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Faut-il diminuer le temps de travail ?

📋  Le contexte  📋

En France, la durée légale du travail pour un temps complet est fixée à 35 heures par semaine. Cette durée peut varier selon les dispositions conventionnelles au sein d’une entreprise, qui peuvent décider d’une durée de travail hebdomadaire supérieure ou inférieure aux 35 heures. 

Une étude de 2016 du groupe Randstad révèle que 70% des salariés travaillent plus de 35h. En tout, 54% des salariés interrogés pour l’étude ont un contrat à 35 heures (qui peut aller de 36 à 39 heures pour 32,4% d’entre eux, et parfois à plus de 39 heures pour 13,5%), seulement 28,4% travaillent bien 35 heures. Si on compte les heures supplémentaires, 28% travaillent entre 36 et 39 heures par semaine, et 43% plus de 39 heures.

Des entreprises proposent à l’inverse des semaines de 4 jours ou de 32h. Les salariés de l’entreprise Bosch Rexroth à Vénissieux, dans la métropole de Lyon, travaillent 32 heures par semaine depuis 22 ans. Dans le Rhône, les 1 000 salariés du groupe LDLC, spécialiste de la vente d’équipements informatiques, sont passés en 2020 aux 32 heures par semaine, réparties sur quatre jours. La Start-up Welcome To the jungle fonctionne aussi sur le modèle de la semaine de 4 jours depuis 2019.

Suite à une élection présidentielle riche en propositions et après une pandémie mondiale qui nous a poussés à repenser notre façon de travailler, l’idée de réduire le temps de travail ou de l’allonger ressurgit dans les débats.

Le jeudi 14 octobre 2021, la CGT lançait une campagne nationale en faveur de la réduction du temps de travail hebdomadaire à 32 heures. Plusieurs candidats à l’élection présidentielle se disaient favorables à une réouverture du débat.« Les conditions de travail se sont beaucoup dégradées, le télétravail a pris de l’ampleur », donc « ​il faut reposer la question de comment on partage son temps », estime par exemple la socialiste Anne Hidalgo, candidate malheureuse à la présidentielle de 2022.

La diminution du temps de travail serait profitable à l’économie toute entière​. La CGT souhaite réorienter des aides publiques massives, qui « pourraient être mobilisées en faveur d’une nouvelle phase de réduction du temps de travail et de créations d’emploi ». 

La diminution du temps de travail porte aussi des enjeux environnementaux : travailler moins conduirait à limiter certains déplacements, moins consommer sur les lieux de travail, réduire le flux des données échangées… Cela permettrait aussi de pallier certaines inégalités : les femmes étant souvent contraintes de se mettre en arrêt ou de travailler à temps partiel pour s’occuper de leurs enfants, ce qui a des conséquences sur les salaires et les retraites.

Pourtant, lors de son allocution du 12 juillet 2021, Emmanuel Macron avait déclaré :  « Parce que nous vivons plus longtemps, il nous faudra travailler plus longtemps et partir à la retraite plus tard ». Travailler davantage permettrait de préserver le système de retraite par répartition.  Un temps de travail réduit pose aussi des questions d’organisation : les entreprises devront-elles fermer le vendredi, au risque de compliquer les relations avec les clients et les fournisseurs ?

Selon un sondage Ifop de 2019 publié par Le JDD, 54% des Français sont opposés à l’idée de travailler plus. Alors, faut-il diminuer le temps de travail ou au contraire, aller vers son allongement ?

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Faut-il diminuer le temps de travail ?
Le « Pour »
Baptiste Talbot
Membre de la commission exécutive confédérale de la CGT
Les 32h hebdomadaires pour travailler moins, travailler mieux, travailler toutes et tous

Le choc pandémique a conduit à de nombreux débats sur le « monde d’après ». Alors que les forces dominantes œuvrent méthodiquement à relancer en pire un système dont la crise sanitaire a confirmé la profonde nocivité, la période actuelle appelle l’exigence de profondes ruptures.

C’est pourquoi la CGT fait campagne pour une nouvelle phase de réduction du temps de travail hebdomadaire à 32h, avec augmentation du taux horaire de rémunération pour garantir le niveau des salaires, obligations de créations d’emploi pour les employeurs à proportion de la réduction opérée sur le temps de travail, renforcement des droits d’intervention des salariés, et pénalisation du recours au temps partiel subi.

La loi sur les 32h représenterait un potentiel de créations d’environ 2 millions d’emplois

Une telle loi serait un puissant outil de réorganisation, dans le sens de l’intérêt général, d’un marché du travail totalement déséquilibré et inégalitaire. Aujourd’hui coexistent en effet plus de 3 millions de chômeuses et chômeurs sans aucune activité, plus de 2 millions de salariés à temps partiel, généralement des femmes, et des millions de salariés qui s’épuisent au travail et effectuent plus de 800 millions d’heures supplémentaires par an soit l’équivalent de 500 000 emplois à temps plein.   

La loi sur les 32h portée par la CGT représenterait un potentiel de créations d’environ 2 millions d’emplois stables à temps complet.

