Apolitique

Le sport doit-il être apolitique ?

📋  Le contexte  📋

L’apolitisme est une idéologie politique ou une position qui repose sur le « refus de tout engagement politique à partir de motivations ou de justifications diverses ». L’engagement politique pouvant se définir comme la défense d’une cause ou d’une minorité, le mode de vie, le vote, le militantisme, l’activisme, etc. À la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, alors que le sport commence à se démocratiser, le monde sportif s’organise de manière associative, indépendamment des gouvernements. Les clubs sont donc forcément politisés, car pour pratiquer son activité sportive, il convient d’adhérer à une structure existante : une association catholique, un syndicat ouvrier, un parti politique, etc. Pourtant, l’activité sportive cherche très vite à s’éloigner de la politique. L’idée qu’il ne faille pas mélanger sport et politique s’est imposée rapidement. Pierre de Coubertin par exemple, qui promeut un sport pour tous, proclame tout de suit l’indépendance de son jeune Comité International Olympique (CIO). Il entend assurer au sport une plus large diffusion. Mais pour ça, rien ne doit diviser le monde du sport, et surtout pas les différends politiques.

Malgré cet éloignement, le sport et la politique restent pourtant très proches. Les évènements sportifs et en particulier les Jeux Olympiques ont connu de nombreuses démonstrations politiques. Les exemples souvent cités sont les Jeux de Berlin en 1936. Hitler a utilisé la notoriété des JO pour montrer la puissance de l’Allemagne nazie au monde entier. En 1968, les Américains Tommie Smith et John Carlos ont levé un poing sur le podium du 200 m pour dénoncer le racisme dans leur pays. En 1972, lors d’une prise d’otages, onze athlètes israéliens ont été tués par des terroristes palestiniens de Septembre noir. Les trois éditions suivantes verront des pays faire des boycotts. En 1976, ce sont les pays africains qui boycottent les Jeux olympiques organisés à Montréal. Ils dénonçaient la présence de la Nouvelle-Zélande. Ils reprochaient aux All Blacks, d’avoir effectué une tournée en Afrique du Sud où l’apartheid était en place. En 1980 les États-Unis ne veulent pas aller à Moscou puis les Soviétiques refusent de se déplacer aux JO de Los Angeles.

Le débat fait rage depuis plus d’un siècle et la volonté des organisations sportives de devenir apolitique. L’accueil des Jeux Olympiques à Sotchi en 2014, à Pékin en 2008 et 2022 ou de la Coupe du Monde au Qatar cette année montre que le sport est utilisé à des fins politiques. Les États s’emploient à accueillir des compétitions et à ramener le plus de médailles possible pour montrer leur puissance au reste du monde. Avec l’invasion russe de l’Ukraine, le CIO a suspendu ses relations avec la Russie et la Biélorussie et a recommandé le bannissement des athlètes russes des compétitions sportives. Ce mouvement a marqué pour certains, la fin de l’apolitisme du mouvement sportif tandis que d’autres justifient la décision par la défense des valeurs olympiques. Le mouvement sportif a-t-il toujours intérêt à clamer son apolitisme ? Deux experts ont une vision différente du lien entre le sport et la politique.

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Le « Pour »
Éric Monnin
Vice-Président de l’Université de Franche-Comté et directeur du Centre d'études et de recherches olympiques universitaires (CEROU)
L’apolitisme du Mouvement sportif international

Le sport travaille forcément avec le pouvoir étatique mais il n’est pas instrumentalisé par les politiques. Pour l’élection présidentielle, le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) a, par exemple, invité les douze candidats. La charte olympique du 8 août 2021 précise bien que le sport est autonome et indépendant. Son deuxième principe fondamental promeut une société pacifique. Immédiatement, il est associé à l’article 5 : « le sport est pratiqué dans le cadre de la société, les organisations sportives au sein du Mouvement olympique se doivent d’appliquer le principe de neutralité politique. » Cette neutralité est aussi associée dans l’article 6 : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Charte olympique doit être assurée sans discrimination d’aucune sorte. »

Les différents mouvements qui se sont développés comme Black Lives Matter ne sont pas politiques

Dans l’article 2 alinéa 5, le CIO agit pour renforcer l’unité du mouvement olympique, protéger son indépendance, promouvoir sa neutralité politique et de préserver l’autonomie du sport. Les différents mouvements qui se sont développés comme Black Lives Matter ne sont pas politiques. Ils viennent défendre les valeurs du sport, c’est-à-dire une société pacifique, une société de respect et une société de tolérance. D’ailleurs, les sportifs veulent aller beaucoup plus loin. En juin 2020, les 3 500 sportifs de la Commission des athlètes du CIO ont demandé le droit de pouvoir donner leur opinion. Dans leurs recommandations, ils veulent soutenir leurs convictions mais en dehors des podiums et des aires officielles. Le CIO a approuvé cette directive le 2 juillet 2021. Les athlètes peuvent ainsi s’exprimer tout en respectant les lois et les valeurs olympiques.

