction de la fiscalité des plus hauts patrimoines conduit à accroître les inégalités. Deuxièmement, même si l’on admettait qu’il y ait un lien entre fiscalité du capital et croissance, la question du niveau de la fiscalité du patrimoine se pose lorsqu’une économie fait face à une contrainte de financement.
Un cadeau fait aux plus fortunés
Or, dans le cas de la France, les conditions de financement des entreprises sont historiquement bonnes. D’ailleurs, grâce à ces conditions favorables, à la remontée des carnets de commande et à l’amélioration des marges ou la mise en place d’un suramortissement fiscal sur les équipements industriels, l’investissement des entreprises en France s’est redressé de 13 % en trois ans, soit plus qu’en Allemagne par exemple. Ainsi, la reprise de l’investissement en France à partir de 2015 a été vive et ce malgré une fiscalité du capital élevée. Les moteurs de la croissance de l’investissement sont donc à chercher ailleurs que sur la fiscalité du patrimoine.
Enfin, si certains segments de l’économie française connaissent des problèmes de financement en capital, soit parce que les investissements sont trop risqués ou très innovants, alors la solution pour améliorer cette situation ne peut se faire en abaissant fortement la fiscalité des plus hauts patrimoines sans conditions d’investissement.
Si de réels besoins en capitaux sont identifiés, un fléchage de l’épargne des hauts patrimoines vers ces entreprises à fort potentiel et en manque de financement pourrait fonctionner. Or, sans fléchage par un mécanisme d’incitation fiscale, le ruissellement naturel de cette épargne a peu de chance de couler dans les bons tuyaux… Dans ce cas, la réforme de la fiscalité du capital apparaîtra plus comme étant un cadeau fait aux plus fortunés, plutôt qu’un réel levier pour accélérer notre croissance.