Faut-il faire moins d'enfants pour sauver l'humanité ?

Faut-il faire moins d’enfants pour sauver l’humanité ?

📋  Le contexte  📋

Faire moins d’enfants pour sauver la planète constituerait pour certains le geste écologique ultime. Aux États-Unis, un mouvement porté par des femmes et nommé les Ginks, (Green Inclinations No Kids) considère que la surpopulation est un danger pour notre planète, en particulier parce que cela contribue à une aggravation du réchauffement climatique. En conséquence, elles ont décidé de ne pas procréer. Dans un entretien pour TV5 Monde, Lisa Hymas, la fondatrice du mouvement, affirme que « la maternité devrait être plus réfléchie. Il s’agit d’un choix qui va au-delà d’un besoin personnel égoïste, mais qui doit aussi prendre en compte l’intérêt de tous ». 

En France, Démographie responsable, un mouvement moins radical réunissant 200 personnes, milite pour une décroissance progressive (la décroissance est un concept né dans les années 1970 prônant la réduction de notre consommation). Selon eux, l’État devrait cesser d’encourager la hausse du taux de fécondité. 

La solution de faire moins d’enfants pour sauver l’humanité a émergé d’une doctrine britannique : “le malthusianisme”, qui remonte au XVIIIe siècle. Elle a été pensée par un prêtre anglican, Thomas Malthus, qui estimait que la population allait augmenter plus vite que les ressources disponibles. Limiter les naissances apparaît alors comme une bonne solution pour éviter la famine. Le prêtre recommande donc de cesser d’aider les plus pauvres afin de ne pas encourager leur reproduction. Entretemps, cette doctrine est tombée dans l’oubli grâce aux progrès de l’agriculture. Mais dans les années 60, elle est revenue dans les esprits, notamment en Chine avec la politique de l’enfant unique (depuis abandonnée en 2015). En Inde, l’État sponsorise aussi des campagnes de stérilisation, à destination des femmes, depuis les années 60. L’objectif étant à chaque fois d’établir un contrôle démographique.

Dans un entretien accordé à L’Obs, l’ancien ministre de l’Environnement Yves Cochet a proposé d’inverser la logique des allocations familiales (plus il y aura d’enfants au sein d’un foyer, plus les allocations baisseront). Cela aurait pour but d’inciter les Français à faire moins d’enfants, pour des raisons écologiques mais aussi afin d’accueillir plus de migrants. Cette proposition a suscité de vives réactions. 

Pour certains, faire moins d’enfants permettrait de lutter contre le réchauffement climatique, la déforestation et la surpopulation. Pour d’autres, le problème n’est pas le nombre d’enfants mais notre mode de vie et la façon dont nous consommons. Dans une étude menée par des chercheurs de l’Université suédoise de Lund, publiée dans la revue Environmental Research Letters, faire un enfant en moins permettrait de réduire ses émissions de CO2 de 58 tonnes par an. Et vous, qu’en pensez vous ? Aujourd’hui, on en débat avec deux experts ! 

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
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Le « Pour »

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Corinne Maier
Ecrivain, auteure entre autres des livres "No Kid" (poche, 2009) et "Dehors les enfants!" (Albin Michel, 2021)
Moins d’enfants, plus d’avenir

Moins d’enfants ? Si vous demandez à quelqu’un : « Est-ce que vous ne croyez pas qu’on est assez nombreux comme ça sur terre ? », il y a des chances qu’on vous regarde de travers. Les plus simplets vous rétorqueront qu’« avoir des enfants, c’est bien ». Les plus éclairés expliqueront que le sujet est complexe : la « surpopulation » ne dépend pas seulement de la taille de la population, mais du rapport entre la population et les ressources disponibles et de la manière dont les ressources sont utilisées et partagées (ou réparties). Or nos ressources s’épuisent et elles sont inégalement réparties.

On s’est aperçu -il était temps- qu’avoir un enfant dans un monde capitaliste implique de consommer. Chaque enfant coûte à sa famille des centaines de milliers d’euros depuis sa naissance jusqu’au moment où il gagne sa vie. Logement, déplacements, jouets, services divers, éducation : les parents veulent à tout prix être de « bons parents » et  donner « le meilleur » à leurs enfants, ce qui signifie le meilleur de la société de consommation. Tout cela pour des résultats discutables puisque ces enfants sur-gâtés, surprotégés, deviennent de plus en plus souvent de jeunes mollassons scotchés sur leurs écrans, incapables de quitter le giron familial (les jeunes qui n’étudient pas, ne travaillent pas et ne se forment pas sont plus de 14 millions en Europe). (1) 

Davantage de consommateurs constitue une aubaine pour le capitalisme. La propagande pro-enfant se traduit par des publicités mettant en scène l’enfant qui rend heureux : « rien n’est plus beau qu’un sourire d’enfant ». En réalité, les mères sont fatiguées et la « charge mentale » qu’elles assument pèse sur leur bien-être et rogne sur leur liberté. Car les femmes prennent en charge encore et toujours les deux-tiers du travail domestique, donc les deux-tiers des tâches éducatives. L’enfant qui épanouit les femmes ? C’est du babywashing. Aussi, elles sont de plus en plus nombreuses à se revendiquer childfree. De plus en plus en nombreuses à se demander s’il est bien raisonnable d’avoir davantage qu’un ou deux enfants maximum.

