Photo de dirigeants chinois et américains

Chine, États-Unis : une nouvelle guerre froide ?

📋  Le contexte  📋

La Guerre froide est le nom donné au conflit que les États-Unis et l’URSS se livrèrent de 1945 à 1989. Le monde était alors divisé en deux blocs où s’affrontaient deux idéologies différentes : le libéralisme et le communisme. Cette guerre prit fin avec la chute de l’URSS et consacra les États-Unis en « hyperpuissance ».

La Chine et les États-Unis ont connu une guerre commerciale depuis 2018. Le président américain Donald Trump accusa la Chine d’être déloyale et procéda à l’augmentation des taxes douanières sur les produits chinois. Le président Trump a également mis l’entreprise chinoise Huawei sur la liste noire de Washington l’accusant d’espionnage, terme maintes fois utilisé pendant la période de Guerre froide.

La crise du coronavirus a semble-t-il accentué ces tensions. En effet, l’origine chinoise du virus n’a pas échappé à l’administration américaine qui dénonce « un virus chinois » et accuse la Chine d’avoir caché l’ampleur de la crise. Dans la presse, la notion de « nouvelle guerre froide » est revenue à de multiples reprises…

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Le « Pour »

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Dominique Moïsi
Conseiller spécial à l'Institut Montaigne
La nouvelle guerre froide a commencé

« Paix impossible, guerre improbable ». C’est en ces termes que mon maitre Raymond Aron définissait la Guerre froide, qui opposa les États-Unis et l’URSS, de la fin de la Deuxième Guerre mondiale en 1945 à la chute du Mur de Berlin en 1989. La paix était impossible entre deux systèmes idéologiquement irréconciliables ; le capitalisme et le communisme. La guerre était improbable à l’heure de l’équilibre de la terreur entre deux puissances nucléaires.

Trente ans après, il semble qu’une nouvelle guerre froide se soit substituée à la première. Les États-Unis sont toujours la première puissance militaire mondiale et la Chine a remplacé l’URSS comme adversaire principal de l’Amérique. Et Beijing se comporte de plus en plus aujourd’hui comme pouvait le faire Moscou hier. La Chine est animée par une volonté de rattrapage historique qui devient toujours plus idéologique.

Il ne s’agit plus seulement d’équilibrer l’Amérique mais de faire la démonstration de la supériorité du modèle autoritaire sur le système démocratique. Il y a bien sûr des différences majeures entre hier et aujourd’hui, que l’on pourrait résumer ainsi : l’Amérique n’est plus l’Amérique et la Chine est plus que l’URSS. Donald Trump n’est pas la cause mais le symptôme de la profondeur de la crise de la démocratie américaine.

Fatiguée du monde après l’échec d’aventures militaires coûteuses et inutiles, l’Amérique fait davantage peur et pitié qu’elle ne faisait, en dépit de ses errements, rêver hier. Mais surtout la Chine n’est pas l’URSS. Elle n’est pas une puissance unidimensionnelle. Son économie est florissante, sa technologie conquérante, sa culture millénaire en fait la représentante d’une civilisation/ empire et pas seulement d’une puissance expansionniste comme pouvait l’être l’URSS hier.

Moscou n’avait et n’a toujours pas les moyens de ses ambitions. Tel n’est pas le cas de la Chine. Persuadée que son heure est arrivée et que le monde occidental est en pleine décadence, elle avance ses pions sur tous les fronts de l’Asie à l’Europe, de l’Afrique à l’Amérique Latine, même si elle continue de faire preuve de prudence au Moyen-Orient. L’expérience des États-Unis lui a servi de leçon. Une nouvelle guerre froide a bien commencé entre la Chine et les États-Unis.

Il nous faut contenir la Chine comme nous l’avons fait avec succès de l’URSS. Tout en maintenant des liens avec elle, car « on ne peut faire sans », contrairement à l’URSS.


