📋 Le contexte 📋
Pour qu’une personne puisse se présenter à l’élection présidentielle, elle doit cocher plusieurs critères. Avoir au moins 18 ans (23 ans avant 2011), être de nationalité française, ne pas être privé de ses droits civiques, ne pas être placé sous tutelle ou curatelle, être inscrit sur une liste électorale, avoir établi une déclaration de situation patrimoniale ou encore posséder un compte bancaire de campagne. À ces conditions s’ajoute une contrainte : réunir au moins 500 parrainages.
Un parrainage est une sorte de signature qui reconnaît un individu et son programme comme sérieux. Le signataire « présente » son parrainé comme candidat à l’élection. Les 500 parrainages doivent aussi émaner d’élus d’au moins 30 départements différents. Sur les 42 000 parrains potentiels, plus de 30 000 sont des maires mais les députés, sénateurs, les élus européens, régionaux ou départementaux mais aussi l’ensemble des mandats communaux ou intercommunaux, les mandats ou fonctions d’outre-mer ou encore les conseillers à l’Assemblée des Français à l’étranger peuvent aussi parrainer. Les élus ont jusqu’au 4 mars pour envoyer leurs parrainages au Conseil constitutionnel qui vont les valider. La liste définitive sera connue le 7.
La condition des parrainages voit le jour en 1962 suite au référendum, à l’initiative du Général de Gaulle, sur l’élection au suffrage universel direct. Avec un OUI à 62 %, il a bien fallu encadrer les candidatures. Pour éviter des personnes farfelues voire dangereuses pour le régime (le seul président français élu jusqu’à lors étant Louis-Napoléon Bonaparte), un minimum de 100 parrainages anonymes d’au moins dix départements ou territoires d’outre-mer est fixé. C’est ainsi que les élections de 1965, 1969 et 1974 se déroulent.
En 1976, avec l’augmentation significative du nombre de candidats, le temps est à la réforme. Valéry Giscard d’Estaing augmente le seuil à 500 signatures de 30 départements différents. Petite nouveauté : le nom des parrains est rendu public « dans la limite du nombre requis pour la validité de la candidature ». Dans les faits, 500 élus choisis aléatoirement dans l’ensemble des parrainages par candidat est publié dans le Journal officiel. C’est en 2016 que le nom de tous les parrains est rendu public. Une réforme encouragée depuis 1974 par le Conseil constitutionnel car « conforme à la transparence démocratique ».
On constate que le taux de participation des élus au processus de parrainage est en baisse. Pour 17 815 présentations recensées par le Conseil constitutionnel en 2002, le chiffre décroît pour atteindre 16 900 en 2007, 14 790 en 2012 et 14 296 en 2017. En réaction, l’anonymisation des parrainages est réclamé par des candidats, avançant l’argument que des maires n’osaient pas soutenir des candidats aux extrêmes de l’échiquier politique. Dans le cas des maires sans-étiquettes, beaucoup refusent d’accorder un parrainage pour éviter des problèmes dans la commune.
Face à ce que certain considère comme un « problème démocratique », François Bayrou, maire de Pau et Haut-commissaire au plan, a lancé une « banque de parrainages » pour aider des candidats crédités à 10 % d’intention de votes dans les sondages. Jean Castex, le Premier ministre, appelle les élus à soutenir les candidats en difficulté en rappelant, lui-aussi, que parrainer n’est pas soutenir. Faut-il alors réformer les parrainages ? En 2012, le rapport de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin, avait proposé un système de 150 000 parrainages citoyens. Plus réalisable, l’anonymat paraît être une solution face aux pressions des partis et des élus. Alors, faut-il anonymiser les sondages ? On en débat avec deux experts.
🕵 Le débat des experts 🕵
À l’origine de la Cinquième république, les parrainages ne sont pas rendus publics, et ce même après la réforme de 1962. Ce n’est qu’en 1976, au moment où l’on passe de 100 à 500 parrains, que l’on décide de rendre public le nom de certains d’entre eux. Certains, car on se limite alors aux 500 nécessaires, le Conseil constitutionnel tirant au sort les noms qui seront publiés au Journal officiel. Mais le même Conseil, en 1988, sans respecter alors ni la lettre ni l’esprit du texte, ajoute à cette publication officielle l’affichage à ses portes du nom de tous les parrains. Il le fera encore en 1995 et 2002, et ce n’est qu’en 2007 qu’il y renonce. Enfin, la loi de 2016 change à nouveau la donne pour mettre au point ce système que nous connaissons, celui de la publication intégrale des noms des parrains au fur et à mesure de l’arrivée des parrainages rue de Montpensier.
