Brésil : détruire la forêt est-il un crime contre l’humanité ?

Amazonie, bolsonaro et Roani

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Ce vendredi 22 janvier, le chef indigène kayapo Raoni Metuktire a déposé une plainte contre le président brésilien Jair Bolsonaro devant la Cour Pénale Internationale pour crimes contre l’humanité. Rédigée par l’avocat français William Bourdon, cette plainte accuse le chef d’Etat brésilien de meutres, d’extermination, de transferts forcés de population, de mise en esclavage et de persécutions à l’encontre des autochtones vivant en Amazonie. 

Depuis l’arrivée au pouvoir du président d’extrême-droite, la déforestation s’est grandement accélérée. Les agences pour la protection de l’environnement ont été démantelées et rattachées à l’armée, de nombreux pesticides toxiques ont été autorisés et la démarcation des terres indigènes a été placée sous la tutelle du ministère de l’Agriculture, livrant cette épineuse question à la merci des gigantesques entreprises agricoles et des lobbies. L’activité minière, l’orpaillage et l’agriculture ont été largement favorisés par ces mesures. 

Au 30 novembre 2020, l’Institut National de Recherches Spatiales brésilien (INPE) estimait que le déboisement de la partie brésilienne de l’Amazonie avait augmenté de 9,5% suite à ces politiques. Ainsi, 11 088 km² auraient été perdus entre août 2019 et juillet 2020, soit la superficie de la région Ile-de-France. 

« En déclarant la région amazonienne ouverte aux affaires, Jair Bolsonaro a donné la priorité aux profits des grandes entreprises plutôt qu’au bien-être des personnes vulnérables. Des zones protégées continuent à être incendiées pour que l’élevage commercial de bétail puisse s’y développer », juge Richard Pearshouse, principal conseiller d’Amnesty International pour les situations de crise et l’environnement.

Au total, 63% des zones déforestées entre 1988 et 2014 ont été transformées en pâturages pour le bétail, ce qui représente cinq fois la superficie du Portugal. La culture industrielle du soja, également, fait des ravages. Premier exportateur mondial, le Brésil ne compte pas s’arrêter en si bonne voie et tente de produire toujours plus, en rognant sur la forêt amazonienne. Afin de préparer les terres à cette culture, celles-ci sont déforestées puis incendiées. Or les feux se propagent à la forêt à proximité, détruisant la biodiversité. 

En outre, conséquence directe de la politique de Bolsonaro, les territoires des populations autochtones diminuent à vue d’œil et leurs ressources aussi. La plainte déposée devant la Cour Pénale Internationale pointe également du doigt l’assassinat de sept chef indigènes suite aux politiques du président brésilien depuis son arrivée au pouvoir en janvier 2019. 

Constituée petit à petit depuis septembre 2019, cette plainte présente notamment 21 pièces à conviction visant à prouver la volonté du gouvernement brésilien de “piller les richesses de l’Amazonie” et d’imposer “des conditions de vie insupportables aux autochtones de certaines régions, afin de les forcer à se déplacer de territoires convoités par les agriculteursselon les mots de Me William Bourdon. La plainte s’appuie sur des témoignages et sur l’analyse de rapports de dizaines d’ONG locales et internationales et de décisions prises depuis l’entrée en fonction de Jair Bolsonaro : « Depuis son investiture, la destruction de la forêt amazonienne s’est accélérée sans commune mesure : augmentation de la déforestation (…), taux d’assassinat de leaders autochtones le plus élevé depuis ces onze dernières années, effondrement et menaces des agences environnementales…« .

La Cour Pénale Internationale, qu’est-ce que c’est et comment ça marche ?

La plainte a été déposée devant la procureure Fatou Bensouda. Mais celle-ci n’est pas obligée de la prendre en compte. Pourquoi ? 

Créée en 2002 et siégeant à la Haye aux Pays-Bas, la Cour Pénale Internationale (CPI) est définie par Amnesty International :

Cette cour permanente peut engager des enquêtes et des poursuites pour des crimes lorsque les autorités nationales ne peuvent ou ne veulent pas le faire. La Cour Pénale Internationale (CPI) engage des poursuites contre les auteurs présumés d’actes de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées.”

Ainsi, la CPI n’a pas pour objectif de remplacer les systèmes de justice pénale nationaux mais de les compléter.  Elle n’agit qu’à l’égard des crimes les plus graves énoncés ci-dessus (génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre) et est également compétente pour les crimes d’agression depuis 2018. Ce dernier est défini par le Statut de Rome comme l’emploi par un État de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies.

De plus, seuls des individus peuvent être poursuivis par la CPI, et non des Etats et son action n’est pas rétroactive, c’est-à-dire qu’elle n’a pas de portée sur les actes commis avant sa création en 2002. 

Sa compétence est uniquement effective dans les pays ayant ratifié le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, ou sur les ressortissants desdits pays. Elle ne peut donc pas agir dans un État qui n’est pas signataire du Statut. En l’occurrence, le Brésil l’a signé et ratifié.

Enfin, cette institution est complètement indépendante et, bien qu’elle travaille en collaboration avec les Nations Unies, elle n’en fait pas partie. 

Dernier critère, la Cour Pénale Internationale peut-être saisie de trois manières : 

  • Par un Etat partie au Statut de la CPI qui portera l’affaire devant le Bureau du Procureur,
  • Par le Conseil de Sécurité de l’ONU qui demandera au Bureau du Procureur d’ouvrir une enquête,
  • Par le Bureau du Procureur lui-même qui décidera de sa propre initiative d’ouvrir une enquête en se basant sur des sources dignes de confiance. 

Le Bureau du Procureur est un organe décidant de la validité ou non des affaires portées à sa connaissance. C’est lui qui décide de l’opportunité d’ouvrir une enquête. 

Comment ça s’applique par rapport au Brésil ? 

Dans le cas de la plainte déposée par le chef Raoni, celle-ci va être examinée par le Bureau du Procureur, qui décidera ou non de la prendre en compte. Le Brésil étant signataire du Statut de la CPI, les actes commis sur le territoire brésilien par Jair Bolsonaro, ressortissant brésilien, entrent dans son champ de compétence. De plus, la ratification du traité lève l’immunité propre aux chefs d’Etat s’ils se rendent coupables de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre ou d’agression. Jair Bolsonaro pourrait donc risquer gros. Toutefois, il est difficile de savoir pour l’instant ce qui arriverait s’il était reconnu coupable de crime contre l’humanité. Il n’a pour l’instant pas réagi à cette annonce.

En conclusion ?

L’appréciation de la Cour Pénale Internationale pourrait bien changer la donne. Comme chacun le sait, la déforestation toujours plus rapide de l’Amazonie est dramatique pour les peuples autochtones mais aussi pour la planète entière. Par ailleurs, cette action devant la CPI tombe alors que Jair Bolsonaro fait déjà face à de nombreuses contestations suite à sa mauvaise gestion de la crise sanitaire, notamment, fait inédit, provenant d’une partie de la droite du spectre politique brésilien. 

Sources : Le Monde, Courrier International, Amnesty International, Franceinfo, Le Figaro, France24, Cour Pénale Internationale.

 

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