📋 Le contexte 📋
Une forêt primaire, c’est une forêt qui est restée identique au fil des siècles sans avoir été transformée par la présence de l’Homme. Elle n’a donc jamais été exploitée ni défrichée, pas même pour la récolte des champignons ou la chasse.
Un projet a été lancé par l’association Francis Hallé, celui de recréer une forêt primaire dans une zone densément peuplée comme l’Europe de l’Ouest. L’objectif à long terme est de “réconcilier l’homme avec la nature intacte” et d’en faire un grand projet européen, pour des raisons de stabilité et de sécurité. La zone n’a pas encore été choisie, mais elle sera transfrontalière, avec une base française. Il existe peu de forêts en Europe qui sont restées indemnes de toute exploitation. On peut en citer une en Pologne, la forêt de Białowieża. Formée il y a 10 000 ans, c’est le refuge des derniers bisons d’Europe, et elle attire chaque année des centaines de milliers de visiteurs.
Pour recréer une forêt primaire, il convient de choisir son emplacement. Il est nécessaire que la forêt ait une une vaste superficie – environ 70 000 hectares. Il faudrait compter 1 000 ans à partir d’un sol nu et 800 ans à partir d’une forêt secondaire pour obtenir une forêt primaire.
Une fois l’emplacement choisi, il faut y laisser mourir les arbres. Leur bois, une fois tombé, enrichit le sol et favorise le développement et la diversification des champignons et des insectes. Des arbres naissent ensuite de façon naturelle (comme les frênes, les tilleuls, les érables…). Ils construisent la forêt, puis disparaissent à leur tour de façon cyclique. Des animaux qui ne sont pas apparus seuls (comme les ours ou les bisons) sont introduits. Puis, la forêt poursuit sa croissance avec un renouvellement naturel d’arbres et d’espèces.
Ainsi, un espace riche en plantes et en animaux évolue librement. Tout prélèvement végétal et tout braconnage sont interdits, mais la forêt primaire reste ouverte à la visite.
Selon ses partisans, les bénéfices d’une forêt primaire sont nombreux : elle permettrait la captation du CO2, la régulation du climat, la reconstitution de ressources hydriques, la réserve de la biodiversité… La forêt primaire contribuerait notamment à la protection de la vie humaine contre les pandémies grâce au maintien et au développement d’écosystèmes pour garantir un bon équilibre du vivant dans son ensemble.
Mais certains experts ne semblent pas aussi séduits par l’idée. En effet, dans un contexte de changement climatique rapide et incertain, réduire la forêt à sa “simple fonction de sanctuaire” pourrait être une erreur. La forêt générerait tout autant de bénéfices en étant exploitée de manière raisonnée qu’en étant laissée à son état primaire, sans intervention humaine. De plus, l’exploitation forestière constitue un rôle social et économique important, notamment avec les emplois qu’elle génère. Du coup, créer une forêt primaire en France, bonne ou mauvaise idée ? On en débat aujourd’hui avec deux experts !
Source : Les Echos
🕵 Le débat des experts 🕵
La dernière forêt primaire d’Europe, à Białowieża en Pologne près de la Biélorussie, court le risque d’être exploitée et détruite par le gouvernement polonais actuel, notoirement dépourvu de toute sensibilité écologique.
Si Białowieża disparaît, nous n’aurons plus en Europe que des forêts secondaires, semblables aux forêts françaises actuelles, c’est-à-dire basses, déstructurées, aux arbres grêles, sans canopée et à la grande faune détruite par la chasse.
La crainte de la disparition de Białowieża explique le projet ambitieux et un peu utopique de faire renaître une forêt primaire de plaine en Europe de l’Ouest. Une Association y travaille ; le « Manifeste » récemment publié par Actes Sud (Hallé 2021) décrit notre projet dont je reprends les grandes lignes.
Est primaire une forêt qui n’a jamais été exploitée ; si elle l’a été, un temps suffisant s’est écoulé pour que le caractère primaire ait pu réapparaître ; cela se compte en siècles.
Une forêt primaire est l’optimum écologique et l’antidote parfait contre la dégradation actuelle de l’écologie planétaire : maximum de fixation et de stockage du carbone atmosphérique, minimum de pollution, maximum d’alimentation des nappes phréatiques, de fertilité des sols, de biodiversité, de résilience et de beauté forestière.