Le système ne cesse de produire des effets délétères, car les parrains subissent diverses pressions qui pèsent sur un choix que l’on ne considère pas neutre
Des pressions de la part de leurs électeurs, de leurs conseils municipaux, de leur parti politique et des donneurs d’ordre maniant les subventions – autre collectivité, établissement de coopération, représentant de l’État. Si l’on ajoute les tactiques politiciennes qui font que l’on parraine parfois un opposant pour en fragiliser un autre, les choix des parrains sont nettement déconnectés de ceux des électeurs, et proches de la doxa politico-médiatique. En 2017 ainsi, Fillon a 28,7% des parrains mais 20% des voix, Mélenchon 6,4% des parrains et 19,6% des voix, Marine Le Pen 4,9% des parrains et 21,3% des voix, Nathalie Arthaud 5% des parrains et 0,64% des voix. Prudents, les deux-tiers des présentateurs s’abstiennent (entre 1981 et 2017 on constate même une baisse de 13% des parrainages). Le résultat, on le sait, est que des représentants de courants politiques qui ont un soutien réel dans l’opinion, et le prouvent non dans les sondages, mais lors d’élections, perdent un temps précieux à cette chasse aux parrainages, et ne semblent jamais certains d’obtenir les 500 nécessaires.
On a proposé bien des solutions pour y remédier : le parrainage multiple, le parrainage partisan, l’augmentation du volume de parrains potentiels, le retour aux 100 parrains initiaux, le parrainage citoyen et, maintenant, une sorte de bourse aux parrainages. Certaines sont irréalisables – la bourse aux parrainages étant par exemple peu compatible avec le choix personnel que doit être le parrainage -, d’autres, comme le parrainage partisan, nous amèneraient un peu plus vers une république censitaire, et toutes achoppent en fait sur la question de l’anonymat, dont le retour apparaît bien être la seule vraie solution.
Alors en effet que le Conseil constitutionnel a rappelé que le pluralisme est le fondement de la démocratie, il est des groupes qui entendent empêcher certains choix et stigmatisent leurs auteurs. Pour y échapper, certains parrains ont tenté le tirage au sort, ce que récuse le Conseil constitutionnel.
À cause de ces pressions, et puisque le parrainage, d’élu ou de citoyen qu’importe, est vu comme un vote, il doit logiquement bénéficier du même secret que ce dernier.
Depuis l’adoption de la Constitution de la Vème République en 1958, subtile et équilibrée, beaucoup de changements ont eu lieu, la plupart hasardeux et quelques-uns désastreux. Dès 1962, je me serais certainement opposé à l’élection du Président de la République au Suffrage Universel direct. Vécu comme une avancée démocratique, ce mode d’élection ne pouvait que présidentialiser le régime, ce qui affaiblit au contraire la vie démocratique. La définition pratique de cette dernière et diverses propositions ont pu être développées et présentées dans mon dernier ouvrage « 30 propositions pour pratiquer la démocratie ». J’y explique notamment le risque qui est pris à choisir un candidat que l’on ne connaît pas, qui est éloigné, bref qui ne fait que renvoyer une image.
Concernant les parrainages, c’est en quelque sorte un « garde-fou » qui a été pensé à l’époque afin d’écarter aussi bien les candidatures farfelues que celles qui n’émanent que d’une partie de la France (une répartition géographique est nécessaire). Il s’agissait aussi de légitimer les candidats au moyen des élus locaux et nationaux. C’est pourquoi il faudrait se garder de considérer que c’est aux sondages d’indiquer qui peut être candidat.
La démocratie, c’est aussi la transparence, c’est pourquoi il faut se féliciter que la présentation d’un candidat (le parrainage) par un élu soit une donnée publique.
L’anonymat dans un processus aussi essentiel que l’élection d’un chef d’Etat, ne peut être tenable : c’est au grand jour que celle ou celui qui souhaite présider la France doit tirer aussi sa légitimité de la part des territoires de la République.
Si un maire n’ose plus parrainer un candidat d’extrême droite devant les citoyens de la commune, j’aurais tendance à dire : tant mieux ! C’est que le profil de cette candidate ou ce candidat ne satisfait pas une caractéristique essentielle de la fonction de Président de la République : être suffisamment honorable et digne de confiance pour mériter le soutien de tout un peuple.
Il ne faudrait pas oublier en effet que, contrairement à beaucoup de nations, nous n’avons plus beaucoup de considération pour notre chef d’Etat. L’opinion est très largement défavorable à peine est-il élu. Cela devrait nous interroger sérieusement sur l’ensemble du processus. Interrogé sur une amélioration simple du système des parrainages, j’ai pu de nombreuses fois indiquer que l’ensemble des conseillers municipaux, près d’un million de Français, pourraient se charger de cette fonction, quitte à relever le seuil du nombre de parrainages nécessaires. Il n’en reste pas moins que la transparence est un progrès.
L’approche d’élus de terrain, confrontés et à la recherche de solutions quotidiennes pour leurs concitoyens, est un regard nécessaire afin de légitimer la candidature d’un futur président de la République.
Au-delà de ce débat, espérons qu’une profonde réflexion permettra bientôt de revoir nos institutions, afin qu’elles soient encore plus transparentes, qu’elles permettent une vie démocratique intense entre deux élections – l’élection n’est pas le seul indicateur d’une saine démocratie, les dictatures en organisent -, un débat parlementaire riche, un gouvernement responsable devant le parlement, un président qui préside. Aujourd’hui le président gouverne, le gouvernement parlemente et les parlementaires valident. Le citoyen ne peut y trouver son compte.