📋 Le contexte 📋
Le porno est une industrie qui a explosé au cours de la dernière décennie.
Plutôt encouragée par les confinements à succession que victime de la crise économique, le site spécialisé Le Tag Parfait estime que le chiffre d’affaires de l’industrie revient à 5 milliards de dollars par an.
Le groupe MindGeek monopolise cette industrie, ayant racheté les plus grandes plateformes de streaming en 2009. Parmi celles-ci, PornHub, site qui a comptabilisé plus de 42 milliards de visites en 2019. Toutes les 9 minutes, 24 heures de contenu sont mises en ligne sur le site et 219 985 vidéos sont visionnées par minutes. Assez vertigineux.
Une critique souvent adressée à l’industrie du porno est qu’elle produit du contenu fait par des hommes, pour des hommes. L’impact sociétal de l’objectification des femmes, la représentation graphique de contenu pornographique hard, de violence fantasmée ou d’extrême soumission féminine fait débat.
Le porno mainstream repose sur le mauvais traitement des actrices porno. Le modèle économique dominant propose des vidéos très courtes, filmées de manière rudimentaire, avec des actrices qui changent sans cesse. La parole s’est libérée récemment sur la banalisation des agressions sexuelles sur les tournages – entre autres, lorsqu’une scène non-prévue dans le contrat est imposée à l’actrice, ou que les scénarios sont plus violents que prévus.
Toutefois, de nouvelles voix s’élèvent dans l’industrie du porno, notamment par la réalisatrice Ovidie ou Erika Lust. Plus minoritaires à ce jour, ces voix revendiquent l’existence d’un porno éthique (ou alternatif), qui respecte les actrices et nourrit l’imaginaire sexuel féminin aussi bien que le masculin. Des productions moins phallocentrées, qui transforment l’objectification masculine en outil d’émancipation.
Mettant en lumière une des fractures au sein du féminisme contemporain, les critiques du porno éthique, situées théoriquement dans la mouvance du féminisme radical, considèrent que le porno est immoral, tant par sa réalisation que par sa diffusion, et n’est qu’une forme légalisée d’exploitation sexuelle.
🕵 Le débat des experts 🕵
La pornographie populaire, dite « mainstream » est utilisée comme bouc-émissaire pour expliquer des maux de société alors qu’ils existent de façon institutionnalisée. L’industrie cinématographique populaire crée depuis toujours des narrations normalisant la culture du viol, justifiant la misogynie, les fétichisations des femmes racisées, le racisme, le validisme, le classisme, la queerphobie. Cela est vrai pour les films familiaux, d’horreur, romantiques ou d’aventure.
Il serait hypocrite d’attendre du cinéma pornographique populaire qu’il soit le seul à exister en dehors de ces normes discriminatoires en le tenant comme responsable d’oppressions systémiques dont les origines sont antérieures à la pornographie moderne. Les fantasmes sexuels étant souvent dépouillés de principes moraux, il serait contre-productif pour la pornographie populaire de ne vendre que des images de sexe pseudo-romantique. Aucune entreprise capitaliste ayant pour seul objectif le profit ne peut être considérée comme éthique au sein d’une société si profondément inégalitaire.
Cependant, dans la pornographie indépendante, moins connue, les performeur.euse.s choisissent leurs partenaires, les pratiques réalisées et filmées et les conditions de tournage. La rémunération pour la prestation et la cession de droits à l’image est aussi plus élevée. La priorité n’est plus de générer de l’argent mais bien de diffuser une image positive et empouvoirante de nombreuses sexualités dans une société aux normes sexuelles binaires et globalement désinformée au sujet des anatomies humaines, des pratiques sexuelles et des identités de genre.
Cette pornographie est queer et militante, parfois éducative, toujours inclusive de diverses morphologies, genres, sexualités (cf : Carré Rose Films, Lustery, Fours Chambers) Cette pornographie est déculpabilisante, émouvante, drôle, douce, intense. À l’image de nos sexualités. À l’image de nos vies. Elle donne le pouvoir aux performeur.euse.s, notamment lorsqu’elle est herbergée par elleux-mêmes sur des plateformes telles Mym, Manyvids ou Onlyfans et qu’iels bénéficient de l’entièreté des revenus générés par leurs contenus.
Il existe deux réalités qui se déroulent simultanément. Celle perçue par les dominant.e.s, baissant leurs yeux dédaigneux vers les autres, ignorant leurs démarches et méprisant leurs vécus. Et il y a celle des personnes altérisée. L’expérience des oppressions systémiques a permis aux personnes queer de créer un mouvement de cinéma pornographique éthique, humain, axée sur l’empathie et la représentation de leurs sexualités, ignorées par la pornographie populaire.
Il existe une pornographie éthique. Pour la consommer il faut la rechercher, il faut admettre que la pornographie a une culture, divers sous-genres et une histoire comme tout genre cinématographique.
L’industrie de la pornographie s’est construite sur la violence des hommes ainsi que sur la domination, l’humiliation, la dégradation et la cruauté envers les femmes. Les théoriciennes du féminisme radical définissent la pornographie comme la représentation graphique de la subordination des femmes et de l’inégalité.
Il est impossible de transformer une industrie qui dépend de l’objectification et de la marchandisation du corps et de la sexualité des femmes, qui transforme les femmes en objets destinés à l’usage et à l’abus des hommes, en une pratique « éthique» ou « féministe».
Bien que ce prétendu porno éthique ou féministe soit proposé comme solution au porno violent et misogyne qui domine l’industrie, les gens ne semblent pas être très intéressés à en regarder. Statistiquement parlant, le porno éthique ne compte pas. Il ne représente qu’une part minuscule de l’industrie, et ce n’est certainement pas le porno éthique qui fait prospérer cette industrie de près de 200 milliards de dollars.
La barre de ce qui constitue un porno « éthique» est incroyablement basse, et ne fait généralement référence qu’aux conditions de production, telles que la rémunération et les conditions de travail équitables, les représentations de divers types de corps et de sexualités, le consentement et l’authenticité. Le contenu réel de la pornographie « éthique» est souvent impossible à distinguer de la pornographie sexiste et violente du courant dominant.
Dans la critique de Rebecca Whisnant sur le travail de Tristan Taormino, un soi-disant « pornographe féministe », il a été noté que les représentations de la violence contre les femmes, telles que le bâillonnement, l’étranglement, la gifle ou les injures misogynes étaient encore courantes. « Soit il est éthique et honorable de « jouer avec » et de promouvoir les dynamiques d’humiliation et de violence qui terrorisent, mutilent et tuent les femmes au quotidien, soit ce n’est pas le cas », conclut le rapport.
Le site web Kink.com, où les femmes sont attachées, pendues la tête en bas et battues, et soumises à du « water bondage », cela parmi d’autres violations des droits de l’homme, est présenté comme un autre exemple de porno « éthique», malgré le fait qu’un certain nombre d’actrices aient déclaré avoir fait l’objet d’abus.
Nous devons également nous rappeler que les femmes sont lésées non seulement dans la production de matériel pornographique, mais aussi dans sa consommation. L’érotisation et la normalisation de la violence sexuelle des hommes à l’égard des femmes entraînent de graves complications dans le monde réel pour les femmes, même si les performeuses consentent et sont payées.