un paysage avec un immeuble

Faut-il annuler les dettes des États ?

📋  Le contexte  📋

Une dette est une somme d’argent que l’on doit à quelqu’un (source : Larousse).

La dette publique représente l’ensemble des emprunts émis par l’État, les collectivités publiques et les organismes qui en dépendent directement. Cette dette publique est détenue par des non-résidents français pour la majorité, ainsi que des établissements de crédit français, des assurances françaises, OPCVM et d’autres créanciers. L’Agence France Trésor gère cette dette publique.

NB : Le Drenche a fait une super infographie sur la dette.

Gérald Darmanin, le ministre de l’Action et des Comptes publics, a annoncé un plan d’urgence de soutien de 110 milliards d’euros. À cette dépense publique colossale, s’ajoute une baisse de l’activité économique (environ 35% selon l’Insee) et un déficit public estimé à 9% pour le moment, contribuant à augmenter la dette totale.

Or, la principale question réside actuellement sur le remboursement de la dette : comment rembourser ces milliards que l’État est en train d’emprunter pour nous sauver de la crise actuelle ? Les ménages français ont notamment peur de devoir la payer : hausse des impôts, baisse du pouvoir d’achat…

La France n’est pas la seule à prendre des mesures exceptionnelles. Son taux d’endettement se situe d’ailleurs dans la moyenne européenne. En effet, les estimations présentent une dette française qui s’élèverait à 110% du PIB, contre 97% du PIB dans la zone euro, 131% du PIB aux États-Unis et 250% du PIB au Japon.

Plusieurs spécialistes penchent sur la question du remboursement de ces dettes. Les réflexions se portent sur une annulation (totale ou partielle) des dettes contractées, des « coronabonds », une dette perpétuelle…

 

Sources : Insee, economie.gouv, Slate

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »

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Manon Aubry
Eurodéputée la France Insoumise, co-Présidente de la Gauche unitaire européenne
Rembourser la dette ne peut être l'horizon des peuples européens

Dans les prochains mois, les dettes publiques vont exploser. Alors que faire ? Rembourser la dette ne peut pas devenir l’horizon des peuples européens. Les gouvernants risquent de se servir de cette épée de Damoclès pour imposer des cures d’austérité inédites. Un chantage à la dette que le Medef utilise déjà pour demander à ce que l’on travaille plus sans gagner plus. Mais ce n’est pas au peuple de payer cette crise !  

Il y a tant de dépenses utiles et nécessaires à engager ! Pour reconstruire nos systèmes de santé publics démantelés par des années d’austérité. Pour investir massivement afin de rétablir notre souveraineté industrielle et planifier la conversion écologique de nos économies. Pour préparer le vieillissement de nos populations et enfin nous occuper dignement de nos aînés. 

Nous devons donc trouver le moyen d’annuler au moins une partie des dettes souveraines. Un chemin pragmatique, rationnel et civilisé existe. La Banque centrale européenne détient déjà le cinquième des dettes des États européens. Elle peut transformer ces titres en « dette perpétuelle ». Du fait de leur taux d’intérêt nul et avec l’inflation, ils fondraient progressivement. Nous pouvons donc geler ces dettes à hauteur de ce que les États ont dû dépenser pour faire face aux crises sanitaire et sociale, ainsi que pour engager la relance et la bifurcation de leurs systèmes de production.

C’est possible immédiatement et sans changer les traités européens. De plus en plus d’économistes, de tous bords, défendent d’ailleurs cette politique comme la seule viable à cette heure. 

Notre proposition est une solution d’urgence, applicable tout de suite. Mais à l’avenir, la Banque centrale européenne doit pouvoir financer directement les États sans passer par les marchés. Cela nécessite  de réécrire entièrement les traités européens et de modifier les statuts de la banque centrale pour financer des projets publics d’intérêt général sans nourrir la bulle financière spéculative. 

Régler le problème de la dette est une première étape. Mais il faudra l’accompagner d’une refonte globale de notre système fiscal, ce qui permettra de réduire les inégalités et de redonner les moyens aux États de financer leurs services publics. Il faut marcher sur deux jambes : rompre avec le dogme de l’impuissance monétaire d’un côté et rétablir la justice fiscale en faisant contribuer les très grandes fortunes et les multinationales de l’autre. Sans cela, le monde d’après ne restera qu’une chimère.


