Où est passée l’eau verte ?

Eau verte

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

La 6eme limite planétaire, celle de l’eau douce, vient d’être dépassée. Le 28 avril dans la revue américaine Nature, des scientifiques du Potsdam Institute associés au Stockholm Resilience Center nous ont alertés sur les dangers que cela représentait.

C’est quoi l’eau verte dont tout le monde parle ?

Sur Terre, le volume d’eau présent peut paraître démentiel, mais l’eau douce ne représente que 2.5 %. Cette dernière se divise en deux catégories: l’eau bleue et l’eau verte. L’eau bleue, celle que l’on consomme, était jusqu’à présent la seule à être prise en compte quand on parlait du cycle de l’eau et des dangers que notre activité représentait. Issue des précipitations, elle s’écoule jusqu’à la mer ou dans les rivières, nappes phréatiques et les lacs. 

L’eau verte est alors celle que l’on ne voit pas, celle qui reste invisible. Stockée dans le sol et la biomasse, elle assure la bonne humidification des sols, indispensable au développement des végétaux et micro-organismes. Elle est évaporée par les plantes et retourne directement dans l’atmosphère. Cette eau verte englobe 60 % de la masse des précipitations, devenant ainsi essentielle à la dynamique du système terrestre. Les experts estiment aujourd’hui que 18 % des sols sont déséquilibrés vis-à-vis de l’eau verte alors que la limite de sécurité était fixée à 10 %. 

Quelles sont les répercussions de ce déséquilibre ?

Pour l’hydrologue et fondatrice du centre de recherche Mayane, Emma Haziza, c’est «une eau qu’on ne maîtrise pas»  mais qui est essentielle aux écosystèmes, à la flore et à l’humidification des sols. Sans elle, le risque de voir augmenter les températures et l’expansion de la désertification et de l’aridification des sols s’intensifie. Un phénomène qui a déjà commencé. D’après l’étude de la NASA basée sur des données satellites, des zones comme l’Asie du Sud, le golfe Persique ou les pays bordant la Mer rouge seront inhabitables d’ici 2050 à cause du réchauffement climatique. Ces dernières années ont déjà été marquées par la multiplication des sécheresses comme en Éthiopie où la pluie n’est pas tombée depuis 18 mois ou au sud-ouest des États-Unis où une «méga sécheresse» sévit depuis 22 ans. L’Europe n’est pas épargnée, l’Espagne ou la Grèce connaissent déjà une multiplication des incendies et l’expansion de leur désert. En France, les précipitations sont déficitaires de 35 % cette année selon Météo France et les vagues de chaleur vont continuer à s’installer. 

Spirale climatique @NASA

Ce manque de pluie et l’incapacité grandissante du sol à la retenir entraînent entre autres le risque de voir disparaître nos forêts, comme celle d’Amazonie, qui est un de nos derniers remparts contre le basculement de l’équilibre planétaire. Mais cela va également aggraver les émissions de gaz à effet de serre (GES) et la montée des eaux. En effet, la vapeur d’eau est une des premières émettrices de GES et quand l’eau retombe, de plus en plus sous forme de pluies violentes et condensées, le sol n’est plus en état de l’accueillir. On voit alors des effets de ruissellement, qui à terme participe à l’augmentation des océans que l’on estime à 30 %. 

Comment notre manière de penser l’agriculture et de consommer doit-elle évoluer ?

Si les raisons de ce dérèglement sont nombreuses, comme la pollution qui contamine nos terres ou le réchauffement climatique qui les assèche, les scientifiques s’accordent sur notre consommation d’eau comme première responsable. Les Européens consomment par exemple entre 5 000 et 7 000 litres d’eau par jour. Bien sûr, ce n’est pas seulement dans nos verres d’eau et à cause de notre douche du matin, mais c’est l’ensemble de notre assiette et notre mode de vie qui est pointé du doigt. En effet, 70 % de notre consommation d’eau concerne l’agriculture. En comparaison l’industrie ne représente que 20 % et les besoins domestiques 10 %. L’eau verte, qui est d’ailleurs majoritairement utilisée pour les cultures et l’élevage, est évapotranspirée ce qui implique que l’eau prélevée n’est pas restituée localement. L’agriculture intensive, désormais mondialisée, pollue ainsi nos sols avec ses pesticides, empêche la matière organique de se régénérer et empêche notre sol de conserver l’eau. 

