voiture de police américaine

Société : faut-il abolir la police ?

📋  Le contexte  📋

Ces dernières années, on assiste à une crise de légitimité de l’institution policière, notamment aux États-Unis où la police y est souvent accusée d’être raciste et violente. Elle s’est développée suite à des mobilisations contre les violences policières envers les Afro-Américains (ex : Ferguson en 2014) et plus récemment avec le mouvement Black Lives Matters.

Ce mouvement pour l’abolition de la police, au même titre que les luttes anti-carcérales, relève de l’abolitionnisme pénal. Ce dernier veut repenser les modes de contrôle social et mettre fin au système pénal. Cette forme d’organisation reposerait sur une justice sociale avec des modes non punitifs de résolution des conflits, ainsi que sur un idéal de participation, de réparation et d’émancipation des individus et communautés.

Source : The Conversation

Il est important de différencier la proposition « abolir la police » et celle d’haïr les policiers. Cette revendication cherche à repenser l’institution policière jugée inefficace pour trouver une solution assurant mieux la « sécurité publique ».

Ce mouvement d’abolition de la police se diviserait en trois étapes. La première disband the police reviendrait à affaiblir la police en réduisant son budget, ses effectifs et son influence sociale pour favoriser une gestion collective des conflits en lien avec une justice transformatrice. La deuxième étape disempower the police viserait à désarmer la police (réduire les armes tenues par les policiers). Enfin, par voie de conséquence, l’étape finale serait de dissoudre la police, en démantelant purement et simplement les forces de l’ordre.

Defund the police vise ainsi à transférer les budgets alloués à la police vers d’autres secteurs et programmes ayant pour objectif de renforcer les liens sociaux.

Sources : The Conversation, Mediapart

Le décès de George Floyd, le 25 mai dernier, a ravivé les tensions et entraîné de nombreuses manifestations aux États-Unis et partout dans le monde. Ces dernières avaient pour but de dénoncer le caractère violent et raciste de la police, ainsi que l’envie d’en finir avec ce schéma et d’en créer un nouveau.

Le 7 juin 2020, la ville de Minneapolis a d’ailleurs annoncé son « démantèlement », la présidente du conseil municipal, Lisa Bender, avait ainsi annoncé : « Nous nous engageons […] à recréer un système de sécurité publique qui nous protège vraiment. Ce que, pour dire la vérité, la police de Minneapolis ne fait pas ».

En France, l’abolitionnisme pénal est moins répandu qu’aux États-Unis, même si régulièrement des luttes contre les violences policières éclosent. Certains collectifs dénoncent depuis des années la violence et le racisme structurel de l’institution policière et de la justice française (par ex : le collectif Désarmons-les). Ce n’est que récemment que cette contestation s’est étendue à d’autres cercles et est davantage médiatisée.

Source : The Conversation

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Le « Pour »
Gwenola Ricordeau & Shaïn Morisse
Professeure assistante en justice criminelle, California State University, Chico & Doctorant en science politique au CESDIP, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay
Pour la construction d’un monde sans police

Les réformes de la police mises en place depuis des décennies (amélioration du recrutement et de la formation, instances extérieures de contrôle, etc.) n’ont pas résolu les problèmes du racisme et des violences de la police qui sont ancrés dans son histoire depuis sa création. Ainsi, George Floyd a été tué par une police souvent donnée en exemple pour ses efforts en la matière.

La police, comme le système pénal dans son ensemble, cible surtout les classes populaires et les populations issues de l’histoire coloniale et des migrations, perpétuant ainsi un ordre social et racial inégalitaire. Cette tendance s’est renforcée ces quarante dernières années et elle s’accompagne d’une dépénalisation progressive de la délinquance « en col blanc ».

La police et la violence physique et sociale qu’elle exerce constituent donc plus un problème qu’une solution à la criminalité dont la diminution ne lui est pas imputable. Mais la police participe à l’essor d’un secteur économique qui tire profit des politiques sécuritaires. Or le transfert de ses (énormes) budgets vers d’autres secteurs (éducation, santé, logement, etc.) pourrait contribuer à la réelle sécurité de la population.

