Petite fille qui regarder par la fenêtre

L’état d’urgence sanitaire est-il une bonne façon de gérer l’épidémie ?

📋  Le contexte  📋

L’état d’urgence sanitaire est une mesure exceptionnelle prévue par la loi du 23 mars 2020 (articles L3131-12 dans le code de la santé publique). Il peut être prononcé en cas de “catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population”. Cette mesure est prise en Conseil des ministres par décret pour une durée d’un mois, et peut être prolongée par une loi votée au Parlement. Elle permet au Premier Ministre de prendre par décret des mesures de restriction de libertés (d’aller et venir, fermeture provisoire de certains établissements etc.). Ces mesures doivent être nécessaires et proportionnées, et peuvent être attaquées devant le juge.

L’état d’urgence sanitaire a été déclaré pour la première fois le 23 mars 2020, prolongé une fois au Parlement jusqu’au 10 juillet en métropole, et à Mayotte et Guyane jusqu’au 17 septembre. Lorsque ce premier régime d’exception a pris fin, il a été mis en place un régime transitoire à partir du 11 juillet. Suite à la reprise de l’épidémie à la fin de l’été, l’état d’urgence a été remis en place le 17 octobre 2020 et une loi l’a prolongé jusqu’au 16 février (Vie Publique). Récemment, il a à nouveau été prolongé par une loi jusqu’au 1er juin 2021(Les Echos).

Par définition, l’état d’urgence doit être mis en place dans un cadre précis, et prendre fin lorsque la menace contre laquelle il lutte a disparu. C’est sur ce point que l’état d’urgence sanitaire fait débat : ce contre quoi il a été créé n’aura a priori pas vraiment de fin claire, ce qui peut inquiéter quant à l’arrêt du régime d’exception. Aussi, s’il est fait pour pouvoir permettre aux pouvoirs publics de prendre des décisions adéquates pour lutter efficacement, il peut être aussi l’occasion d’adopter des mesures liberticides qui ne prendront pas forcément fin avec la fin de la crise.

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Le « Pour »
Sacha Houlié
Député de la Vienne et président-rapporteur de la mission d’évaluation du régime juridique de l’état d’urgence sanitaire
L’urgence sanitaire limite la liberté de tous pour protéger la santé de chacun

Le régime juridique de l’état d’urgence sanitaire aura bientôt un an. Bâti en quelques jours en mars 2020, nous y avons encore recours pour lutter contre le virus. L’ampleur de la tâche est résumée par le philosophe florentin Nicolas Machiavel « ne rien prévoir pour faire face aux situations d’exception est périlleux (…) Mais prévoir un dispositif de secours énergique l’est tout autant ».

Par nature, aucun régime d’urgence n’est providentiel. L’état d’urgence sanitaire fait peser des contraintes extrêmement fortes sur nos vies car il limite la liberté de tous pour protéger la santé de chacun. Il est rendu indispensable par la réactivité attendue des pouvoirs publics face à une situation épidémiologique sans cesse évolutive et la peur qu’elle suscite.

En matière sanitaire, les préventions ont été nombreuses (confinement, couvre-feu…). Ces mesures ont permis de faire reculer l’épidémie et assurent aujourd’hui à la France la moins mauvaise situation sanitaire en Europe.

En matière économique et sociale, les protections ont été sans égales dans le monde (aides aux entreprises et aux personnes en difficulté). Leur adoption s’est traduite par une reprise d’activité durant l’été et une érosion moins sévère du pouvoir d’achat des Français. Les difficultés que nous avons connues ont été corrigées, qu’il s’agisse de l’approvisionnement en masque ou des tests réalisés d’abord insuffisamment mais désormais proposés très largement et gratuitement. Des décisions ont pu être adaptées au fil des semaines, comme la réouverture des écoles qui n’ont plus été fermées depuis, ou la réouverture projetée des universités.

Le juge administratif a assuré son rôle en contrôlant étroitement la légalité des actes du gouvernement, ce qui l’a conduit à se prononcer en faveur de l’autorisation des manifestations ou de la pratique des offices religieux. Parlementaires, nous avons voté à six reprises sur la durée de l’état d’urgence et toujours débattu sur les sujets importants comme les mesures du premier déconfinement, celles du deuxième confinement, l’application de traçage ou la stratégie vaccinale. Ces débats, périodiques et (très) contradictoires, ont assuré pour partie le nécessaire débat démocratique sur la gestion de l’épidémie rappelant que si les scientifiques conseillent, il revient aux représentants du peuple, responsables devant lui, de trancher. A ce titre et comme je l’ai écrit dans un rapport, je suis convaincu que notre rôle doit être renforcé.

L’état d’urgence sanitaire apporte des réponses utiles à la crise. Mais il est tout aussi certain qu’il ne peut pas durer. Nous y veillons.

Le « Contre »
Sarah Massoud
Secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature.
L'état d'urgence sanitaire : un prurit législatif tout sauf sain pour notre Etat de droit

Il est compréhensible, et même attendu, que dans une situation exceptionnelle, des mesures exceptionnelles soient édictées. Mais, la création d’un régime d’exception est lourde de conséquence puisque par nature un tel régime percute les règles fondamentales d’un Etat de droit. Par définition en effet, un état d’urgence permet aux autorités d’exercer de manière discrétionnaire un très large éventail de pouvoirs qui, en temps normal, nécessiteraient une autorisation judiciaire et un contrôle parlementaire.

Après seulement quelques mois de recul, nombreux sont les effets néfastes engendrés par l’état d’urgence sanitaire : inflation règlementaire, insécurité juridique, atteintes disproportionnées aux libertés fondamentales, inégalités sociales renforcées, garde-fous institutionnels asséchés… De surcroît, les risques de contamination du droit commun par des dispositifs dérogatoires sont réels, preuve en est l’expérience récente de l’état d’urgence « anti-terroriste » dont les mécanismes juridiques, qui étaient censés être exceptionnels et transitoires, ont été maintes fois prorogés, avant d’être finalement pérennisés et parfois détournés de l’objectif initial, à savoir la lutte contre le terrorisme (divers dispositifs de cet état d’urgence étant utilisés dans d’autres cadres, comme le maintien de l’ordre).

La gestion de l’épidémie commande-t-elle ou justifie-t-elle de tels renoncements juridiques ? De telles atteintes disproportionnées aux droits des personnes ? Était-il nécessaire d’insérer dans notre ordonnancement juridique un nouvel état d’urgence ? Une analyse sereine de l’arsenal législatif en vigueur nous démontre que non.

Rien que le dispositif de police sanitaire de l’urgence prévu à l’article L.3131-1 du code de la santé publique, sans parler des dispositions contenues dans le code général des collectivités territoriales ou celui de l’action sociale et des familles, est suffisant pour maîtriser l’occupation des espaces publics, la circulation des personnes infectées ou susceptibles de l’être et optimiser les systèmes de soins. Cette option a d’ailleurs été évoquée dans l’étude d’impact accompagnant le projet de loi instaurant l’état d’urgence sanitaire, et a surtout permis au pouvoir exécutif dès janvier 2020 de prendre dans l’urgence des mesures d’ampleur et très diversifiées (mises en quarantaine, fermetures des commerces, des lieux culturels, réquisitions de médicaments et de matériels, déploiements des réserves sanitaires, limitations des déplacements, actionnement du Plan bleu dans les EHPAD…). Seule la décision de confinement général de la population aurait nécessité une simple modification de cet article, encore que…

En clair, l’état d’urgence sanitaire agit comme un prurit législatif mettant en danger notre Etat de droit, sans plus-value protectrice pour la santé des personnes.

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