Avertissement !
Ce débat, surtout formulé comme ceci, peut sembler trompeur. Il place sur le même plan deux opinions dont l’Histoire a montré qu’elles n’étaient pas forcément sur le même plan. Néanmoins, à l’époque, elles l’étaient. Nous ressuscitons ces débats historiques dans leur contexte pour montrer que les débats d’hier ont contribué à façonner le monde que nous connaissons, et par extension que les débats d’aujourd’hui contribuent à façonner le monde de demain. Et, qui sait ? Peut-être que dans quelques générations, certains de nos débats actuels ne mériteront plus le pied d’égalité dont ils ont bénéficié aujourd’hui ?
📋 Le contexte 📋
La pénalisation de l’homosexualité constitue le fait de rendre condamnable par la loi les relations homosexuelles privées ou relations sexuelles entre adultes consentants du même sexe. Les relations ou rapports homosexuels sont donc considérés comme des crimes ou des délits. Cela induit différentes peines qui peuvent aller d’amendes à la peine capitale dans certains cas.
La pénalisation de l’homosexualité est également génératrice d’inégalités. L’homosexualité est considérée comme “anormale” voire “contre-nature” provoquant rejet, discrimination et homophobie.
Dans les pays ayant dépénalisé l’homosexualité, ces lois, même abrogées, ont conféré et confèrent parfois encore une légitimité aux préjugés sociétaux. Ainsi, le fait d’appartenir à la communauté LGBT+ est encore une barrière à l’embauche, à l’immigration ou à l’intégration et un motif d’exposition à des manifestations de haine, à des abus policiers, à la torture ou à la violence domestique.
Source : ONU
L’homosexualité était tolérée par le droit romain. Elle devient passible de la peine de mort à partir du VIème siècle.
En 1791, le “crime de sodomie”, passible de la mort par le feu, est aboli. Peine peu appliquée, la dernière condamnation pour fait de sodomie en France remonte à juillet 1750. Pourtant, l’abolition du crime de sodomie ne signifie pas la dépénalisation de l’homosexualité, celui-ci visant les pratiques sexuelles n’ayant pas pour but de procréer. Les homosexuels sont toujours poursuivis sous d’autres charges, comme l’outrage à la pudeur .
En 1942, le régime de Vichy pénalise à nouveau les rapports homosexuels : un majeur ne peut entretenir de relations homosexuelles avec une personne de moins de 21 ans quand l’âge minimum pour les relations hétérosexuelles est alors de 13 ans (puis 15 ans à partir de 1945). A la libération cette disposition de la loi française est maintenue, transférée en 1974 à l’alinéa 2 de l’article 331 du Code Pénal lorsque la majorité est abaissée à 18 ans :
“Sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 60 francs à 15 000 francs quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe mineur de dix-huit ans.”
Ce n’est qu’en 1981 que la France retire l’homosexualité du classement des maladies mentales. En 1982, l’alinéa 3 de l’article 331 du Code Pénal disparaît, à l’initiative du Garde des Sceaux, Robert Badinter, dépénalisant ainsi l’homosexualité en France.
Aujourd’hui, avoir des relations sexuelles avec une personne du même sexe est illégal dans 70 pays. Dans une dizaine de pays comme l’Afghanistan, l’Iran, l’Arabie Saoudite ou le Pakistan, l’homosexualité est toujours passible de la peine de mort. Selon l’ILGA, en 2019, l’homosexualité était encore pénalisée dans 70 pays à travers le monde.
Le mariage homosexuel est, lui, reconnu dans seulement 29 pays, dont un partiellement.
Sources : CNN, Le Monde, ONU, Amnesty International
🕵 Le débat des experts 🕵
Monsieur le Garde des Sceaux, mes chers collègues, on peut se demander, avec le recul, comment des députés français, c’est-à-dire par définition des femmes et des hommes qui devraient avoir l’intelligence de nos libertés fondamentales puisqu’ils sont chargés de les défendre, ont pu légiférer pour réprimer l’homosexualité. Car, s’il est un choix individuel par essence et qui doit échapper à toute codification c’est bien celui de la sexualité.
Il ne peut y avoir de » morale sexuelle » de tous qui s’impose à la “morale sexuelle” de chacun. (…) La morale religieuse, pour laquelle l’amour ne se trouve justifié que dans sa fin de procréation, relève, comme la liberté sexuelle, de la liberté de conscience de chacun. Elle ne peut donc, même masquée, décider du « bon choix » sexuel. (…) La « norme » sexuelle ne se définit pas. Elle se dessine à l’échelle de chaque corps, de chaque enfance, de chaque culture, de chaque plaisir, à condition — je le répète — de ne blesser, de n’agresser ou de ne violenter personne.
(…)
De 1791 à 1942 — c’est-à-dire tout de même pendant plus d’un siècle et demi — la législation pénale française a ignoré l’homosexualité. (…). C’est une loi du régime de Vichy,(…), qui a réintroduit le délit d’homosexualité dans la législation pénale française. Ce texte, (…) punissait des mêmes peines que le proxénétisme « celui qui aura commis un ou plusieurs actes impudiques ou contre nature avec un mineur de son sexe, âgé de moins de vingt et un ans ». (…)
L’homosexualité ne peut, en elle-même, constituer une infraction pénale parce qu’elle n’entraîne aucune réprobation morale.
