Sport : faut-il imposer un quota de 50% de sport féminin dans les médias ?

📋  Le contexte  📋

Pierre de Coubertin – dans un tout autre contexte socio-historique certes – affirmait que la place des femmes dans le sport était avant tout… de couronner les vainqueurs ! Les mentalités ont sans doute évolué depuis, reste que la représentation des sportives sous le prisme de leur infériorité continue de prédominer, à en croire l’écart significatif de temps médiatique accordé. Près de 80% du temps d’antenne sportif serait en effet consacré à des hommes. Problématique, quand on sait que la seule courroie de transmission d’un événement sportif réside dans… les médias ? Source : https://www.huffingtonpost.fr/rosarita-cuccoli/femmes-sport-medias_b_4349417.html

Autrefois exclusivement réservé aux hommes, notamment à la télévision, le sport dans les médias s’ouvre aux femmes depuis plusieurs années. Les Grand Chelem de tennis féminins ou les championnats du monde de natation attirent par exemple de belles audiences sur le service public français. Dans l’Hexagone, la Coupe du Monde Féminine de Football a aussi servi d’électrochoc, qui plus est dans un sport réputé comme à l’apanage des hommes. La parité est toutefois loin d’être respectée et dès 2016, le sénateur socialiste David Assouline préconisait la fin de la distinction entre compétition féminine et masculine à la télévision.

Pour la troisième édition de l’opération Sport féminin Toujours, opération de médiatisation organisée par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, a plaidé chiffres à l’appui en faveur d’une future parité dans ce domaine. « En 2012, le sport féminin, c’était 7 % des retransmissions sportives, en 2016 c’était 20 %, la trajectoire de progression est encourageante. Mais les femmes constituent 52% de l’humanité, demander 50 % des retransmissions, ce serait déjà un compromis, on pourrait se mettre d’accord sur ce chiffre ». Seule solution pour certains, démagogie pour d’autres, le débat divise. N’hésitez pas à donner votre avis.

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Faut-il imposer un quota de 50% de sport féminin dans les médias ?
Le « Pour »
Séverine Leloarne
Professeur à Grenoble Ecole de Management, titulaire de la Chaire « Femmes et Renouveau Economique »
Les quotas de diffusion de sports féminins ? Une « mauvaise solution » qui a fait ses preuves dans d’autres domaines !

Les quotas n’ont pas bonne presse… et pourtant, ils sont efficaces, en particulier dans le monde économique. Sans l’instauration du fameux « 40% de femmes dans les conseils d’administrations des entreprises quotées », la présence de femmes à ces postes ne serait restée qu’un vœu pieux. Suite à leur instauration, on a ainsi pu constater que les entreprises qui accueillent le plus de femmes dans ces conseils innovent plus. Ceci ne s’explique d’ailleurs pas tant parce que les femmes seraient plus intelligentes ou manageraient mieuxn mais parce qu’elles seraient éduquées de manière différente, donc elles apporteraient des points de vue inédits.

La solution du quota n’est pas optimale, car elle impose de choisir un membre du conseil en fonction de son sexe et ensuite de sa compétence perçue. On préférerait passer outre cette obligation mais… les résultats sont là ! J’ai tendance à dire que c’est une solution pas nécessairement bonne mais la moins mauvaise. Est-ce pour autant que l’instauration de quotas de diffusion des sports féminins aurait des effets bénéfiques ? Des recherches en psychologie comportementale m’incitent à répondre « oui ».

Les normes sociales ou, autrement dit, les pratiques considérées comme normales par un individu (parce qu’on les voit se dérouler à la TV, parce que les copains les exercent…) ont un impact sur l’intention de ce même individu d’adopter des pratiques. Concrètement, plus de sport féminin diffusé, mais aux « bons » horaires devrait contribuer à rendre la pratique « normale », intéressante, si bien que la femme envisagera de l’exercer. C’est ce qui s’est passé après les Jeux Olympiques de 2016 lorsque les combats gagnants de Sarah Ourahmoune ou d’Estelle Mossely ont été diffusés en « prime time », et ont entraîné l’adhésion de bon nombre de femmes à des clubs de boxe !

Le principe est simple : on montre que des femmes pratiquent différents sports et cette vision suscite de l’intérêt, de l’émotion et des vocations sportives, qu’elles soient de compétition ou non. Toutefois, le quota n’est pas la fin mais juste le moyen. Il doit être temporaire et être le coup de pouce que les institutions donnent pour obliger le monde des médias à programmer des émissions qui naturellement n’auraient pas leur place aux bons horaires, ou même pas leur place tout court dans les programmes.

Au-delà de cas isolés, comme la médiatisation de la Coupe du Monde de football féminin de 2019, l’enjeu est d’imposer la visibilité de ce qui est peu visible mais qui existe cependant : les prouesses de Laura Tarantola, championne du monde d’Aviron, de Marielle Berger en skicross… Charge ensuite à l’audience de pérenniser tel ou tel sport féminin et, petit à petit, de s’imposer dans la norme sociale. Le quota valorise temporairement les pratiques sportives encore minoritaires, les femmes les pérennisent.

Le « Contre »
Annie Fortems
Pionnière du football féminin, confondatrice du club de Juvisy et chevalière de la Légion d'Honneur.
L’égalitarisme aux forceps détourne des véritables enjeux structurels et systémiques

La représentation des sportives dans l’espace public est un enjeu important. Le risque élevé que représente l’obligation de représentation de 50% de sport féminin dans les médias relève de l’égalitarisme aux forceps peu efficace, voire contre-productif. Le public est demandeur de grandes compétitions, l’enjeu prioritaire pour le sport féminin est donc d’y parvenir. Le manque de visibilité des sportives n’est qu’une déclinaison indissociable de la question majeure de la place des femmes dans notre société.