Ces emplois correspondent à une nécessité première pour les privés d’emplois, pour les précaires, pour les salariées à temps partiels subis, qui vivent dans des conditions très difficiles. Ils seraient aussi vecteurs de cotisations sociales, de rentrées fiscales, de consommation.

Ces emplois correspondent aussi à des besoins d’intérêt général dans un grand nombre de secteurs, notamment à l’hôpital. Les 32h seraient par ailleurs source de créations d’emploi et donc de richesses dans la culture, le sport, le tourisme, le service public de la petite enfance, etc… 

Ces emplois, et les augmentations générales de salaire qui doivent d’urgence être opérées, correspondent enfin au juste et nécessaire transfert des richesses produites du capital vers le travail, à l’inverse de la logique de concentration entre les mains des plus aisés renforcée durant la crise pandémique.

Des emplois supplémentaires, pérennes et bien rémunérés sont aussi vecteurs d’une consommation de meilleure qualité, elle-même facteur de relocalisation et de développement industriel, de circuits de production et de consommation plus respectueux de l’environnement. 

Le sens du progrès social, le sens de l’histoire

Les 140 milliards de dépenses du « quoiqu’il en coûte », les aides publiques massives versées chaque année au patronat sans condition et les centaines de milliards de profits engrangés durant la pandémie ont fini de démontrer que les moyens financiers existent pour d’autres choix. La seule question posée est donc celle de la nature des orientations politiques.

Dans la continuité des différentes lois de réduction du temps de travail (lois des 8h en 1919, des 40h en 1936, des 39h en 1982, lois sur les 35h), une nouvelle étape de réduction du temps de travail par la loi est possible et nécessaire. C’est le sens du progrès social, c’est le sens des évolutions internationales qui voient se multiplier les expériences en la matière, c’est le sens de l’histoire.

Le « Contre »
Agnès Verdier-Molinié
Directrice de la fondation iFRAP
Faut-il travailler moins ? La réponse est non !

Tous ceux qui proposent de travailler moins (32 heures, 28 heures…) le proposent à salaire égal alors que nul ne fait ce choix aujourd’hui en Europe et que la France a décroché en richesse par habitant. Notre pays est maintenant 23ème au monde en richesse par habitant alors que notre pays était 11ème dans les années 1980. Les pays du Nord de l’Europe qui travaillent beaucoup plus que nous nous ont largement dépassés. Il faut souligner que seule la France a adopté dans sa loi les 35 heures payées 39 heures.  

Pourquoi le volume de travail est-il si faible chez nous ?

Les chiffres sont parlants : les salariés Français à temps complet travaillent 1680 heures en 2019 quand les salariés Allemands à temps complet travaillent 1834 heures et les salariés Britanniques 1921 heures… La moyenne de L’Union Européenne à 28 est de 1846 heures. 

Pourquoi le volume de travail est-il si faible chez nous ? Ce n’est pas culturel puisque, lorsque l’on se penche sur la durée effective de travail des non-salariés (autrement dire les indépendants artisans, commerçants, professions libérales), la France est bien placée car ces derniers travaillent 2290 heures par an soit plus que la moyenne européenne qui est de 2214 heures.  

Vous n’êtes pas convaincu ? On peut aussi faire le calcul en divisant le nombre d’heures travaillées par an par le nombre d’habitants : en France, on travaille 630 heures par an et par habitant. Selon l’OCDE, qui publie ce classement, la France est le pays où cette quantité de travail par habitant est la plus faible. L’Espagne est à 697 heures par habitant, l’Allemagne à 722 heures, le Royaume-Uni à 808, les États-Unis à 826, la Suisse à 943. 

Cela explique bon nombre de nos difficultés pour créer de la valeur ajoutée. 630 heures par an, c’est à peu près quatre mois de travail à temps plein par habitant. Pour être bien clair : un tiers de l’année alors que, pour chaque habitant en Suisse, le temps de travail correspond plutôt à 6 mois en moyenne. Ces 7 milliards d’heures manquantes représentent environ 4 millions d’emplois à temps plein. 

Baisser le temps de travail contribuerait à faire encore plus décrocher la France en richesse par habitant

Si l’on considère la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, l’Autriche, la Suède et le Royaume-Uni, c’est plus de 7 milliards d’heures qui sont travaillées en moins en France tous les ans.  Les Allemands ont travaillé 62 milliards d’heures en 2018, les Anglais 54 milliards et les Français 42 milliards… Par rapport aux Anglais qui ont une population comparable à la nôtre, nous travaillons donc même déjà 12 milliards d’heures au total de moins par an.  Baisser encore le temps de travail par semaine contribuerait à creuser encore cet écart et à faire encore plus décrocher la France en richesse par habitant. 

Il faudra donc non pas travailler moins mais travailler plus et plus longtemps et ce d’autant plus qu’il y aura seulement 1,61 actif cotisant pour 1 senior pensionné d’ici 2030 et 1,35 d’ici 2060… On ne pourra pas faire peser sur de moins en moins de jeunes (et moins jeunes) actifs de plus en plus d’inactifs.

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