Les partisans du maintien de cette répression particulière arguent du fait qu’il faut protéger la jeunesse contre les entreprises de séduction homosexuelle de ses aînés. Mais outre que cette objection ne tient pas compte du fait que notre code pénal est riche en articles qui permettent la protection de la jeunesse, qu’elle soit victime d’agissements hétérosexuels ou d’agissements homosexuels, elle repose surtout sur l’idée que l’homosexualité constitue une déviance de la sexualité. C’est cette analyse que nous, socialistes, nous récusons. Nous estimons en effet qu’il ne revient pas au législateur de distinguer, dans ce domaine, ce qui serait normal de ce qui ne le serait pas. (…)
L’abrogation a simplement pour objet de signifier que les homosexuels sont des citoyens qui doivent répondre de leurs actes au même titre que les hétérosexuels, quand ces actes constituent des délits. (…)
Il devient clair que le texte actuel crée une inacceptable inégalité, devant la loi, de deux catégories de citoyens. (…) Il n’est pas possible, me semble-t-il, de prévoir des solutions différentes pour les hétérosexuels et les homosexuels, car cette discrimination repose en vérité (…) sur un jugement moral implicite ou explicite : l’homosexualité est l’anormalité. (…)
Nous ne saurions maintenir dans notre droit un texte discriminatoire, qui méconnaît une réalité sociale et humaine importante et qui, eu égard à la liberté sexuelle que nous avons admise et défendue, ne peut trouver dans la société d’aujourd’hui aucune justification.(…)
Discours prononcé devant l’Assemblée Nationale, deuxième séance du 20 décembre 1981, sur l’abrogation de l’alinéa 2 de l’art. 331 du Code Pénal
J’ai lu en détail et avec attention le rapport déposé au nom de la commission des lois. (…) Certains de ses accents présentaient tous les caractères d’une sorte d’hymne à la sexualité et même à l’homosexualité. (…) Il ne s’agit pas pour vous d’abroger une loi pénale (…). Ce que vous voulez, en réalité, c’est proclamer par la loi l’abrogation d’une morale et l’instauration d’une morale différente. La morale que les socialistes récusent, ce n’est pas seulement celle de la tradition judéo-chrétienne à laquelle j’ai personnellement l’honneur d’adhérer, c’est aussi la morale laïque(…).
Dans le domaine des mœurs, votre principe est celui d’une liberté absolument dépourvue de toute entrave et complètement déchaînée. La morale que vous voulez proclamer légalement, indépendamment de toute considération religieuse ou philosophique, présente, sur le point dont nous délibérons, le défaut d’être (…) en désaccord évident avec l’anatomie et la physiologie. Mais cela ne vous importe guère. (…) vous niez la nature en niant l’existence d’actes contre-nature, et cela au nom de votre idéologie. (…)
On peut dire aujourd’hui, d’un point de vue scientifique, que l’homosexualité n’est pas nécessairement ni habituellement la conséquence de prédispositions innées, mais celles d’habitudes acquises. (…)
Le grand reproche qui a été adressé à cette incrimination est d’avoir été réinventée (…) par un texte du Gouvernement de Vichy. On s’en avise quarante ans après. (…)
J’ai été un peu étonné d’entendre tout à l’heure M. le Garde des Sceaux nous dire que ce texte était en définitive peu nécessaire parce qu’il existait tout un arsenal législatif. (…)
Mais (…) ces textes, qu’il s’agisse du proxénétisme ou qu’il s’agisse d’excitation de mineurs à la débauche n’incriminent que les actes qui sont accomplis pour favoriser les passions d’autrui et non pas l’agissement du vieillard lubrique qui sodomise un gamin de quinze ans. Sur ce point, (…) je pense qu’il eût été bon de consulter l’ensemble des pères et mères de famille de ce pays et de leur demander s’ils estimaient convenable qu’on légalise désormais (…) les pratiques homosexuelles sur la personne de leurs enfants de quinze ans.
(…) De nos jours, des dizaines de milliers d’enfants des deux sexes vagabondent, jour et nuit, sans que nul ne s’en soucie. Dans certains établissements de nuit vous verrez, longtemps après minuit, des garçons de quatorze ans autour desquels folâtrent de beaux messieurs qu’on n’inquiète jamais…Qui se préoccupe de ces gosses? Oui, qui se préoccupe de ce massacre de gamins, qui s’indigne de l’impunité dont jouissent les ogres fortunés, qui songe aux travestis drogués, qui profite de l’argent que rapporte la prostitution, qui ferme les yeux, qui se tait, qui est complice ? La fameuse liberté dont on nous rebat les oreilles ne serait-elle que le droit qu’ont les ogres de dévorer les petits poucets ? Je ne saurais mieux dire, ni rien ajouter, si ce n’est de citer la parole éternellement vraie qu’entre le fort et le faible, c’est la loi qui affranchit et la liberté qui opprime. Je vous en supplie, mes chers collègues, ne légiférez pas ici par idéologie.
Discours prononcé devant l’Assemblée Nationale, deuxième séance du 20 décembre 1981, sur l’abrogation de l’alinéa 2 de l’art. 331 du Code Pénal.