Pas étonnant que le nombre d’enfants par femmes soit en baisse partout en Occident. Voilà une bonne nouvelle. Moins, c’est bien. Moins de consommation, moins de gaspillage, moins de viande, moins de gadgets, moins de déplacements, moins d’écrans, moins de fast-fashion – et bien sûr moins d’enfants. Avoir un enfant de moins revient à diminuer ses émissions de CO2 de 58,6 tonnes par an d’après une étude récente de l’université suédoise de Lund. « Cela équivaut à 684 adolescents qui décident de recycler systématiquement leurs déchets pendant le restant de leur vie », affirment les chercheurs. Avoir moins d’enfant signifie aussi plus de liberté pour les femmes, plus de temps, plus de repos, plus de liberté, et plus d’opportunités professionnelles. 

Le moins nous sauvera. Encore faut-il encourager les adeptes du moins. Prenons au sérieux l’écologiste Yves Cochet : il propose une « allocation familiale inversée » qui diminuerait à chaque enfant supplémentaire. C’est logique puisque moins sert l’intérêt général. Moins nous donnera plus de nature, plus de beauté, plus d’air pur, plus de calme, plus de place. La formule « Less is more » n’a jamais été plus actuelle. Et plus révolutionnaire.

 

  1. 14 millions : chiffres 20‌12, article Jean-Laurent Cassely, Slate, 22 oct 2012, http://www.slate.fr/lien/63689/jeunes-europeens-neets‌ / Actuellement, les NEET représentent 14,2 % de la population âgée de 15 à 29 ans. http://www.eurofound.europa.eu/fr/topic/neets

 


Denis Garnier
Président de l’association Démographie responsable
Laissez faire Vénus, vous aurez Mars

Alors qu’il avait fallu plusieurs centaines de milliers d’années pour atteindre le premier milliard, la population mondiale est passée de 3 à 8 milliards de personnes en seulement 60 ans. Cela représente une croissance moyenne de 1 milliard d’humains tous les 12 ans.

Pendant chacun de ces courts intervalles de temps est donc venu inexorablement s’ajouter l’équivalent de 15 fois la population de la France ! Ce flux considérable au niveau mondial a conduit, entre autres, à l’artificialisation des sols pour la construction de logements et d’infrastructures, à la déforestation pour disposer de terres agricoles, ainsi qu’à l’extraction massive de ressources fossiles pour produire des biens et permettre chauffage et déplacements.

Le résultat de ces innombrables activités humaines est aujourd’hui tristement connu : la planète se réchauffe du fait d’émissions pléthoriques de gaz à effet de serre, la pollution mondiale de plastique est incontrôlée, la déforestation bat son plein, de nombreux territoires sont saturés et leurs habitants obligés de migrer, la biodiversité se meurt et, dernière calamité en date, nous subissons une pandémie dont le développement a été largement favorisé par la mondialisation et ses 4 à 5 milliards de déplacements aériens annuels.

Contrairement à un discours fréquent, une meilleure répartition des ressources de la Terre, bien évidemment souhaitable sur un plan social, ne résoudra pas la litanie des fléaux cités, puisqu’elle induira in fine à une consommation supérieure. Même si elles sont à prendre en considération, d’autres propositions telles que le végétarisme ne sauraient-être qu’un répit. Quant à la baisse générale du niveau de vie des pays du Nord, elle devrait être drastique pour absorber le choc écologique attendu.

Alors oui, il est temps d’écouter nos illustres prédécesseurs, de René Dumont, père de l’écologie française, au commandant Cousteau en passant par l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, qui ont tous trois tenté de nous alerter depuis des lustres sur les méfaits de la surpopulation.

D’ailleurs, les calculs de notre association Démographie Responsable sur l’évaluation d’une population soutenable, c’est-à-dire qui n’utilise que les ressources renouvelables de la planète sans puiser dans son capital (et donc sans la détériorer), nous ont conduit à une estimation comprise entre 3 et 4 milliards d’individus. Or, on a vu plus haut que nous sommes déjà le double et les démographes de l’ONU prévoient même un triplement dès la fin du siècle.