Pour Emma Haziza, une des solutions les plus efficaces pour limiter la disparition de l’eau verte et assainir de nouveau nos terres serait de réduire notre consommation de viande. Elle note dans une interview pour France Inter, qu’il est heureux que le monde entier ne consomme pas la viande comme les Européens ont tendance à le faire. Nos cultures, mettant au centre de l’assiette du bœuf, participent par exemple de manière plus prononcée à cette problématique que ceux privilégiant la volaille. La moyenne mondiale établie à 15 500 litres d’eau nécessaire pour 1 kg de bœuf contre 3 900 litres pour 1kg de poulet, une estimation pouvant varier selon le type d’élevage. Ce chiffre est calculé selon la méthode «water footprint» qui  englobe l’eau bleue ( consommée par les élevages et utilisée pour l’irrigation), l’eau grise (l’eau non potable) et l’eau verte, représentant 95 % de ces 15 500 litres. À titre de comparaison, 1 kg de soja nécessite 1 800 litres d’eau. Si certains végétaux restent décriés pour leur forte consommation d’eau comme le cacao ( 17 000 litres / 1 kg), une alimentation végétale et locale reste à privilégier. 

Les scientifiques mettent également en avant la nécessité de végétaliser nos villes et de changer nos modèles agricoles en intégrant la permaculture et l’agroforesterie. Cette pratique ancestrale consiste par exemple à s’inspirer du modèle de la forêt en introduisant de nouveau l’arbre et l’arbuste dans nos parcelles. L’arbre permet de mieux stocker le carbone et d’assainir la qualité de l’eau.  Car oui, si l’agriculture est coupable, elle peut aussi être une solution.

Et plus largement, c’est quoi les limites planétaires ?

Dans la lignée des travaux du Club de Rome en 1972 sur les limites de la croissance, une équipe de 28 scientifiques internationaux menée par Johan Rockström expose pour la première fois en 2009 le concept de limites planétaires. Ils les définissent comme étant les seuils à ne pas franchir au risque de déstabiliser gravement et durablement l’équilibre de la Terre. En prenant comme référence l’Holocène (une période climatiquement stable qui a commencé il y a plus de 10 000 ans), les scientifiques nous alertent dès leur première publication sur le dépassement de trois de ces limites : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité et la perturbation du cycle de l’azote. 

Les 9 limites planétaires sont :  

  • le changement climatique 
  • les pertes de biodiversité 
  • les perturbations globales du cycle de l’azote et du phosphore 
  • l’usage des sols 
  • l’acidification des océans 
  • la dégradation de la couche d’ozone 
  • les aérosols atmosphériques
  • l’usage de l’eau douce 
  • la pollution chimique et l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère

Les pressions anthropiques sur notre environnement entraînent en 2015 le dépassement d’une nouvelle limite, celle de l’utilisation des sols. Une mise à jour réalisée par l’équipe du scientifique Will Steffen. En février 2022, c’était au tour de la limite sur la pollution chimique et l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère d’être transgressée. 

Ces limites planétaires, désormais reconnues par les institutions nationales et internationales comme l’Agence européenne de l’environnement ou l’ONU, font face comme tout concept à certaines critiques sur leur définition. Certains préfèrent au terme de limite, l’emploi de frontière car il enlève l’idée d’un point de basculement, difficile à préciser. 

D’autres mettent en exergue des définitions jugées trop larges au sein des limites ou de l’absence de prise en compte de certains éléments. Kristy L. Nash, écologiste marine américaine, regrette par exemple, la sous-représentation des fonds marins et propose de les inclure en tant que frontière du changement de la surface terrestre. 

La théorie du Donut ? 

Cette notion de limite planétaire a permis de faire émerger en 2012, la théorie du donut par l’économiste britannique Kate Raworth. Une pensée plus générale qui permet d’inclure les enjeux sociétaux aux limites environnementales. Elle intègre ainsi un plancher social à ne pas franchir comprenant l’accès à l’eau, l’égalité des sexes, la paix et la justice… Ce concept, qu’on vous expliquait plus longuement le mois dernier et que vous pouvez retrouver sur notre site (https://ledrenche.ouest-france.fr/oxfam-theorie-donut/), permet alors d’envisager une économie inclusive et durable. Selon Kate Raworth, ce donut peut alors être vu comme «une boussole qui pointe vers un avenir qui pourrait satisfaire les besoins de chacun, tout en préservant le monde vivant dont nous dépendons tous ». 

Sources :

 

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