Faut-il choquer pour se faire entendre ?

📋  Le contexte  📋

Le militantisme est une forme d’engagement politique, associatif ou syndical qui vise à faire connaître une cause, une idéologie ou un parti à plus grande échelle, pour générer du changement. Du latin militia (militaire), le militant est le soldat qui se battait les armes à la main pour défendre sa cause.

Il existe une pluralité de moyens d’actions pour se faire entendre et obtenir gain de cause. Parmi les plus connus, on peut citer la désobéissance civile, le militantisme politique, les manifestations ou encore la propagande. L’objectif du militantisme consiste dans un premier temps à faire connaître et à convaincre les citoyens de l’importance de la cause défendue. La médiatisation des actions joue alors un rôle essentiel dans la stratégie militante.

La stratégie des actions chocs leur confère une plus grande visibilité, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans les médias. Pourtant, ces actions font débat et restent très controversées pour leur violence, leur atteinte à la bienséance. L’association féministe FEMEN est connue pour manifester dans la rue les seins nus, pour attirer le regard sur les messages écrits à la peinture sur leur poitrine. Une pratique qui a choqué mais qui est justifiée par l’association comme étant le seul moyen qui permet de ne plus être ignorée. Même entre militants, le débat existe : est-ce qu’utiliser des méthodes choquantes décrédibilise la lutte ? 

 

 

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Le « Pour »

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Barbara Boyer
membre de l'association L214
La vérité peut être choquante

Parce que nous enquêtons sur l’industrie de la viande et que nous montrons la souffrance des animaux, il n’est pas rare que les médias nous décrivent comme « l’association aux méthodes chocs ». Pourtant, lorsqu’on regarde d’un peu plus près, on se rend compte que ce ne sont pas nos méthodes qui choquent, mais bien la vérité qui est dissimulée derrière la viande, les produits laitiers, les œufs et le poisson. 

Si ces images dérangent, c’est parce qu’elles dénotent complètement des représentations que nous nous faisons des conditions d’élevage des animaux. Aujourd’hui, la publicité et le marketing nous vendent un imaginaire erroné de la viande, avec des animaux heureux dans les prés, à mille lieues des conditions d’élevage intensives qui prédominent en France… C’est pourquoi il nous semble important de rétablir la vérité auprès des consommateurs. 

On peut écrire des rapports ou distribuer des tracts pour décrire dans quelles conditions sont tués chaque jour 3 millions d’animaux dans les abattoirs français. Mais pour convaincre les citoyens de l’urgence d’agir pour la cause animale, les images n’ont pas d’équivalent. Se confronter à la vue de milliers de poules enfermées dans des cages ou au regard d’un cochon sur le point d’être tué est plus efficace que mille mots ! 

Nos vidéos « chocs » sont des preuves tangibles, incontestables, que les animaux que nous mangeons subissent des violences inouïes avant de finir dans nos assiettes. Et elles ont des effets concrets : fermetures d’élevage ou d’abattoirs hors la loi, procès pour maltraitance,, engagements d’entreprises à abandonner les pires pratiques d’élevage et d’abattage… Elles ont aussi un réel écho dans la société, elles font germer des prises de conscience qui, de plus en plus, aboutissent à des changements de comportements d’achat, à se tourner plus souvent vers les plats végétariens ou vegans.  

En diffusant ces vidéos, nous montrons aux citoyens ce que les producteurs ne veulent pas montrer. Regarder la réalité en face est un passage obligé pour faire évoluer les choses. Cela vaut pour la cause animale comme pour d’autres sujets de société : nos émotions peuvent être un moteur formidable pour réfléchir et passer à l’action, ne leur tournons pas le dos !


Sandy Olivar Calvo et Pauline Boyer
Activistes climat pour ANV-COP 21
Oui il faut choquer pour être entendu.

Des lettres dessinées sur des torses nus de femmes, des portraits présidentiels décrochés dans des mairies, des prières punk dans une église en Russie… Qu’y a-t-il de plus choquant dans ces événements ? Le choix des concepts d’actions – des seins nus exposés à la vue de toustes, un crime de lèse-majesté, un blasphème – ou plutôt le message que font passer ces actions, qui viennent questionner nos valeurs : des violences sexistes et sexuelles, la mise en danger de la population par l’inaction de gouvernements face au dérèglement climatique, ou des cris d’alerte étouffés par un dictateur ?

Nos sociétés sont imprégnées par les mécanismes de domination nécessaires aux dirigeants politiques et économiques pour asseoir leur pouvoir. Leurs moyens de communication sont beaucoup plus massifs que les voix s’élevant pour des sociétés justes. Ils en usent pour assurer l’obéissance de la population aux lois, même si elles sont injustes. Dès notre plus jeune âge, nous apprenons à obéir pour entrer dans le moule de la société sans remettre en question sa forme. Pourtant, le monde n’a jamais évolué sans une remise en question des règles.

