Conflit israélo-palestinien : une sortie de crise est-elle envisageable ?

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Depuis près de deux semaines, on assiste à une escalade des violences entre Israël et la Palestine, avec un bilan total d’au moins 240 victimes, en majeure partie palestiniennes. 

Les sources du conflit israélo-palestinien

Le conflit israélo-palestinien est l’un des conflits les plus complexes de l’histoire moderne. Il s’illustre d’une part par une opposition entre religions (principalement l’islam et le judaïsme) mais surtout, d’autre part, par une opposition entre peuples (d’un côté les populations arabes essentiellement composées de musulmans, de chrétiens et des Druzes et d’autre part les juifs israéliens) qui se disputent le territoire de Palestine. 

Pour comprendre ce conflit, il faut remonter à la fin de la Première Guerre mondiale. En 1917, la Palestine, qui appartenait à l’Empire ottoman déchu, passe sous mandat britannique. La même année, l’Empire Britannique signe la déclaration Balfour dans laquelle est envisagée la création d’un foyer national juif en Palestine, territoire correspondant aux antiques royaumes de Juda et d’Israël. Or, en Palestine, les tensions entre populations juives et musulmanes préexistent et le Royaume-Uni y a également promis la création d’un Etat musulman sur le même territoire.

Texte de la Déclaration Balfour, 1917.

A la sortie de la Première Guerre mondiale, la population juive en Palestine est minoritaire. Toutefois, notamment suite à la déclaration Balfour et du fait des pogroms et de l’antisémitisme latent en Europe occidentale, les juifs émigrent massivement vers la Palestine. Alors qu’en 1917, la population juive y vivant est estimée à environ 70 000 individus, elle passe à plus de 650 000 individus à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette immigration massive cristallise les tensions entre différentes populations. 

Face à la complexité de la situation, la Grande-Bretagne confie le dossier à l’Organisation des Nations Unies nouvellement créée. Un plan de partage de la Palestine est voté, divisant le territoire entre les populations juive et arabe et plaçant la ville de Jérusalem, particulièrement source de tensions puisque considérée comme “trois fois sainte” c’est-à-dire par les trois religions monothéistes, sous contrôle de l’ONU.

Malgré l’opposition des dirigeants palestiniens qui refusent de céder une partie du territoire palestinien, l’Etat d’Israël proclame son indépendance le 14 mai 1948. 

Les débuts du conflit (1948-1967)

Dès le lendemain, le jeune État d’Israël est envahi par des forces armées arabes composées entre autres d’Egyptiens, de Jordaniens, de Syriens, d’Irakiens et de Palestiniens. L’Etat hébreu en sort pourtant vainqueur et élargit son territoire à la majeure partie de la Palestine, annexant notamment Jérusalem-Ouest qu’il instaure comme capitale en 1950. Parallèlement, l’Egypte administre la bande de Gaza tandis que la Transjordanie récupère Jérusalem-Est et la Cisjordanie, fondant le royaume de Jordanie. Le projet de fondation d’un État de Palestine est abandonné. Ce conflit a pour conséquence un exode massif simultané des Palestiniens vers les pays arabes environnants et des populations juives de ces mêmes pays arabes vers Israël. 

Frontières israéliennes suite à la guerre d’indépendance (1948-1949).

La Guerre des Six-Jours (1967)

Ces frontières demeurent relativement stables jusqu’à la Guerre des Six-Jours en 1967. Les tensions montent tout au long des années 1960. En 1964, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) est créée, intensifiant la lutte des Palestiniens contre les forces israéliennes.

Parallèlement, l’Egypte forme plusieurs alliances avec la Syrie, l’Irak et la Jordanie puis, en 1967, elle remilitarise le Sinaï et ferme le détroit de Tiran, passage stratégique du transport maritime israélien, aux navires de l’État hébreu. La Syrie, de son côté, bombarde régulièrement Israël depuis le Plateau de Golan. En réaction au blocus du détroit de Tiran, Israël lance alors une offensive éclair contre la péninsule du Sinaï. En moins d’une semaine, elle détruit les aviations égyptienne, syrienne et jordanienne et vainc les troupes arabes sur tous les fronts. Elle triple ainsi son territoire, y ajoutant le Plateau de Golan, préalablement syrien, Jérusalem-Est et la Cisjordanie, territoires jordaniens, ainsi que la bande de Gaza et la péninsule du Sinaï appartenant à l’Egypte.