Profil de Manuel Bompard
Manuel Bompard
Député européen / Chef de la délégation France insoumise au Parlement européen / La France insoumise
Nous ne pouvons pas avoir pour seul horizon de rembourser la dette

La pandémie du Covid-19 a conduit au confinement de plus de la moitié de la population mondiale. L’activité économique a été réduite dans des proportions jusqu’ici inédites. La récession qui vient sera comparable par son ampleur à celle de 1929. Selon les estimations du Fonds monétaire international, la contraction du PIB de la zone euro pourrait atteindre 7,5%. Les dépenses publiques pour faire face à la crise économique vont s’ajouter à celles engagées dans la bataille sanitaire. Les dettes des États membres vont donc logiquement exploser.

Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Nous pouvons nous entêter dans le mirage du remboursement de cette dette. C’est une voie sans issue. Les sacrifices seront immenses et sans horizon de sortie. Ils grèveront nos capacités budgétaires, empêchant les investissements publics indispensables aux objectifs de demain : la réparation d’un système de soin usé par des années d’austérité ; la reconstruction d’une souveraineté industrielle maltraitée par l’obsession libre-échangiste ; la bifurcation immédiate de notre économie pour faire face à l’urgence climatique et environnementale.

Heureusement, une autre voie s’offre à nous. Un chemin existe pour annuler une partie de la dette, de manière rationnelle, pacifique et civilisée. Depuis 2015, la Banque centrale européenne, via les banques centrales nationales du système européen des banques centrales (« SEBC »), a ainsi engagé un programme de rachat des dettes souveraines sur le marché secondaire, auprès des créanciers privés. Du fait de ce programme la Banque de France détient dans ses coffres environ 20% de la dette publique française*. Elle peut transformer ces titres en « dette perpétuelle » ou, si l’éternité fait peur, en dettes à très long terme. Du fait de leur taux d’intérêt nul et avec l’inflation, elles fondraient progressivement, sans qu’aucun créancier ne soit floué.

Dans un premier temps, nous pouvons donc annuler ces dettes à hauteur de ce que les États ont dû dépenser pour faire face aux crises sanitaire et sociale, ainsi que pour engager la bifurcation de leurs systèmes de production. Dans un second temps, la Banque centrale européenne continuant de racheter des dettes souveraines sur le marché secondaire, elle pourrait répéter cette transformation pour financer des investissements durables.

Cette proposition n’a rien d’irréaliste : elle était proposée dès 2017 par France Stratégie. De plus en plus d’économistes la défendent comme l’unique viable à cette heure. C’est la seule qui permet en tout cas de construire un autre horizon que celui du remboursement de la dette.

Le « Contre »

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Hubert de Vauplane
Avocat associé
Annuler les dettes publiques n'est ni possible ni souhaitable

Quand on parle d’annuler une dette, il ne faut pas oublier que c’est le créancier seul qui peut décider de ne pas exiger le remboursement de la dette. Et il n’est pas sûr qu’il l’accepte ! L’annulation par le débiteur n’est pas possible. 

Qu’est-ce que l’annulation des dettes publiques ?

Une première option serait de faire supporter à tous les créanciers une annulation de tout ou partie de la dette souveraine française qu’ils détiennent. Le problème est que parmi ces créanciers il y a nos organismes de retraite, de prévoyance, d’assurance-vie… Cela reviendrait à léser les Français tout comme les non-résidents. Une seconde option est de ne faire porter cette annulation que sur la seule BCE dans la mesure où celle-ci détient entre 25 et 35 % de la dette souveraine des États membres de la zone euro, et que la BCE et les États membres, c’est « presque » pareil. Mais c’est oublier que cette décision décrédibiliserait la BCE et que l’euro risquerait de s’effondrer, et les taux d’intérêt de grimper en flèche. 

Est-il techniquement possible d’annuler les dettes publiques européennes ?