Tout autour du globe, des luttes sont menées par des citoyen·nes pour défendre les droits humains et le vivant. Pétitions, marches, distributions de tracts, plaidoyers auprès d’élu·es et autres actions non-violentes légales sont mises en œuvre. Pour aboutir, elles nécessitent de bouleverser l’ordre établi. Cet ordre qui nous mène vers le chaos climatique, favorise la croissance des inégalités sociales ou perpétue des privations de libertés… Face à l’injustice, désobéir est un devoir, une nécessité pour remettre l’intérêt général au centre des règles du vivre ensemble. Les actions de désobéissance civile soumettent les messages qu’elles posent, à l’examen des consciences des êtres humains. Elles bousculent, car elles ne laissent pas indifférent·es, et forcent chacun·e à prendre parti en se confrontant à ses valeurs morales. Elles sont une tentative de re-sensibilisation de nos cœurs aux valeurs universelles des droits humains. Désobéir pour l’intérêt général, c’est exercer son pouvoir citoyen.

En France, l’échec de la loi climat montre à quel point nous ne pouvons pas compter sur les dirigeant·es politiques pour nous protéger des impacts du dérèglement climatique, et ce, après des décennies de rapports alarmants de la communauté scientifique.  Par nos actions, nous dénonçons des situations anormales et devenons les porte-voix des scientifiques. Avec la relaxe de militant·es ANV-COP21 ayant décroché des portraits présidentiels dans des mairies pour dénoncer l’inaction du gouvernement d’Emmanuel Macron en matière climatique et sociale, la justice a reconnu la nécessité de leurs actions au vu des manquements de l’Etat.

Si faire des actions « chocs » signifie se heurter aux valeurs de systèmes inégalitaires, alors, oui, nous devons mener ce type d’actions, qui peuvent devenir de véritables électrochocs, capables de ranimer des démocraties moribondes et créer des sociétés justes, solidaires et soutenables.

Le « Contre »

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Marine Calmet
Porte parole de Or de question, présidente de Wild Legal, auteur de Devenir Gardiens de la Nature
Non, il n'est pas nécessaire de choquer pour se faire entendre

Dans les luttes pour la protection de la nature, où l’objectif est de convaincre et d’obtenir une modification du comportement du public, choquer peut-être reçu de manière très différente et plus ou moins efficace selon la sensibilité des personnes auxquelles vous vous adressez.

 Prenons l’exemple de notre combat avec le collectif Or de question contre le projet Montagne d’or en Guyane. Nous aurions pu choisir de déverser des produits toxiques et des boues cyanurées devant les portes de Bercy et du ministère de la transition écologique, organiser une campagne sanguinolente contre de grands bijoutiers associant l’industrie de l’or et le sang de la Guyane, cela aurait certainement fait de belles images pour les médias. Mais nous avons décidé d’agir différemment, de parler de la riche biodiversité de la forêt amazonienne, en soulignant les dangers de l’industrie minière bien sûr, mais en misant sur une transformation plus profonde de l’opinion. Nous avons mis en avant des filières alternatives pour le développement économique et associé à nos revendications les voies des peuples autochtones de Guyane et de toutes les composantes de la société guyanaise. Notre plaidoyer a su fédérer le plus grand nombre et inverser le rapport de force politique, contraignant Emmanuel Macron à faire volte-face dans ce dossier devenu le caillou dans sa chaussure de “Champion de la Terre”.

 “Montrer l’exemple n’est pas le meilleur moyen de convaincre, c’est le seul” disait Gandhi. C’est pourquoi, la stratégie militante de l’association Wild Legal repose sur la démonstration de l’efficacité de nouveaux concepts juridiques, tels que les droits de la nature et le crime d’écocide, pour surmonter la crise écologique. Pour cela, nous organisons des procès simulés, véritables reconstitutions d’affaires emblématiques des scandales environnementaux de notre époque. Cette année, l’association a réuni experts, professionnels du droit et étudiants autour du cas de la pollution aux boues rouges en Méditerranée, pour mettre en évidence que grâce à l’inscription du crime d’écocide dans le droit français nous pourrions à l’avenir mettre efficacement un terme à l’impunité de ces grands pollueurs. Loin des espaces oniriques dans lesquelles se perdent les paroles du gouvernement quand il annonce adopter un “délit d’écocide”, nous attestons par la pratique, l’inefficacité de leurs mesures et montrons la voie à suivre. Les faits sont choquants, l’impunité des industriels est révoltante mais la manière de convaincre par l’exemple, elle, en appelle à l’intellect et au bon sens présent en chacun de nous.

 

 


 
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