Grands Projets d'infrastructure

Faut-il encore des Grands Projets d’infrastructure en France ?

📋  Le contexte  📋

La question est celle des Grands Projets d’Infrastructure, qu’on appelle aussi Grands Chantiers. Il n’existe pas de définition officielle, mais ce terme est utilisé le plus souvent pour désigner les grands projets d’aménagement du territoire qui impactent profondément l’urbanisme, les réseaux d’énergie, l’industrie ou encore les transports : barrages, centrales nucléaires, entrepôts géants, aéroports, autoroutes ou encore nouvelles lignes de métro.

Depuis plusieurs années la contestation se fait de plus en plus forte vis à vis de ces ‘Grands Projets”. Leurs détracteurs leur reprochent le plus souvent soit leur inutilité, soit leur incompatibilité avec les enjeux de la transition écologique. Ils militent pour une approche plus sobre et plus résiliente de l’aménagement du territoire. Cette opposition a conduit à l’abandon de plusieurs gros projets ces dernières années : l’aéroport de Notre-Dame-Des-Landes, Europacity, ou encore l’Autoroute A45 entre Lyon et Saint-Etienne.

Plusieurs grands projets vont continuer leur développement ou leur construction en 2021. Pour ne citer que les plus gros : Grand Paris Logement (42 Mds d’€), Le Grand Paris Express (24,9 Mds d’€), la Ligne à Grande Vitesse Lyon-Turin (26Mds d’€), ou encore l’extension des aéroports de Paris, Marseille et Lyon (3,41 Mds€ au total). 

Source : Observatoire Intermat de la Construction

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Le « Pour »

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Bernard Lassus
Fondateur de BLEnergy
Donnons aux prochaines générations les moyens de construire leur futur

Un grand projet est principalement un projet d’infrastructure durable, pas nécessairement industrielle, qui correspond à un besoin sociétal. Il permet l’adaptation et l’anticipation de notre société à notre environnement et ses défis avec une juste utilisation du progrès technologique et à des coûts maitrisés. Le projet Linky est un exemple. Les compteurs communicants sont les éléments incontournables de l’évolution des réseaux électriques pour favoriser la transition écologique (intégration des énergies renouvelables, des bornes de recharge des véhicules électriques, …).

Nos infrastructures ont montré leur capacité à absorber les chocs

La pandémie est un révélateur. Nos infrastructures ont montré leur capacité à absorber les chocs. Les « supply
chains » alimentaires, les réseaux de communication et d’énergie montrent leur efficacité que le quotidien a
tendance à nous faire oublier. La France a besoin d’infrastructures résilientes à tous les niveaux, local, régional et national. Nous dépendons, de plus en plus, les uns des autres, nous devons être solidaires. Nous ne devons pas opposer ces différents niveaux, ils sont complémentaires. Cela demande à être structuré et organisé. Les infrastructures en sont les fondations.

Quels sont les défis auxquels nous devons nous préparer et qui vont nécessiter d’adapter et de réinventer nos infrastructures : La transition écologique, la santé, l’emploi, la formation, la recherche, les transports, la réindustrialisation, la digitalisation…

L’acceptabilité sociétale des grands projets est indispensable

Pour relever ces défis, l’acceptabilité sociétale des grands projets est indispensable. Il y a certaines conditions
incontournables :
– Être fondés sur des bénéfices sociétaux, d’aujourd’hui et de moyen terme, compris par le citoyen et la
société,
– Concerter en amont est indispensable mais n’est jamais suffisant, il y a toujours des opposants soit par conviction soit par opportunisme. Tout au long du projet, il faut, sans relâche, consulter pour tenir compte de la réalité du terrain et s’adapter, tout en gardant le cap,
– Travailler en partenariat avec les organismes de l’état (CNIL, ANSSI, …) pour renforcer la légitimité,
– S’appuyer sur les échelons locaux pour trouver les bonnes solutions, les bons compromis. C’est là que la gestion de l’équilibre subtil entre les intérêts individuels et collectifs se réalise,
– Renforcer la valeur « confiance » en s’appuyant sur une communication juste, respectueuse et factuelle,
– Utiliser les réseaux sociaux comme un média. Les réseaux sociaux ne mesurent pas la réussite d’un projet,
– Rendre les services attendus dans le respect du budget et des délais.

Des grands projets, aujourd’hui, réussissent en France. L’impôt à la source, Linky et bien d’autres sont
d’excellents exemple.


Marie Baleo
Marie Baléo
Responsable des études et des publications, La Fabrique de la Cité
Il ne peut y avoir de transition écologique sans nouvelles infrastructures

Alors que notre horizon apparaît bouché par la pandémie et ses conséquences, il apparaît urgent de réinvestir l’idée de progrès. Cette idée, nous rappelle le philosophe Étienne Klein, s’appuie sur celle d’un « temps constructeur, permettant d’imaginer un futur désirable, attractif, crédible […] et d’œuvrer à son avènement ».

Durant la seconde moitié du 20ème siècle, le progrès s’incarna dans de grands projets d’infrastructure et d’équipement, qui inscrivirent dans le territoire une certaine vision de l’avenir. Ces infrastructures furent un formidable outil de développement pour nos sociétés et pour les individus.

