immeuble avec beaucoup de végétation

Les écoquartiers : symboles de gentrification ?

📋  Le contexte  📋

Un écoquartier est une zone urbaine organisée, aménagée et gérée pour promouvoir une ville plus durable. Il entre dans le cadre de la démarche du Développement durable : il s’agit d’allier des critères environnementaux (transports en commun, recyclage de déchets, éco-construction…) aux critères sociaux (mixité sociale et fonctionnelle avec des logements, commerces…) et économiques. La démarche écoquartier a été lancée en France en 2009 en l’application de la loi Grenelle 2 (dans le cadre du plan Ville durable), mais elle existe depuis plus longtemps notamment en Europe du Nord (avec des quartiers “écologiques”).

“Gentrification” signifie “embourgeoisement” et décrit une tendance qui a été définie en 1963 par la géographe anglaise Ruth Glass. Selon elle, il s’agit d’un processus à travers lequel les ménages appartenant aux couches moyennes et supérieures s’installent dans les quartiers populaires, réhabilitent les logements, et contribuent donc à l’augmentation des prix dans le quartier. Il en résulte une éviction des couches les plus populaires qui ne peuvent plus suivre financièrement l’augmentation du niveau de vie. La gentrification évolue dans sa définition aujourd’hui, et aussi dans ses formes : en plus des logements, l’espace public peut aussi être marqué par celle-ci (mobilier urbain ou style architectural) ainsi que les commerces (plus chers et qui recherchent un public plus aisé)

L’écoquartier affiche clairement un objectif social en s’intégrant dans la stratégie de développement urbain liée au Développement durable (DD). De nombreux logements sont disponibles sur critères sociaux pour encourager la “mixité sociale” et permettre aux populations les plus défavorisées d’avoir accès à ces quartiers. Pourtant, certains regrettent que la démarche reste largement un “entre-soi” qui n’arrive pas à être plus inclusive socialement. Les écoquartiers participeraient à l’augmentation des prix des zones dans lesquelles ils sont construits, et seraient socialement et culturellement très marqués par une classe sociale.

🕵  Le débat des experts  🕵

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Les écoquartiers : symboles de gentrification ?
Le « Pour »
François Valegeas
Maître de conférences en urbanisme à l’université Paul-Valéry Montpellier 3, chercheur au sein du laboratoire Acteurs, Ressources et Territoires dans le Développement. Co-animateur du réseau scientifique Approches Critiques du Développement Durable.
Le « durable » au service d’une montée en gamme de la production urbaine

Les écoquartiers sont des emblèmes d’une ville durable à venir. On peut y voir une forme de gentrification dans ces écoquartiers, pour au moins 2 raisons.

Des écoquartiers pour attirer les catégories supérieures

Dans la concurrence que se livrent les villes, le « durable » est un argument décisif pour attirer des investisseurs et les classes supérieures, qui tireraient le développement économique des grandes villes vers le haut. Le marketing urbain et les écoquartiers sont des outils de ce mythe de l’attractivité. Il s’agit d’attirer des professions supérieures par un cadre de vie privilégié (par exemple les cadres et désormais les télétravailleurs), ou d’éviter le départ des familles de classes moyennes ou supérieures vers la périphérie des villes.

Certes, une majorité d’écoquartiers intègrent une part de logements sociaux (régulièrement 20 ou 30 %). C’est d’ailleurs un argument central face à l’accusation de gentrification. Mais il ne faut pas oublier d’une part qu’en France 70% des ménages sont éligibles au logement social. D’autre part, les villes ont l’obligation de proposer 25% de logements sociaux. Proposer moins que cela dans un quartier c’est organiser le déficit de logements accessibles au plus grand nombre à l’échelle d’une ville. De plus, divers outils sont déployés pour sélectionner les ménages dans le parc social, en construisant la gamme de logements sociaux aux loyers les plus élevés, ou en jouant sur certaines caractéristiques des logements pour éviter les familles nombreuses. 

