📋 Le contexte 📋
Dans ce débat, nous nous concentrons sur la notion d’écologie politique : l’écologie étant à l’origine une discipline scientifique, elle n’a pas d’orientation politique. Toutefois, l’écologie politique peut être définie comme la volonté de mettre en exergue les enjeux environnementaux dans l’action politique et l’organisation sociétale. Plus simplement, l’écologie politique, c’est insister sur l’amélioration de la relation que nous entretenons à la nature et placer cette relation comme un pilier de notre société.
Aujourd’hui, l’environnement est un thème abordé par des groupes politiques de tous bords, en premier lieu par le parti Europe Ecologie – Les Verts (EELV), qui se poste plutôt à gauche du paysage politique. Toutefois, ce sujet n’est plus seulement l’apanage d’EELV, et des voix plus à droite revendiquent leurs propres agendas écologiques. Seulement voilà : pour certains, l’écologie est fondamentalement de gauche en ce qu’elle englobe nécessairement des enjeux de justice sociale de lutte contre le néolibéralisme, qui seraient, eux aussi, davantage priorisés par les mouvements de gauche. Pour d’autres, l’écologie n’est pas exclusivement réservée à la gauche, et trouverait de solides fondations politiques chez les partis plus conservateurs : l’écologie s’affranchirait de toute étiquette partisane.
A un an des élections présidentielles de 2022, à quelques semaines des élections régionales et surtout parce que les enjeux environnementaux sont devenus des passages obligés pour quiconque souhaite être élu, il est important de définir ce qu’est l’écologie, et les formes politiques qu’elle peut prendre. Déterminer ce qu’est l’écologie permet également d’imaginer et de découvrir de nouveaux arguments en faveur de la protection de l’environnement, et de mettre en exergue les différentes valeurs sur lesquelles peuvent reposer la lutte contre le réchauffement climatique.
🕵 Le débat des experts 🕵
Il a fallu quelques années pour que l’écologie s’ancre à gauche. Dans les années 1970 et 1980, les principes écologistes paraissaient difficilement compatible avec le consensus qui régnait entre les autres familles politiques, qui faisaient du développement économique l’horizon premier de nos destinées, sans égard pour ses conséquences sur l’environnement. Mais l’axe gauche-droite, qui structure la vie politique française depuis 1789, a une forte capacité d’absorption. Aujourd’hui, quel que soit l’indicateur utilisé, l’écologie est de gauche, en premier lieu parce qu’elle n’est pas de droite.
Si l’on regarde du côté des enquêtes d’opinion, les personnes les plus sensibles à l’écologie partagent les valeurs traditionnellement associées à la gauche– en faveur de la redistribution des richesses et de l’encadrement du marché, ouvertes sur les questions de migration et de libertés individuelles. Si elles sont nombreuses à refuser de se positionner sur l’axe gauche-droite, elles sont plus nombreuses encore à se situer à gauche de l’échiquier politique – beaucoup moins à droite.
Si l’on regarde du côté du mouvement social, c’est pareil. Les revendications des ONG environnementales sont désormais portées par les organisations classiques de la gauche, les syndicats, les associations de solidarité ou d’éducation populaire. Les coalitions comme le Pacte du pouvoir de vivre, Plus jamais ça ou la Primaire populaire sont les meilleurs exemples de cette jonction. On ne trouve aucun exemple de coalitions similaires entre des associations environnementales et des organisations associées à la droite, comme le Medef, la FNSEA ou le syndicat Alliance Police nationale.
Et puis, l’écologie se situe à gauche si l’on regarde du côté du champ partisan : les écologistes ont repris à leur compte les enjeux portés par les grands courants de la gauche. Le courant républicain et radical d’abord, celui qui a mis à bas la Monarchie puis s’est battu pour une éducation émancipatrice, pour les libertés, la démocratie, et pour le droit à demander des comptes à l’Etat. Ils reprennent aussi à leur compte les enjeux portés par les courants socialistes et communistes, l’encadrement du marché au service de l’intérêt général, la bataille pour l’égalité quel que soit son origine, sa religion, son genre ou son identité sexuelle. D’un point de vue stratégique, EELV ne tisse d’ailleurs d’alliances qu’avec des partis de gauche et écologistes. C’est grâce à ces alliances, souvent dès le premier tour, que le parti a obtenu les victoires municipales de 2020. Les rares conquêtes de gauche ont donc été portées par la dernière arrivée dans cette grande famille : l’écologie politique.
A première vue, tout semble clair. L’écologie penche à gauche, divise la droite, quand elle ne nourrit pas chez elle un vieux complexe. Et si le regard de l’historien laissait apparaître une réalité plus nuancée ?
Politiquement, l’écologie est née dans les années 1970. La droite est alors au pouvoir. L’enjeu n’a pas la portée électorale qu’il a pris de nos jours, et pourtant : une sensibilité environnementale « conservatrice », mêlant souci des conséquences et préservation du donné, s’affirme au gré des discours et des législations.
Pensons à George Pompidou, créateur du ministère de l’Environnement, qui fit voter en 1973 une loi sur les « espaces boisés à conserver ». Espaces formant autant de contrepoids esthétiques et naturels à une « vie moderne » à la fois tumultueuse et affadie par « son cadre de béton, de bitume et de néon ».
Pensons à Valéry Giscard d’Estaing, auteur en 1975 d’une loi visant la préservation du littoral des risques d’urbanisation. Interrogé par un journaliste qualifiant cette initiative « de gauche », le président de la République répondit : « l’écologie, c’est avoir peur pour ce qui existe… C’est aussi ça, être de droite ! ». Des mots qui méritent que l’on s’y attarde, tant ils résument à eux seuls une disposition d’âme au fondement même de la pensée conservatrice : « ce sentiment, résumait Roger Scruton, auteur de Green philosophy en 2012, que toutes les personnes d’âge mûr partagent sans mal : le sentiment que les choses bonnes peuvent être aisément détruites, mais non aisément créées ».
Comprise en ces termes, la « peur pour ce qui existe » n’est donc pas le prélude du repli, mais la marque d’un attachement, le produit d’une conviction : celle qui donne au déjà-là (la faune, la flore, tel paysage, tel art de vivre, tel patrimoine…) le visage de la fragilité et à l’homme la mission de le sauvegarder.
Ainsi légitime-t-elle l’existence d’un « principe de précaution », inscrit dans notre constitution sous la présidence de Jacques Chirac. Principe qui ne consiste pas à arrêter le progrès, mais à en questionner le sens.
A l’heure où le déploiement des éoliennes s’institue au mépris de la beauté de nos paysages, de notre indépendance énergétique et du devenir de nos pécheurs et fonds marins, comme en baie de Saint-Brieuc, un tel questionnement s’impose. Et rappelle l’actualité d’un certain regard conservateur sur l’environnement.