Loin du chaos parfois redouté, l’abolition de la police est tout à fait réalisable et certaines villes aux États-Unis s’engagent déjà sur cette voie. En effet, l’institution policière et la sphère pénale, nées il y a seulement quelques siècles, ne sont saisis que d’une petite partie des conflits interpersonnels et des transgressions des normes sociales et ils ne traitent que certains d’entre eux. Or l’intervention policière ou pénale ne change pas les conditions sociales propices à la délinquance et elle satisfait rarement les besoins des victimes et des auteurs.

L’abolitionnisme promeut donc la justice sociale, la solidarité et la réparation plutôt que la justice pénale, la répression et la punition. Depuis des décennies, sont ainsi mises en place des solutions émancipatrices (comme la justice transformatrice) pour gérer collectivement les conflits et les violences interpersonnelles, et ainsi renforcer les individus et les groupes sociaux, sans céder au vigilantisme ou à la techno-surveillance généralisée.

L’abolitionnisme défend l’abandon des approches répressives et punitives, qui sont simplistes alors que les problèmes sociaux sont divers et complexes. Il invite à repenser la sécurité en partant des réels besoins de la population et à imaginer d’autres modes de contrôle social et de résolution des conflits inhérents à la vie en société.

Le « Contre »
Jacques de Maillard
Professeur de science politique, Université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines et Sciences Po Saint Germain en Laye, Directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales
Réformer plutôt que supprimer

La police est un « un mal nécessaire ». C’est un « mal », parce qu’elle utilise la contrainte : elle peut contrôler, arrêter, enquêter, surveiller, voire tirer sur ses concitoyens. Les évènements récents viennent rappeler à quel point de telles activités sont sujettes à discussion. Songeons au maintien de l’ordre des gilets jaunes : 2500 blessés chez les manifestants, dont 100 graves, 25 personnes éborgnées, 1800 blessés parmi les policiers, 13 000 tirs de lanceurs de balle de défense en quelques semaines. On sait que les dérapages (usages non nécessaires et non proportionnés de la force) n’ont pas manqué de se produire. Les dérives de groupes de policiers racistes, l’existence de discriminations dans les contrôles sont aujourd’hui documentées dans les travaux de recherche.

Faut-il pour autant conclure que ces maux doivent conduire à supprimer la police ? Et pour la remplacer par quoi ? Jusqu’au XVIIIe siècle, le travail de régulation des espaces urbains est assuré par les citoyens eux-mêmes, jusqu’à ce que l’avènement du capitalisme industriel (et ses conséquences sur la criminalité) et l’affaiblissement du contrôle social communautaire lié à l’urbanisation ne conduisent les gouvernements occidentaux à se doter de forces publiques, professionnalisées chargées de contrôler la délinquance et lutter contre l’insécurité. Comment assurer le déroulement pacifique d’une manifestation ? Comment protéger les victimes et arrêter les auteurs des violences conjugales ? La formule ironique « que fait la police ? » contient elle-même en creux cette demande de police. Le travail de prévention, de dissuasion, de répression et d’assistance des policières, policiers, gendarmes est donc incontournable.

La question est donc plutôt « quelle police voulons-nous ? ». Rappelons l’article 12 de la DDHC : « La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Ceci implique que la police rende des comptes sur son action. C’est ici un premier principe : la nécessaire transparence (par exemple sur l’usage de la force et ses circonstances). Ensuite, l’usage de la force doit être minimal, et la police doit chercher le consentement des citoyens. Rappelons-le : le policier est un « gardien de la paix ». Enfin, et peut-être surtout, la police n’est que l’une des réponses aux questions de délinquances, violences, terrorisme et a fortiori incivilités. C’est une responsabilité qu’elle partage avec les associations, familles, services sociaux ou encore écoles. Rappeler cette évidence, c’est ne pas demander à la police plus que ce qu’elle peut promettre, mais c’est aussi souligner qu’elle doit faire avec d’autres acteurs sociaux.

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