Photo d'Isabelle Lasserre
Isabelle Lasserre
Rédacteur en chef adjoint du Figaro
Chine-États-Unis : une nouvelle Guerre froide

En quelques années, le conflit qui oppose les États-Unis et la Chine s’est transformé en une nouvelle guerre froide, pleine de menaces pour l’avenir du monde. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013 et l’élection de Donald Trump en 2017, les différends s’accumulent entre les deux plus grandes puissances économiques mondiales. Après le conflit commercial, la 5G, les affaires d’espionnage, les rivalités politiques, le différend vis-à-vis de Hongkong et les tensions autour des activités militaires expansionnistes en mer de Chine méridionale, la crise du coronavirus a encore exacerbé les tensions entre Pékin et Washington.

La guerre commerciale est devenue un affrontement géopolitique et stratégique. À Washington, la Chine est désormais vue comme un adversaire qui compte décrocher les États-Unis de leur rôle de numéro 1, depuis que le président chinois Xi Jinping a promis de faire de son pays la première puissance mondiale en 2049. Il a mis au service de cet objectif toute la puissance économique nationale. Si elle reste bien inférieure à celle des États-Unis, l’armée chinoise progresse chaque année, poussée par un budget de la défense, le deuxième du monde, équivalent à environ 7% du PIB. La Chine modernise aussi sa puissance nucléaire. Elle qui s’est longtemps présentée comme une puissance pacifique, concentrée sur son développement économique et son « soft power », pousse désormais son influence au-delà de ses frontières, en mer de Chine où elle étend sa mainmise, en Europe où elle tente d’imposer la « supériorité » de son modèle politique autoritaire, dans les institutions internationales où elle remplit le vide laissé par les États-Unis. Focalisé sur Pékin depuis son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump, qui montre du doigt le parti communiste chinois, voudrait faire du prochain G7 un sommet contre la Chine.

« Paix impossible, guerre improbable ». C’est la définition que donnait Raymond Aron de la Guerre froide. Depuis la reprise de leurs relations diplomatiques dans les années 70, la Chine et les États-Unis ont évité l’affrontement direct. Pour combien de temps ? Si, après avoir attaqué la démocratie à Hong Kong, la Chine portait ses coups contre Taïwan, lié aux États-Unis par des accords de sécurité, la guerre froide pourrait basculer dans un conflit chaud.

Le « Contre »

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Pascal Boniface
Géopolitologue, fondateur et directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), auteur de "50 défis et enjeux de la géopolitique de la France" (Editions Courrier du Livre, 2021)
Est-il justifié de parler d’une nouvelle guerre froide qui opposerait Washington à Pékin ?

Du temps de la Guerre froide soviéto-américaine, Moscou et Washington étaient à la tête d’alliances globales qui étendaient leurs ramifications dans le monde entier. Tous les conflits impliquaient un protagoniste lié soit à Moscou soit à Washington. On ne voit rien de semblable dans les conflits actuels qui n’opposent jamais, même indirectement, Pékin à Washington. L’Union soviétique avait de fait pour objectif de rattraper militairement les États-Unis, et y est parvenue.

C’est d’ailleurs cette course aux armements qui a en grande partie ruiné son économie. Aujourd’hui, l’avantage militaire des États-Unis à l’égard de Pékin est très net. Les dépenses militaires américaines s’élèvent à 738 milliards de dollars tandis que les dépenses militaires chinoises n’atteignent que 200 milliards de dollars. L’Union soviétique n’avait jamais dépassé 40 % du PIB américain. Aujourd’hui, le PIB chinois est toujours inférieur au PIB américain, mais il en représente déjà 60%. L’avantage économique des États-Unis est donc réel, mais il en train de diminuer.