C’est un projet européen, qui se situera entre la France et l’une des nations limitrophes, Belgique, Luxembourg, Allemagne, Suisse, Italie et Espagne. La surface, de 70 000 hectares entourés par une zone-tampon, nous est imposée par la grande faune et la nécessité d’un équilibre entre prédateurs et proies. La durée nous est imposée par la lenteur de la croissance forestière ; à partir d’une forêt secondaire, sept siècles permettront trois étapes successives, celle des arbres pionniers, celle des arbres post-pionniers, enfin la forêt primaire elle-même. Ce serait plus rapide aux latitudes tropicales mais en Europe, entre 40 et 50˚ de latitude, les arbres grandissent seulement quatre mois par an, de mars à fin juin. La forêt, en « libre évolution », travaillera pour elle-même, sans aucune exploitation, ni prélèvement de bois mort, ni plantation de jeunes arbres. Les visites seront bienvenues, à la seule condition de respecter la forêt.
Nous avons des adversaires. Les chasseurs pour commencer : nous discuterons avec leurs fédérations pour tenter de les convaincre d’exercer leurs talents seulement dans la zone-tampon ; il semble d’ailleurs que le nombre des chasseurs diminue. Les forestiers ensuite : certains détestent la « libre évolution » et ne conçoivent pas qu’une forêt puisse survivre sans exploitation par l’homme ; heureusement de jeunes forestiers ont une conception moins anthropocentrique et plus réaliste de l’écologie forestière. Enfin notre projet s’oppose aux partisans de la vitesse ; pour eux la vie doit être de plus en plus rapide (transports, communications, informatique, etc.) et ils ne supportent pas l’idée d’un projet écologique nécessitant plusieurs siècles ; nous démontrerons qu’en matière d’arbres et de forêts, toute précipitation mène à l’échec.
Dans un contexte d’urgence climatique, créer une forêt ‘’primaire’’ en France semblerait une bonne idée pour stocker le Carbone de l’atmosphère et protéger la biodiversité. En réalité, une forêt gérée avec de bonnes pratiques d’exploitation offre plus de valeurs au niveau écologique qu’une forêt conservée qui est à maturité.
Au niveau du stockage du Carbone, trois points sont à relever. Le prélèvement d’arbres permet de stocker le Carbone plus durablement que sur une forêt naturelle. L’utilisation du matériau bois permet non seulement de stocker le Carbone sous forme de bois brut, mais il peut également se substituer à des matériaux de construction dont la mise en œuvre relâche beaucoup de CO2 dans l’atmosphère. (1)
De plus, une forêt naturelle va libérer du Carbone lorsque les arbres en fin de vie meurent et se décomposent. Lorsqu’un peuplement forestier arrive à maturité, le Carbone émis est équivalent au Carbone fixé (2). Contrairement à une forêt qui est maintenue à un stade de croissance par une exploitation raisonnée. Dans ce cas, le taux de fixation de Carbone est maintenu à son maximum et la forêt constitue un puits de Carbone.
Le bois a cette particularité d’être réutilisable en cascade, c’est-à-dire qu’il va être ré-utilisé pour différentes fonctions. Cela permet d’allonger la durée de vie du matériau bois et ainsi d’allonger le temps de stockage du Carbone. Si l’on ajoute le fait que ce matériau est biodégradable, cela en fait un matériau extrêmement intéressant que ce soit sur le stockage du Carbone mais également sur la gestion des déchets.
En ce qui concerne la biodiversité, un écosystème en équilibre est généralement plus riche que dans un milieu en exploitation. Toutefois, les impacts négatifs de l’exploitation d’une forêt peuvent être nettement atténués avec des pratiques durables par exemple en évitant les coupes à blancs et en privilégiant la sélection des arbres à prélever.
Enfin, l’exploitation forestière joue un rôle social important que ce soit sur sa fonction récréative mais également économique. Les emplois générés par la filière bois (3) sont non-délocalisables et participent à la vie dans les zones rurales. Produire une ressource qui peut fixer du carbone, le stocker (in et ex situ), qui peut être réutilisée dans une multitude de produits, est biodégradable et évite l’utilisation de ressources alternatives plus coûteuses en émissions à gaz à effet de serre, cela semble être une excellente option dans la lutte contre le changement climatique.
- programme « Evaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques » (Efese) en 2019
- Source FAO http://www.fao.org/3/v5240f/v5240f09.htm
- 378 000 emplois en 2019 selon le Ministère de l’agriculture et de l’alimentation – https://agriculture.gouv.fr/infographie-la-filiere-foret-bois-en-france