La France devra relever deux défis dont l’urgence s’accroît de jour en jour : la transition écologique et la gestion des effets de la métropolisation

Les grands projets sont aujourd’hui cependant de plus en plus contestés, à tel point que l’on en oublierait presque qu’ils sont tout aussi nécessaires qu’au siècle dernier. Ils le sont d’autant plus que la France devra relever, dans les années à venir, deux défis dont l’urgence s’accroît de jour en jour : la transition écologique, alors que sont déjà franchis des points de non-retour en matière géologique et biologique (perte de la biodiversité, épuisement des ressources…) ; et la gestion des effets de la métropolisation, qui engendre une concentration urbaine aux conséquences négatives sur la santé et l’environnement.

De nouvelles infrastructures seront également nécessaires pour lutter contre le changement climatique

Pour relever ces défis, d’ambitieux investissements devront être réalisés en matière d’infrastructures et d’aménagement, qu’il s’agisse d’infrastructures publiques (écoles, hôpitaux), d’infrastructures énergétiques, de projets urbains de logement abordable ou encore du désenclavement des territoires par les infrastructures de mobilité. De nouvelles infrastructures seront également nécessaires pour lutter contre le changement climatique en décarbonant les mobilités ou la construction tout en adaptant nos modes de vie et territoires face aux effets déjà observables du changement climatique.

Le désaveu dont souffrent aujourd’hui les grands projets auprès d’une partie de l’opinion et des décideurs politiques ne doit donc pas conduire à leur abandon mais à une réflexion sur la façon dont ces infrastructures et, de façon plus large, l’aménagement du territoire, peuvent prendre en compte la préoccupation environnementale, nouveau référentiel des grands projets. 

Le « Contre »

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Philippe Subra
Professeur à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris 8) et l’auteur de Géopolitique de l’Aménagement du territoire, A. Colin, 2018.
Il faut réexaminer les grands projets d’infrastructure avec une nouvelle priorité : lutter contre la crise environnementale

La plupart des grands projets se heurtent aujourd’hui en France à une forte opposition. En utilisant des modes d’action diversifiés – de l’occupation permanente du site, façon « zone à défendre », aux actions ponctuelles non-violentes, comme celles de Greenpeace ou d’Extinction Rébellion, en passant par les recours juridiques et les manifestations – les opposants ont même remporté récemment plusieurs victoires spectaculaires, l’abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes, d’EuropaCity et du Center Parc de Roybon dans l’Isère.

L’utilité de nombreux projets de nouvelles infrastructures est très contestable, même du point de vue de leurs promoteurs

A cela trois grandes explications :

1. La France est désormais très bien dotée en infrastructures : le réseau autoroutier est achevé, les lignes à grande vitesse en projet sont peu rentables. L’utilité de nombreux projets de nouvelles infrastructures est très contestable, même du point de vue de leurs promoteurs. Ainsi, la SNCF ne défend que mollement le projet de tunnel Lyon-Turin parce qu’il l’empêche de financer d’autres chantiers plus urgents. Les seuls qui échappent à peu près à la critique sont ceux qui concernent les transports du quotidien dans les grandes agglomérations, comme le Grand Paris Express et les projets de RER à Marseille, Bordeaux ou Lyon. 

Un nouveau paradigme s’impose qui remet fondamentalement en cause la nécessité de nouvelles infrastructures

2. Avec la hausse des températures et la multiplication des épisodes de sécheresse, les manifestations de la crise climatique sont de plus en plus tangibles. Les priorités qui prévalaient jusqu’ici en matière d’aménagement du territoire (développer, moderniser, désenclaver) cèdent la place à de nouveaux impératifs : maîtriser l’évolution du climat, changer de modèle énergétique, stopper l’effondrement de la biodiversité et l’artificialisation des terres, améliorer la résilience de nos sociétés face aux crises. Un nouveau paradigme s’impose qui remet fondamentalement en cause la nécessité de nouvelles infrastructures, dont la construction et l’utilisation aggravent la crise environnementale. Que nous le voulions ou pas, nous devons adapter nos usages du territoire et nos projets d’aménagement à cette priorité des priorités qu’est devenue la défense de l’environnement.

On peut faire le pari que de nouvelles technologies nous permettront de conserver notre mode de vie […] mais c’est un pari

3. Cette crise, sa réalité, sa gravité exceptionnelle sont les seules certitudes que nous ayons à court, moyen et long terme. Pour le reste – jusqu’où ira-t-elle ? comment la maîtriser ? – nous avons pour le moment davantage de questions que de réponses. On peut faire le pari que de nouvelles technologies (comme l’hydrogène) nous permettront de conserver notre mode de vie et de consommation tout en diminuant massivement la production de gaz à effet de serre, mais c’est un pari. Or les grandes infrastructures sont construites pour servir des décennies durant, souvent plus d’un siècle. Personne ne sait aujourd’hui ce que sera, par exemple, le transport aérien dans 50 ans ou même 20. Faut-il dans ces conditions construire un nouveau terminal à Roissy-Charles-de-Gaulle pour 30 ou 40 millions de passagers supplémentaires ? D’autres scénarios existent, qui reposent sur une relocalisation des industries, un développement massif du télétravail, une baisse de la consommation de biens matériels, voire la décroissance. Le plus probable est que nous nous en sortirons en combinant ces différents scénarios, y compris les progrès technologiques, mais dans quelles proportions ?


Malgré nos recherches, nous n’avons pas pu trouver de contributeur pour défendre cette thèse. Si vous êtes compétent et légitime ou que vous connaissez quelqu’un qui l’est, n’hésitez pas à nous contactercontact@ledrenche.fr

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