Contrairement à ce qui existe entre Pékin et Washington, il n’y avait presque aucune relation économique entre l’Union soviétique et les États-Unis. De surcroît, l’économie chinoise du XXIe siècle est complètement intégrée à l’économie mondiale, ce n’était pas le cas de l’économie soviétique. Contrairement à l’URSS, la Chine n’a pas l’ambition d’instaurer le communisme à l’échelle mondiale. La Chine est une puissance dirigée par un parti communiste dont les deux forces motrices sont le nationalisme et le capitalisme. Les Chinois ambitionnent surtout de redevenir la première puissance qu’ils étaient au XIXe siècle, mais cette fois dans un monde globalisé.

Pour leur part, les États-Unis souhaitent rester la première puissance mondiale. Le combat actuel n’est plus idéologique, mais une lutte pour la suprématie mondiale. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, Nixon et Kissinger, constatant d’une part le déclin relatif des États-Unis en grande partie dû à la guerre du Vietnam et à la montée en puissance de l’URSS, ont décidé d’entamer une période de détente, car ils savaient que la Guerre froide ne jouait plus en leur faveur et qu’il fallait trouver des arrangements avec l’Union soviétique.

Or aujourd’hui, face à la montée en puissance de la Chine, les États-Unis de Donald Trump font l’inverse. Ils préfèrent accentuer la rivalité au risque de se confronter à une Chine de plus en plus agressive. Les deux pays parviendront-ils eux aussi à la détente ?


Photo de Courmont
Barthélémy Courmont
Maître de conférence à l’Université catholique et directeur de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).
Une guerre pacifique, et non une Guerre froide 

L’idée que la Chine et les États-Unis sont engagés dans une nouvelle guerre froide n’est pas nouvelle, mais elle fut l’objet d’un ouvrage publié récemment par Graham Allison, dans lequel il invoque même le piège de Thucydide pour prophétiser une transition de puissance conflictuelle. Avec la crise du Covid-19, la mention de guerre froide a envahi la sphère médiatique, témoignant d’un binarisme que la fin de la Guerre froide – la vraie – n’est pas parvenue à effacer. Cette lecture de la relation entre les deux pays est très inappropriée pour de nombreuses raisons.

D’abord, il n’y a pas aujourd’hui de lutte idéologique entre la Chine et les États-Unis, or l’idéologie était au cœur de la Guerre froide. On constate par ailleurs une très grande dépendance mutuelle entre Washington et Pékin, l’un et l’autre évoluant dans le même système-monde, or la Guerre froide était une opposition de deux systèmes-monde qui évoluaient séparément. La Guerre froide fut une rivalité revendiquée par les deux principaux intéressés, ce qui n’est pas le cas actuellement, puisque seul Washington semble (partiellement) y adhérer, tandis que la Chine met en avant une multipolarité dans laquelle elle entend retrouver un rang que les « humiliations nationales » lui ont fait perdre. Les alliances, au cœur de la bipolarité, sont aujourd’hui remises en cause côté américain, et difficiles à composer côté chinois. On ne relève pas ainsi deux blocs en compétition comme ce fut le cas entre 1945 et 1991. Enfin, la Guerre froide n’a pris fin que dès lors que l’un des deux belligérants – l’URSS – s’est avoué vaincu. Or, dans la situation actuelle, on imagine difficilement les États-Unis reconnaître une défaite (d’autant que la nature de cette dernière resterait à définir, ce qui n’est pas une évidence) et on imagine encore moins la puissance émergeante qu’est la Chine courber l’échine comme l’a fait Moscou à la fin des années 1980.

Parce qu’elle est plus complexe que toutes les relations qui ont concerné les grandes puissances par le passé, parce qu’elle est à la fois d’une grande proximité et emprunte d’une méfiance réciproque qui invite nécessairement à la prudence, à Pékin comme à Washington, parce qu’elle est parfois d’une grande violence (dans la rhétorique surtout) mais évitera tant que possible de basculer en conflit armé, la relation entre les États-Unis et la Chine est une guerre pacifique, qui impose de nouvelles grilles de réflexion.

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