Conquêtes israéliennes au terme de la Guerre des Six-Jours (1967).

Cette démonstration de force marque les esprits, assurant l’implantation d’Israël dans la région notamment avec la prise particulièrement symbolique de la totalité de la ville de Jérusalem. Cependant, cela accentue d’autant plus les tensions avec les pays arabes du Proche et du Moyen-Orient et le rejet de l’instauration d’un Etat juif dans la région. 

Depuis 1967 

La Guerre des Six-Jours définit encore aujourd’hui le contexte géopolitique de la région. Si l’Etat hébreu a quitté la quasi-totalité des territoires alors occupés, il demeure présent à Jérusalem-Est et dans une partie de la Cisjordanie où des colonies israéliennes se sont installées. Ces colonies sont considérées comme illégales au regard du droit international.

La fin du XXème siècle est essentiellement marquée par des conflits quasi-constants entre Israël et les Palestiniens représentés par l’OLP qui est soutenue par de nombreux pays arabes.

Manifestante portant le drapeau du Hamas, Turquie.

Par ailleurs, la population palestinienne vivant sous l’occupation israélienne se révolte, notamment lors des deux intifadas (guerres des pierres) entre 1987 et 1993 puis entre 2000 et 2006. Ces révoltes s’expriment à travers des mouvements de désobéissance civile, des émeutes et des attentats notamment dirigés par le Hamas. Elles sont violemment réprimées par le gouvernement israélien. Ainsi, malgré les accords de paix successifs (Accords de Camp David, Accords d’Oslo…), les violences ne cessent jamais durablement.

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Le Hamas est un mouvement politique islamiste et militaire palestinien principalement présent à Gaza et considéré comme une organisation terroriste notamment par l’Union Européenne et les Etats-Unis. Il est fondé en 1987 et issu des Frères musulmans. Ils soutiennent que “la terre de Palestine est une terre islamique” et prônaient à l’origine la destruction de l’État d’Israël et l’instauration d’un État islamique palestinien sur tout le territoire de l’ancienne Palestine mandataire. Plus récemment, ils réclament “l’établissement d’un État palestinien entièrement souverain et indépendant dans les frontières du 4 juin 1967, avec Jérusalem pour capitale”, c’est-à-dire essentiellement constitué de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Depuis 2004, le Hamas a pris de l’importance sur le plan politique palestinien et s’affiche désormais comme opposant principal à Mahmoud Abbas et au Fatah, l’organe dirigeant de l’OLP. Malgré les différentes tentatives de réconciliation entre les deux mouvements pour ne former qu’une Autorité palestinienne, les dissensions restent réelles et le Fatah est peu influent à Gaza.

Les tensions entre d’une part les Israéliens et d’autre part, les Arabes israéliens (descendants des Palestiniens restés sur leurs terres après la création de l’État hébreu) et les Palestiniens de Cisjordanie occupée, de Gaza sous blocus et de Jérusalem-Est annexée, se sont ravivées sous le gouvernement de Benyamin Netanyahou, en place depuis 2009. En cause notamment, les colonies israéliennes qui continuent de s’étendre sur les territoires palestiniens occupés. 

La reconnaissance de Jérusalem comme capitale israélienne par les Etats-Unis en 2017 jette de l’huile sur le feu. En 2020, Donald Trump présente un plan de paix entre Israël et la Palestine prévoyant l’annexion par Israël de ses colonies existantes et affirmant Jérusalem comme capitale de l’État hébreu. En même temps, 50 milliards de dollars seraient débloqués par la communauté internationale pour favoriser la création d’un État de Palestine à Gaza et dans une partie de la Cisjordanie. Israël conserverait toutefois les rives du Jourdain marquant la frontière avec la Jordanie. Ce plan est immédiatement refusé par le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. 