La gentrification passe aussi par une hiérarchisation des modes de vie

Les écoquartiers ont aussi l’objectif de transformer certaines pratiques quotidiennes pour les rendre plus durables. Or la manière dont on définit cette norme des pratiques « écoresponsables » pose problème, car elle déclasse les catégories populaires, alors même qu’elles sont les plus vertueuses du point de vue de l’empreinte écologique. Le modèle de l’« éco-citoyen » est souvent celui du ménage de cadres, qui a adopté de bonnes pratiques au quotidien, mais qui parfois possède un S.U.V. ou part en weekend en avion…

Les discours moralisateurs et les injonctions à transformer son mode de vie, à entretenir son logement différemment, à s’alimenter autrement… sont plus fortes envers les ménages les plus précaires, qui n’ont pas choisi d’habiter là, qui sont plus vulnérables socialement (emplois précaires, familles nombreuses ou monoparentales). Or les classes populaires ont une empreinte écologique plus faible, ne serait-ce que parce qu’elles prennent rarement l’avion, s’inscrivent dans des réseaux de solidarité locaux, et adoptent des formes de sobriété par le jardinage, le réemploi ou le recyclage. 

Il faut inverser le regard : nous avons beaucoup à apprendre des cultures populaires pour penser une transition socio-écologique.

 

Le « Contre »
Philippe Clergeau
Professeur d'écologie urbaine au Muséum National d'Histoire Naturelle
Non, les EcoQuartiers ne sont plus réservés

Un EcoQuartier est un projet d’aménagement urbain qui veut intégrer des objectifs de développement durable, en prenant en compte un ensemble d’enjeux environnementaux (réduction des consommations énergétiques et de l’eau, gestion des déchets, favoriser les mobilités douces et les écomatériaux…) avec des niveaux d’exigence impliquant notamment les participations habitantes.

Beaucoup des premiers EcoQuartiers (au début des années 2000) ont plus été des vitrines et des éléments de communications politiques que de vrais démonstrateurs innovants. Les critiques ont donc été nombreuses tant sur la qualité des objectifs et sur des projets purement architecturaux que sur les populations visées. L’idée que ces quartiers favorisaient à la fois par les couts d’accessibilité et par les comportements écologiques attendus une population aisée et « bobo » semblait fondée. Les critiques sur la gentrification de ces quartiers et sur un manque d’intégration de la biodiversité ont été d’autant plus nombreuses que le terme a été largement galvaudé et utilisé par de nombreuses collectivités sans label et sans référence aux exigences attendues.

Il y a eu cependant une évolution très nette depuis quelques années du concept même d’EcoQuartier, de ses exigences et de son objectif. Ainsi depuis 2016, le label s’est renforcé d’un quatrième niveau (label étape 4) permettant d’apprécier la qualité de vie du quartier bien après sa livraison et par l’enrichissement de son référentiel de 20 engagements regroupés autour de 4 dimensions (démarche et processus, cadre de vie et usages, développement territorial, environnement et climat). Le président Alain Jund donnait un nouveau cap à ce label en voulant en faire un modèle d’exemplarité. Beaucoup d’Ecoquartiers ne sont pas encore des super modèles d’urbanisme écologique mais les engagements attendus ont largement redressé leur qualité et plusieurs peuvent être effectivement cités comme de beaux exemples de quartier durable (voir site du ministère). Le nouveau président, Florian Bercault, affiche clairement des objectifs de « démonstrateur de la ville de demain » et de « démarche qui doit devenir rapidement encore plus populaire ». 

Aujourd’hui, il ne semble plus possible de critiquer les EcoQuartiers sur le phénomène de gentrification tant des quartiers populaires ont pu être réhabilités sous ce label (Les Mureaux, Lyon, Saint Brieuc, Saint-Pierre (Réunion), etc.). Ces Programmes de Rénovation Urbaine, de plus en plus nombreux, profitent maintenant pleinement aux populations les moins aisées, la réhabilitation des HLM de Pessac (33) en sont un bel exemple.

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