Manifeste pour un débat constructif

Un besoin vital de débat

« Notre démocratie a un besoin vital de débat ». Quel politique n’est pas d’accord avec ce constat ? Qui ne l’a pas déjà prononcé au détour d’un plateau de télé, ou dans les colonnes d’un journal d’opinion ? Or, le constat d’un manque de débat demeure.

Aujourd’hui, selon le constat dressé par Voxe.org : 

7 Français sur 10 estiment que la démocratie ne fonctionne pas bien, 89% des français pensent que les politiques ne se préoccupent pas de l’avis de leurs concitoyens et 7 jeunes européens sur 10 ne se sont pas déplacés aux dernières élections européennes  1.

Les statistiques de ce genre sont légion, et prennent leur source dans une même cause : le manque de débat d’idées au sein de la société, et une méconnaissance par les citoyens des sujets abordés. De plus en plus d’électeurs sont indécis dans leurs choix, se désintéressent des questions de société, et votent par dépit plus que par conviction, quand ils se déplacent encore pour voter.

Or, un système démocratique a besoin de débat pour vivre. Il faut que les citoyens se sentent impliqués dans les décisions de société, y prennent part, et aient un avis. Mais il ne suffit pas d’avoir un avis ; si cet avis repose sur des a priori, des éléments diffus imposés par des médias détenus par une poignée d’hommes influents, cela ne peut fonctionner. Pour voter intelligemment, il faut avoir un avis éclairé, basé sur une réflexion logique, et la conviction forte que ce choix amènera une société meilleure. Cet avis éclairé, le débat devrait pouvoir l’apporter. Sans lui, la démocratie est menacée. Elle l’est aujourd’hui.

Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il faut plus de débat, et pourtant…

Qu’entendons-nous par « débat » aujourd’hui en France ?

Il y a deux types de débats : le premier paraît souvent sous le nom de « soirée débat » ou « conférence débat ». En réalité, il s’agit bien souvent, non pas d’un débat, mais d’un plaidoyer. Une personnalité détaille son opinion en répondant aux questions souvent complaisantes d’un présentateur acquis à sa cause, puis répond aux questions de la salle ou des auditeurs. Aucun pied d’égalité, souvent peu d’échanges constructifs : ce « débat » est à sens unique et a souvent pour unique but de mettre en valeur son invité. Il ne permet pas de se faire un avis éclairé, puisque n’y est exposé qu’un aspect de la réalité.

Le second type de débat, c’est le débat télévisé. Celui-ci pourrait être constructif s’il était mené différemment. Hélas, aujourd’hui, ils sont généralement inaudibles : les débatteurs se coupent la parole, passent leur temps à s’interrompre, à dénigrer les arguments de l’adversaire, sont constamment à la recherche de la petite phrase qui va faire le buzz, ou du bon mot qui fera la Une des médias le lendemain. Le but n’est pas de construire, ni d’exposer ses idées, encore moins de parvenir à un consensus : le but est de décrédibiliser l’autre.

Dans les deux cas, difficile de se faire une opinion. On va au premier pour écouter l’orateur et acquiescer à ses idées, on regarde le second comme on regarde un combat de gladiateurs, pour voir lequel va se faire descendre en public.

Des pistes pour le rendre constructif

Pour autant, il y a de l’espoir. Il y a toujours de l’espoir. Comme dans un mouvement de respiration, tout système qui expire appelle une inévitable bouffée d’air neuf. Or, notre système est à bout de souffle, et l’air neuf montre déjà le bout de son nez.

Il y a trois principales pistes pour rendre constructif le débat d’idées.

Le premier est pratiqué par des petites associations de débats, ou des organisateurs de joutes oratoires. Il consiste à fixer des règles strictes auxquelles les participants adhèrent : temps limité par débatteur, droit à l’interruption sous forme de jokers limités, alternance des temps de parole, etc. Ces règles ont pour effet bénéfique de rendre le débat audible (plus de débatteurs qui parlent en même temps sans s’écouter et en s’interrompant tout le temps, etc.) : le débat devient un jeu, est regardé comme une joute. La technologie d’aujourd’hui permet également de mesurer à quel point les débatteurs ont été convaincants, en faisant voter l’audience. Si la question est convenablement posée (il s’agit de poser une question d’idée, type Pour ou Contre, et non pas une question de type « qui préférez-vous »), les débatteurs s’attachent alors à faire triompher leur idée plus que leur personnalité. Ce type de débat permet d’intéresser les citoyens aux questions de société.

Le second consiste à faire le pari que la vérité sortira de la multitude. C’est ce que font notamment « Parlement et Citoyens », en soumettant à l’ensemble des citoyens des projets de loi. Le pari est qu’en multipliant le nombre de commentaires, d’échanges et de propositions, un consensus finira par émerger. Sous réserve d’une modération présente et intelligente, et de sujets qui ne sont pas soumis à des passions extrêmes, les résultats sont plus qu’intéressants. Ce type de débat est destiné à faire émerger un consensus.

Enfin, le troisième est le débat écrit, trop peu utilisé. Il a plusieurs avantages : en imposant l’écrit, chaque débatteur a le temps d’affuter ses idées, d’aiguiser son argumentaire, de le rendre abordable et compréhensible. De plus, dans l’ignorance de la tribune adverse, le débatteur est obligé de développer ses idées, de se concentrer sur le fond de sa position en avançant des arguments en faveur de son point de vue. Or, il est fondamentalement vertueux et nettement plus enrichissant de lire un débat où chacun avance des arguments pour ses idées, plutôt qu’un débat où chacun avance des arguments contre les idées de l’autre. A l’échelle de la société, cela pourrait inverser la tendance actuelle où les électeurs vont voter contre une personne, plutôt que pour un projet. Ce type de débat permet véritablement de se forger un avis éclairé, et c’est ce que nous nous efforçons de faire avec LE DRENCHE.

Pour conclure

Il existe donc plusieurs voix pour permettre un véritable débat d’idées au service de la démocratie :

  • Privilégier l’écrit pour développer des arguments positifs et de fond, dans le but de se forger un avis éclairé.
  • Encourager la participation d’un grand nombre de personnes via les nouvelles technologies, pour faire émerger un consensus démocratique.
  • Établir des règles strictes qui permettent de privilégier le fond à la forme, rendre le débat audible et agréable à regarder, pour intéresser le public aux questions de société.
  • Débattre sur les idées plutôt que sur les personnes, pour garder la foi en notre démocratie.

Cela nécessite un renouvellement des habitudes et des postures des politiques, un changement profond de la manière de traiter les questions de société dans les médias et un renouvellement des acteurs dans les milieux cités.

Nous n’y sommes pas encore. Mais cela arrivera, inexorablement, inévitablement. Le système actuel à bout de souffle expirera avec ses acteurs et une nouvelle bouffée d’acteurs neufs prendra la relève. Ce mouvement a déjà commencé.

Il y a des raisons d’être optimiste.

 

 

Notes

(1) Sondage CEVIPOF de Décembre 2014 (↩)

 

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