Le levier essentiel en la matière est d’agir au niveau systémique contre le sexisme dans tous les champs de la société. Par la loi, si nécessaire. À cet égard, il reste beaucoup à faire. Le champ social (entreprise, sport, médias, art…) a été déterminé par les hommes, pour les hommes. La force des stéréotypes genrés y est toujours prégnant. En matière sportive, dès l’âge de 10 ans, une fille pratique déjà moins de sports que les garçons, en dehors de l’École (1). En effet, la société, en peinant encore à reconnaître les contributions des femmes dans tous ces domaines, freine l’émergence des role-models féminins, facteurs d’identification émancipatrice, puissants moteurs du cercle vertueux vers l’égalité Hommes/Femmes.

Dans les médias, si la situation progresse avec 40% de femmes (TV et radio), les femmes font 4 fois moins la Une de la presse (2). Dans les fictions télévisuelles, on ne compte que 12% de réalisatrices et même les personnages féminins s’y expriment moitié moins que les hommes (3). Réflexe grégaire masculin qui renforce les stéréotypes genrés. Dans le secteur de l’entreprise, toujours 25% d’écart de salaires (4). Le plafond de verre reste solide : malgré la Loi Copé-Zimmerman (40% de femmes aux Conseils d’administration), les Comités de Directions ne comptent toujours que 18% de femmes (4). Même le récent secteur porteur du numérique accuse déjà un retard conséquent avec seulement 24% de femmes (5).

Sans compter l’actualité brûlante qui nous rappelle l’ampleur alarmante des violences faites aux femmes. On peut décliner ces inégalités à l’envi. Elles démontrent que les femmes sont toujours confrontées à des barrières invisibles structurelles. Même l’ONU s’alarme des préjugés de genre encore massifs dans le monde et interpelle les gouvernements et institutions à ce sujet (6). Le constat est édifiant : à ce rythme là, la parité dans le monde ne sera atteinte que dans un siècle en 2120 (7). Sommes-nous donc prêts à sacrifier encore 5 générations de filles ?

Quant au domaine sportif, dans ce contexte, imposer 50% de sport dans les médias est inapproprié et ne sera jamais suffisant pour le développement massif du sport féminin et la visibilité des sportives. Le risque est élevé que les pouvoirs publics s’empare de cette mesurette-alibi au moindre coût pour s’épargner des investissements structurels. Seules des décisions politiques systémiques et radicales pourront éradiquer à terme le « virus du sexisme » qui gangrène notre société. Dans le sport féminin, seule une politique volontariste permettrait le rattrapage en quelques années du retard pris depuis des décennies – ce ne serait que justice – en renforçant massivement la promotion du sport, la détection et formation, la protection, la professionnalisation digne des sportives, la médiatisation. Et aussi et surtout, la féminisation en imposant la parité dans toutes les instances sportives, dans les médias et au delà. Avec comme arme de persuasion massive, la perte des agréments et l’interdiction d’accès aux aides publiques en cas de manquement.

Balayons l’argument classique avancé sur le modèle économique du sport féminin ne générant pas suffisamment de ressources financières, puisque cette question n’a jamais été prise en compte dans la création et le développement du sport masculin en France depuis 100 ans. Regardons plutôt les chiffres édifiants de la Banque Mondiale qui classe le sexisme et notamment les inégalités salariales comme ennemi public Numéro 1 pour l’économie mondiale avec un coût de … 160.000 milliards de dollars (8) ! Plus de parité, c’est plus d’éthique, de performance et de réussite (9). À cet égard, le CIO ouvre une voie historique : 2 athlètes – une femme et un homme – pourront porter, ensemble, le drapeau de leur délégation au prochain J.O de Tokyo. En attendant, encore et toujours pour l’égalité des droits, et le sport féminin, on se lève et on se bat !

 

(1) – Étude réalisée par l’Union Sport et Cycle pour le Ministère des Sports, d’Amaury Media et PSG- Mars 2020 (2) – Rapport annuel du CSA sur la représentation des Femmes à la Télévision et à la Radio – 5 mars 2020 (3) – Étude INA 2008-2018 réalisée avec l’association Pour Les Femmes Des Médias (PFDM) présentée le 5 mars 2020 à l’occasion du rapport annuel du CSA (4) – Les Femmes gagnent en moyenne 25% de moins que les Hommes, et 9% de moins à poste équivalent. http://www.lefigaro.fr/conjoncture/egalite-femmes-hommes-en-entreprise-muriel-penicaud-devoile-les-chiffres-de-l-index-egalite-20200305 (5) – Campagne de la Journée de la Femme du Digital : la parité n’attend pas – 4 mars 2020 (6) – Étude publiée par le  Programme des Nations Unies Pour le Développement (PNUD) – 5 mars 2020 –  90% de la population mondiale, tous sexes confondus, a des préjugés envers les femmes – étude réalisée dans 75 pays représentants 80% de la population mondiale  (7) – Global Gender Gap Report 2020 du Forum Économique Mondial  (8) – Rapport de la Banque Mondiale sur l’incidence des inégalités Hommes/Femmes sur l’économie de la planète – 1 Mai 2018 (9) – Rapport du CS Gender 3000  du Crédit Suisse Research Institut (CSRI) – 10 octobre 2019

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