Carte conceptuelle de la Palestine et d’Israël selon le plan de paix de Donald Trump (2020).

Pourquoi un regain de violence ces dernières semaines ?

Tout au long du mois d’avril 2021, les heurts entre israéliens et palestiniens se multiplient sur fond de calendriers religieux juif et musulman coïncidant. 

Le quartier de Cheikh Jarrah à Jérusalem-Est cristallise notamment la crispation des deux camps. En effet, en 1948, alors que Jérusalem-Est passe sous contrôle jordanien, les familles juives y habitant sont chassées et des familles palestiniennes s’y installent. Mais Jérusalem-Est est désormais sous occupation israélienne et les colons israéliens revendiquent ces propriétés. Une bataille juridique est ainsi engagée depuis des dizaines d’années pour en déterminer les propriétaires. Or, selon la loi israélienne, si des juifs peuvent prouver que leur famille vivait à Jérusalem-Est avant la guerre de 1948, ils peuvent demander à ce que leur soit rendu leur “droit de propriété”.

Manifestation contre l’éviction de familles palestiniennes à Cheikh Jarrah, 2010.

Selon Noa Pinto, de l’association israélienne Ir Amim, qui soutient les Palestiniens de Jérusalem “L’injustice est inscrite dans le système judiciaire lui-même.(…) Le fait est que selon la loi israélienne, si vous êtes Palestinien, vous ne pouvez pas récupérer votre propriété d’avant 1948 [à Jérusalem-Ouest], si vous êtes israélien, vous le pouvez”. Cette bataille juridique qui s’est récemment muée en affrontements provoqués par des ultra-nationalistes israéliens. La justice israélienne a annoncé un report d’un mois de la décision de la Cour Suprême sur le dossier de l’éviction des résidents palestiniens de Cheikh Jarrah afin d’apaiser une situation déjà très tendue. 

Un contexte explosif

Cheikh Jarrah n’est pas le seul point de tension à Jérusalem. L’esplanade des Mosquées, troisième lieu saint de l’islam et premier lieu saint du judaïsme est également un catalyseur. Les règles y sont pourtant strictes et nombreuses : les juifs ne peuvent par exemple visiter l’esplanade qu’à certaines heures précises et seuls les musulmans ont le droit d’y prier. Mais le 7 mai, des affrontements y éclatent entre la police israélienne et des Palestiniens faisant plus de 200 blessés

Le contexte est explosif, à l’approche de la fin du ramadan et de la Journée de Jérusalem le 10 mai, jour de la célébration de la réunification de Jérusalem par les Israéliens – en d’autres termes, la conquête et l’annexion des quartiers palestiniens de Jérusalem-Est en 1967. Des colons religieux défilent traditionnellement ce jour-là dans la vieille ville, lors de la marche des Drapeaux, éternelle source de provocation envers les populations palestiniennes. La décision a donc été prise à la dernière minute d’annuler la marche des Drapeaux pour ne pas raviver les tensions. 

Pourtant, la journée du 10 mai se mue à nouveau en journée d’affrontements sur l’esplanade des Mosquées, jusque dans la mosquée Al-Aqsa. Selon le Croissant-rouge, plus de 500 Palestiniens ont été blessés

La mosquée Al-Aqsa sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem.

Ce même-jour, le Hamas menace Israël de représailles si l’Etat hébreu ne retire pas ses troupes de l’esplanade des Mosquées et du quartier de Cheikh Jarrah. Mais suite aux affrontements, le point de rupture est atteint. Le 11 mai, le Hamas envoie plus de 150 roquettes sur Israël depuis Gaza. La plupart sont interceptées par le bouclier anti-missiles israélien mais la riposte de Tsahal, l’armée israélienne, est immédiate et la bande de Gaza est massivement bombardée

Depuis, les affrontements continuent entre le Hamas et Israël. Dans certaines villes “mixtes”, des violences intercommunautaires entre israéliens et palestiniens ont lieu, notamment à Lod où des fusillades éclatent. Les violences se propagent également en Cisjordanie. Le 14 mai, l’immeuble de l’agence de presse Associated Press et du média Al-Jazeera sont détruits à Gaza.