A la question de départ, à savoir « faut-il faire moins d’enfants », une réponse affirmative semble donc aller de soi, et ce d’autant plus que c’est tout-à-fait possible. C’est en effet déjà en cours dans de nombreux pays développés qui ont fait leur transition démographique, même si certains autres, qui affichent des densités trop élevées, doivent néanmoins fournir des efforts pour décroître.

Mais ça n’est malheureusement pas encore le cas dans de nombreux pays d’Afrique ou d’Asie, alors même que beaucoup de leurs dirigeants sont conscients de l’urgence du problème. Nous devons donc les aider à offrir à tous leurs enfants la possibilité de suivre au moins des études primaires, ce qui permettra un libre choix en matière de procréation, quand ils arriveront à l’âge adulte, aidés en cela par la fourniture gratuite de moyens contraceptifs.

Le « Contre »

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Gilles Pison
Professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle, chercheur associé à l’Institut national d’études démographiques, auteur de l’Atlas de la population mondiale (Editions Autrement, 2019)
La vraie question n’est pas le nombre des humains mais leur mode de vie

Nous sommes près de 8 milliards d’humains en 2021 et devrions être près de 10 milliards en 2050. Ne sommes-nous pas trop nombreux ? Pourquoi la croissance devrait-elle se poursuivre ? La décroissance tout de suite ne serait-elle pas préférable ? Avoir moins d’enfants dans nos pays, voire pas du tout, ne serait-il pas la solution ?

Les chiffres pour 2050 sont des projections et l’avenir n’est évidemment pas écrit. Il reste que les projections démographiques sont relativement sûres lorsqu’il s’agit d’annoncer l’effectif de la population à court terme, c’est-à-dire pour un démographe, les dix, vingt ou trente prochaines années. La majorité des hommes et des femmes qui vivront en 2050 sont déjà nés, on connaît leur nombre et on peut estimer sans trop d’erreurs la part des humains d’aujourd’hui qui ne seront plus en vie. Concernant les nouveaux nés qui viendront s’ajouter, leur nombre peut également être estimé car les femmes qui mettront au monde des enfants dans les vingt prochaines années sont déjà nées, on connaît leur effectif et on peut faire également une hypothèse sur leur nombre d’enfants, là aussi sans trop d’erreurs.

Si la croissance démographique mondiale se poursuit, c’est en décélérant, ceci depuis soixante ans. Elle avait alors atteint un taux maximum de plus de 2% par an. Elle a diminué de moitié depuis (1% actuellement) et devrait continuer de baisser dans les prochaines décennies en raison de la diminution de la fécondité : 2,4 enfants en moyenne par femme aujourd’hui dans le monde, contre plus du double (5 enfants) en 1950.

La croissance zéro ou la diminution de la population dès maintenant n’est pas une option. Dans une grande partie du monde, les femmes et les hommes ont fait le choix d’avoir peu d’enfants tout en leur assurant une vie longue et de qualité. La fécondité y est souvent inférieure au seuil de remplacement (2,1 enfant). Mais il n’en résulte pas tout de suite une diminution de population en raison de l’inertie démographique : même si la fécondité mondiale n’était que de 1,6 enfant par femme, comme en Europe ou en Chine, la population continuerait d’augmenter pendant encore quelques décennies. Elle comprend en effet beaucoup d’adultes en âge d’avoir des enfants, nés lorsque la fécondité était encore forte, ce qui entraîne un nombre élevé de naissances. Les personnes âgées ou très âgées sont en revanche peu nombreuses à l’échelle mondiale et le nombre de décès est faible.

Il est illusoire de penser pouvoir arrêter la croissance tout de suite et nous n’échapperons pas à un surcroît d’environ deux milliards d’habitants d’ici 2050. En revanche, il est possible d’agir sur les modes de vie, et ceci sans attendre, pour les rendre plus économes en ressources et en énergie et plus respectueux de l’environnement et de la biodiversité. Aux jeunes qui se demandent s’ils vont avoir ou non des enfants, je dis : les enfants, ça coûte, c’est fatiguant, c’est des contraintes. Si vous ne souhaitez pas en avoir, n’en ayez pas. Si vous souhaitez malgré tout en avoir, ayez-en, et le nombre que vous souhaitez. Mais éduquez-les en sorte qu’ils soient respectueux de l’environnement et aient un mode de vie durable. Adoptez vous-mêmes les bons comportements sans attendre. La vraie question, celle dont dépend la survie de l’espèce humaine à terme, est finalement moins celle du nombre que celle des modes de vie.


Malgré nos recherches, nous n’avons pas pu trouver de contributeur pour défendre cette thèse. Si vous êtes compétent et légitime ou que vous connaissez quelqu’un qui l’est, n’hésitez pas à nous contacter : contact@ledrenche.fr

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