des joueurs de rugby en pleine action

Rugby : faut-il abaisser la ligne de plaquage à la taille dans le rugby professionnel ?

📋  Le contexte  📋

Technique défensive phare du rugby, condition sine qua non de son spectacle dixit certains, le plaquage consiste à stopper la progression de l’adversaire en le faisant tomber. Depuis l’institutionnalisation du ballon ovale, plusieurs règles ont été établies afin de limiter les collisions à risque :

– un joueur ne peut se saisir de son opposant qu’à l’aide de ses bras, au risque d’être sanctionné pour percussion. Il doit ensuite s’écarter rapidement.

– un plaquage au niveau des épaules ou du cou, appelé cravate, est pénalisable d’une pénalité ou d’un carton.

– il est interdit de plaquer un joueur qui n’est pas en possession du ballon.

– un joueur plaqué doit relâcher le ballon lorsqu’il est à terre et le transmettre, si possible, à un coéquipier.

– si la tête ou les épaules touchent le sol en premier, le fautif risque l’exclusion.

Le plaquage a toujours été une source de danger potentiel pour le joueur, notamment au niveau de sa nuque. Simplement, le nombre de commotions cérébrales a décuplé ces dernières années, mettant les instances face à leurs responsabilités. Une cinquantaine de rugbymen internationaux auraient en effet stoppé leur carrière à cause de ce type de blessures. En France, quatre jeunes sont décédés en moins d’un an des suites d’un plaquage. Celui très médiatisé de Nicolas Chauvin, espoir du Stade Français, a particulièrement alimenté le débat autour de la violence dans le rugby moderne. Des associations militent de facto en faveur d’un abaissement de la ligne de plaquage à la taille et l’interdiction du plaquage à deux.

En mars 2019, la Fédération Française de Rugby (FFR) a organisé un symposium sur la sécurité du joueur, puis statué sur un plaquage à la taille et l’interdiction du plaquage à deux dès la saison suivante. L’initiative a été testée dans les compétitions amateurs françaises, jeunes ou adultes, mais aussi en Géorgie ou aux îles Fidji. Encore en phase test, elle pourrait être élargie au rugby professionnel et international. Ce qui ne manque pas de diviser.

🕵  Le débat des experts  🕵

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Faut-il abaisser la ligne de plaquage à la taille dans le rugby professionnel ?
Le « Pour »
Jean-Didier Chazal
Neurochirurgien, doyen honoraire de la faculté de Médecine de Clermont-Ferrand. Auteur de Ce rugby qui tue (éditions Solar, 2019).
Le rugby d'aujourd'hui, un sport dangereux

À propos du jeu de rugby dangereux, la règle 9.13 de World Rugby, que toutes les fédérations nationales sont tenues d’appliquer, spécifie : « un joueur ne doit pas effectuer un plaquage… d’une manière dangereuse. Un placage dangereux comporte notamment… plaquer ou tenter de plaquer un adversaire au-dessus de la ligne des épaules ». Le risque pour le joueur plaqué est alors une blessure de l’extrémité cranio-cervicale, particulièrement une commotion cérébrale, et /ou une lésion (luxation, fracture) de la colonne cervicale.

Le fair-play et l’éthique doivent figurer au premier plan

Les règles complexes du rugby ont pour dessein d’en limiter la dangerosité. Le fair-play et l’éthique doivent figurer au premier plan. L’esprit de combat stratégique, individuel et collectif, est associé à l’idée d’un sport d’évitement, de dextérité et de vitesse, dans le but d’aller marquer un essai. L’arme principale d’un joueur pour empêcher la progression de l’équipe adverse vers l’essai est le plaquage du porteur du ballon.

L’action de plaquage doit respecter, outre la règle 9.13 de World Rugby, les règles 9.11, « les joueurs ne doivent rien faire qui soit imprudent ou dangereux pour autrui », et 9.12 « un joueur ne doit agresser personne physiquement ». Elle doit par ailleurs résulter d’une formation rigoureuse et d’une expérience permettant au plaqueur de s’adapter à toutes les situations difficiles.

Le téléscopage prend le pas sur l’évitement.

Ces deux dernières conditions ont une importance majeure aujourd’hui. En effet, depuis son passage au professionnalisme, le rugby se caractérise par une perte de son identité culturelle anglo-saxonne et universitaire, associée à une augmentation considérable du gabarit des joueurs, de 10 à 20 kg, quel que soit leur poste. Le télescopage prend le pas sur l’évitement et le plaquage d’un joueur de 90 kg par un joueur plus lourd de 20 à 25 kg peut être destructeur. Les viscères comme le cerveau et le cœur n’ont pas suivi le renforcement (artificiel) de la musculature. Ils restent vulnérables. Ils n’ont pas toujours la capacité physiologique d’absorber sans dégâts (commotion cérébrale, troubles du rythme cardiaque…) les forces physiques majeures mises en jeu lors des contacts. La taille et la région sous-jacente renforcée par la rigidité osseuse du bassin sont les moins vulnérables, même si les viscères abdominaux restent exposés.

Le plaquage à la hauteur de cette région parait donc le mieux adapté et suffisant pour atteindre le but recherché, c’est-à-dire faire tomber le joueur et le maintenir au sol pour l’obliger à libérer le ballon.

Le « Contre »
Roméo
Joueur et arbitre de rugby, pigiste pour Esprit de la Règle.
Point de vertu sans combat

L’abaissement total de la ligne de plaquage ne peut pas être une solution, tant du point de vue de la sécurité du joueur que sur le plan de la philosophie du jeu.

Une mesure faussement sécurisante

Si la ligne de plaquage venait à être abaissée, les joueurs s’exposeraient davantage à des commotions et autres blessures graves. En effet, lorsqu’un joueur plaque bas, il encourt le risque d’encaisser un coup de genou ou de hanche à la tête. L’application de cette mesure, testée chez les amateurs depuis le mois de septembre, a généré une augmentation des signalements de commotion cérébrale [source : Midi Olympique, 6 janvier 2020].

Dans le même cas de figure, le porteur du ballon s’expose à de graves traumas au niveau des articulations. Cette modification réglementaire peut ainsi nous amener à penser que la sécurité des joueurs est assurée ; en réalité, elle ne diminuerait pas la dangerosité de ce geste technique — tout porte à croire qu’elle l’augmenterait.

Portes ouvertes ?

D’autre part, l’équipe attaquante serait avantagée, car les plaquages seront bien moins efficaces ; elle serait donc constamment dans l’avancée et aurait plus de facilité à marquer rapidement. Prenons l’exemple d’une action défensive à un mètre de la ligne de but : les défenseurs ne pourront plus plaquer à deux — un en bas, un en haut — et il sera alors absolument impossible d’arrêter un porteur du ballon lancé.

On ne pourra pas non plus voir la technique dite de « la chaise », qui consiste à bloquer l’attaquant debout, en le saisissant au niveau du ballon, ce qui enlèvera quasiment toute possibilité à la défense de récupérer le ballon autrement que dans les rucks, ou suite à une faute adverse. Certes, parallèlement à cela, les joueurs de l’équipe qui porte le ballon pourront passer les bras, et faire des passes après contact, ce qui accélérera le jeu et le rendra plus spectaculaire — le problème étant que des essais seront marquées toutes les deux minutes. L’attaque aura les plein pouvoirs, et l’équité fondamentale du jeu ne sera plus respectée. Enfin, la dimension combative, qui constitue l’essence de ce sport, est vouée à s’effacer peu à peu.

Faut-il abaisser la ligne de plaquage à la taille dans le rugby professionnel ?
 

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