Au 20 mai, on dénombre près de 250 victimes dont plus de 230 du côté palestinien. Le 21 mai, le Hamas et Israël acceptent finalement un cessez-le-feu négocié par l’Egypte après 11 jours de violences. Cependant, sans vainqueur ni conditions de paix, l’accord est fragile ; rien ne garantit son respect dans les prochains jours. 

Crise politique et montée des extrêmes

Ce regain de tension survient également sur fond de crise politique en Israël. Benyamin Netanyahou, premier ministre depuis 2009, a été mis en minorité aux élections législatives du 23 mars dernier et n’est pas parvenu à former un gouvernement de coalition. Il est également poursuivi par la justice pour corruption. 

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le président américain Donald Trump, 2017.

Simultanément, des mouvements d’extrême-droite israéliens émergent de plus en plus. Il y a un mois, les troupes du mouvement extrémiste Lehava avaient déjà marché dans Jérusalem aux cris de “Mort aux Arabes”, avant d’aller provoquer les Palestiniens à Cheikh Jarrah. Ils ont notamment été encouragés par leur allié, le député suprémaciste israélien Itamar Ben-Gvir, récemment accusé de jeter l’huile sur le feu par sa rhétorique agressive et ses provocations incessantes. 

Parallèlement, le mouvement islamiste du Hamas prend de plus en plus d’ampleur comme représentant privilégié des populations palestiniennes. 

Pourquoi la notion d’apartheid a-t-elle été évoquée ?

Selon le Larousse, un apartheid correspond à la discrimination, voire l’exclusion, d’une partie de la population, qui ne dispose pas des mêmes droits, lieux d’habitation ou emplois que le reste de la collectivité.

L’existence d’un apartheid anti-palestinien en Israël a été mise en avant par une enquête de l’ONG Human Rights Watch. Le regain des tensions entre Israéliens et Palestiniens met en effet en lumière la réalité d’un système d’oppression des populations palestiniennes par l’Etat hébreu sur les territoires occupés. Sous couvert d’une loi israélienne discriminatoire, les mesures défavorables aux Arabes israéliens et aux Palestiniens se sont multipliées et les troubles à Cheikh Jarrah constituent un des nombreux exemples. 

Sur la base de ses recherches, Human Rights Watch conclut que le gouvernement israélien maintient une domination délibérée de la population juive israélienne sur les Palestiniens à travers Israël et les Territoires occupés”, souligne le rapport. Lorsque cette “domination délibérée” s’ajoute à une “oppression systématique” et à des “actes inhumains”, “il s’agit du crime d’apartheid”, conclut l’ONG. 

Ce rapport survient quelques semaines après l’annonce par la Cour pénale internationale (CPI) de l’ouverture d’une enquête sur des crimes présumés commis par Israël depuis 2014 dans les territoires occupés. Cette annonce a été qualifiée d’antisémite par le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. 

En conclusion ?

Alors que les affrontements qui ont lieu depuis deux semaines sont les plus violents depuis 2014, rien n’assure aujourd’hui que le cessez-le-feu durera. Face aux revendications des deux camps, la situation semble de plus en plus inextricable et la possibilité d’une sortie définitive du conflit israélo-palestinien paraît aujourd’hui encore bien loin. 

Sources : Le Monde, franceinfo, Human Rights Watch, Le Point, RFi, France inter, France 24, Courrier International, Le Larousse, Les Echos, Mediapart, BBC, Le Dauphiné Libéré, Al Jazeera, The Times of Israel, Libération, The Guardian, Le Monde Diplomatique, Peace and War: The Arab–Israeli Military Balance Enters the 21st Century, Anthony H. Cordesman, La question de Palestine à partir de 1949, Henry Laurens,

 

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