Aujourd’hui, ce n’est pas aux athlètes de régler les problèmes politiques mais bien aux institutions internationales

Certains mouvements tentent d’instrumentaliser le sport mais il reste toujours indépendant et neutre. Je pense que le monde a évolué et que l’instrumentalisation du sport par les États est en voie de disparition. Pour les Jeux d’hiver de Pékin, Joe Biden a lancé une annonce de boycott. L’idée n’a pas suivi et il s’est réfugié derrière un boycott diplomatique. Nous avons connu de nombreux boycotts (1976, 1980 et 1984), les athlètes étaient les boucs émissaires des États. Aujourd’hui, ce n’est pas aux athlètes de régler les problèmes politiques mais bien aux institutions internationales (ONU, Union européenne, etc.). Il y a quelques années, nous n’aurions sûrement pas connu un mouvement comme Black Lives Matter. En 1968, Tommie Smith et John Carlos lèvent le poing pour dénoncer la ségrégation des afro-américains aux États-Unis. Ils ont été immédiatement étiquetés comme des « mauvais » Américains. Le sport se détache de cautionner les mouvements politiques mais il peut les défendre s’ils respectent les valeurs olympiques.

Les mauvaises langues diront que le CIO fait de la politique après avoir mis fin à leurs relations avec la Russie et la Biélorussie, mais c’est faux

La trêve olympique symbolise cette neutralité. Au IXème siècle avant J.-C., cette trêve olympique était faite pour permettre aux spectateurs et aux athlètes de pouvoir se rendre en toute sécurité aux Jeux Olympiques. En 2018, les plus pessimistes parlaient de possible guerre nucléaire entre la Corée du Nord et les États-Unis. Pourtant, aux Jeux à Pyeong-Chang, les deux nations étaient présentes. Les mauvaises langues diront que le CIO fait de la politique après avoir mis fin à leurs relations avec la Russie et la Biélorussie, mais c’est faux. Avec leurs agissements en Ukraine, ils ne respectent pas les valeurs fondamentales du sport. Le mouvement sportif doit rester neutre et indépendant en défendant les valeurs du sport (respect, amitié, etc.).

Le « Contre »
Julian Jappert
Directeur général du Think tank Sport et Citoyenneté
Le sport au service de la société

La réponse finale dépend beaucoup de la définition que l’on donne au mot « politique ». Dans son sens large, la politique concerne toutes les actions qui ont de l’influence sur les citoyens et sur la vie de la cité. Quand on dirige un club sportif amateur ou la FIFA, on participe à la vie de la cité. On est donc un acteur politique.

Les décideurs politiques sous-estiment et sous-utilisent la puissance du sport dans les changements sociétaux

Si on rétrécit le champ et qu’on s’intéresse aux liens entre le sport et les responsables politiques, là aussi la proximité est étroite. « Sport » et « Politique » sont liés, ne serait-ce qu’à cause des multiples enjeux économiques, médiatiques et sociétaux du sport. Les hommes et femmes politiques s’y intéressent, l’utilisent pour leur communication personnelle mais aussi pour bâtir des politiques sportives et permettre à chacun de pratiquer le sport de son choix. Il n’en demeure pas moins que le sport reste le parent pauvre des politiques menées, notamment sur le plan sociétal. Les décideurs politiques sous-estiment et sous-utilisent la puissance du sport dans les changements sociétaux, par rapport à certains pays comme les États-Unis ou le Canada.* Le sport doit être politique. Je dis souvent que la société a les idoles qu’elle mérite. Avec les différentes crises que traverse notre société, on peut regretter que les intellectuels et autres penseurs soient moins audibles que les influenceurs ou autres tik-tokeurs. Quoi qu’il en soit, les sportifs ont toujours été des idoles, en particulier pour les jeunes générations. Ils ont une voix qui portent et ils s’engagent désormais de plus en plus dans le débat public. Il faut se réjouir de cette situation et accompagner les sportifs à s’engager, les sensibiliser aux enjeux actuels, les former aussi pour les protéger des dérives actuelles, notamment la haine en ligne qui sévit à chaque instant.

Les sportifs ne doivent pas être des non-acteurs de la politique, tout simplement parce que leur pouvoir d’influence est réel

Nous devons renforcer la « triple formation » des athlètes, et viser une triple réussite sportive (leur permettre d’atteindre leurs rêves), éducative (les préparer à l’après-carrière) et citoyenne (être conscient des enjeux qui les entourent). Tous les sportifs ne doivent pas nécessairement s’engager, mais ils doivent être conscients de leur capacité d’influence. Beaucoup nous interrogent d’ailleurs à ce sujet au sein de notre Think tank. Se former, s’exprimer pour prétendre, pourquoi pas, demain à des postes à responsabilités. Des sportifs engagés, ce sont des décideurs politiques en puissance, capables, en raison de leur expérience, de défendre les vertus politiques et sociétales du sport. Évitons l’écueil du « sportif politique » nommé seulement en raison de sa notoriété, et accompagnons ceux qui le souhaitent dans leur engagement politique, au sens noble du terme. Les sportifs ne doivent pas être des non-acteurs de la politique, tout simplement parce que leur pouvoir d’influence est réel.

Ils participent à faire bouger les lignes sur les sujets de société

Prenons le cas de Megan Rapinoe sur l’égalité de salaires entre les hommes et les femmes, de Guillaume Cizeron et de tous les sportifs qui ont témoigné dans notre ouvrage « Sport et Fierté » en dénonçant l’homophobie dans le sport… Ils participent à faire bouger les lignes sur les sujets de société. Pour toutes ces raisons, le sport doit être résolument politique.

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