Sans l’accord des créanciers, non. Et même avec l’accord de la BCE comme principal créancier, non plus. En effet, les statuts de la BCE et les traités de l’Union européenne ne permettent pas à la BCE de financer les États. À défaut d’annulation, est-il alors possible de ne jamais rembourser et uniquement de payer les intérêts de la dette publique en transformant celle-ci en dette perpétuelle ? Non, car là encore, les traités européens et les statuts de la BCE doivent être modifiés. Ce qui est long et pas gagné compte tenu de la position de certains pays ! 

Est-il souhaitable d’annuler les dettes publiques ?

Non, car annuler la dette publique se traduit inévitablement par un coût économique (les créanciers demanderont des réformes structurelles) et financier (emprunter coûtera plus cher à l’État car les créanciers ne feront plus confiance à un pays qui n’a pas honoré son engagement) ; l’annulation de dette revient à considérer que la France est en faillite… ; annuler une dette publique est la démonstration d’un pays sclérosé et bloqué qui n’a pas pu faire les réformes nécessaires au bon moment. Ne pas rembourser sa dette, c’est enfin considérer que l’argent n’a pas de prix, et que les « autres » peuvent payer pour moi. Mais « les autres » ce sont les générations futures. Annuler sa dette revient à faire porter le coût de cette décision sur nos enfants.


profil Jézabel Couppey
Jézabel Couppey-Soubeyran
Maîtresse de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Professeure associée à l’École d’économie de Paris
De la monnaie hélicoptère aujourd’hui plutôt que des annulations de dettes demain !

À vrai dire, je ne suis pas défavorable aux annulations de dette et je pense même qu’elles seront inévitables. Les dettes d’aujourd’hui seront difficilement soutenables demain, surtout dans la zone euro. Mais je pense que des transferts non remboursables de monnaie centrale (monnaie hélicoptère) seraient plus efficaces.

C’est pour combler des pertes que les États et les entreprises ont besoin de liquidité aujourd’hui. Or, combler des pertes ce n’est pas investir : la dette n’est pas le bon instrument cela. À moins de partager le risque avec une dette mutualisée (« coronabond ») ou d’envisager une dette perpétuelle, les dettes d’aujourd’hui devront être annulées demain.  

L’alternative écartant le risque d’insoutenabilité serait un transfert de monnaie centrale sans remboursement* : une véritable monétisation de la dépense publique ou, dit autrement, de la monnaie hélicoptère pour les États. 

Serait-ce une alternative folle, au motif qu’il n’y a pas d’argent magique ? La monnaie que la banque centrale créerait pour la transférer au Trésor serait ni plus ni moins magique que celle créée pour ses achats d’actifs. Ce serait juste une façon différente de la distribuer. Certes, le transfert direct de monnaie centrale occasionnerait une perte au bilan de la banque centrale. Mais cela ne l’empêcherait nullement de fonctionner (cf. BRI**).

Serait-ce une alternative inutile, au motif qu’une dette annulée équivaudrait à un transfert non remboursable ? Non, car ce n’est pas équivalent, surtout si l’annulation se décide dans l’urgence d’une crise aggravée. Je doute pour cela de la possibilité de conditionner ces annulations à quoi que soit, comme un engagement écologique pourtant souhaitable. L’incertitude sera grande du côté des créanciers privés, car il y en aura, même si la BCE en vient à détenir une grande part de la dette des États membres. Mieux vaudrait s’éviter cela, alors que la monétisation libérerait totalement la dépense publique en écartant le risque d’insoutenabilité. Bien sûr, les États auraient à rendre des comptes de leurs dépenses et le dispositif ne durerait pas au-delà de la crise. 

Cette alternative bute sur les dispositions actuelles du traité européen. N’est-il pas temps de les amender pour sauver l’Europe ? À crise exceptionnelle, réponse exceptionnelle !

*Voir : « La « monnaie hélicoptère » contre la dépression dans le sillage de la crise sanitaire », par Jézabel Couppey-Soubeyran, Note Veblen, 17 avril 2020.

** « Central bank finances », par David Archer et Paul Moser-Boehm, BIS Papers n°71, Monetary and Economic Department April 2013.

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