📋 Le contexte 📋
L’aviation d’affaires a progressé de 16% en trois ans, selon Eurocontrol, l’organisme de surveillance du trafic. Avec la chute des liaisons aériennes traditionnelles et la peur de la contamination de Covid-19 dans les vols commerciaux, les jets privés ont trouvé de nouveaux adeptes.
La France est aujourd’hui le premier marché d’Europe pour les jets privés, avec 243 189 mouvements d’avions d’affaires (départs et arrivées) pour l’année 2021, selon l’European Business Aviation Association (EBAA). Le secteur en France représenterait 101 500 emplois et 29 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel.
En France, un avion sur dix qui décolle est un jet privé. La moitié d’entre eux parcourent moins de 500 km, selon Transport & Environment, qui regroupe des ONG européennes du secteur.
Il est difficile de faire des statistiques précises en termes d’usage. Toujours selon l’EBAA, 80% des vols sont à usage professionnel, pour des dirigeants, ingénieurs, techniciens, commerciaux… Tandis que seulement 10% des vols concernent les évacuations sanitaires et des vols d’État. Les jets privés utilisés pour les déplacements des personnes très riches représenteraient moins de 10% de l’activité du secteur.
Selon l’ONG Transport & Environment, un jet privé émet 5 à 14 fois plus de CO2 qu’un avion de ligne par voyageur, lui-même 50 fois plus polluants que le TGV. Des rejets excessivement élevés qui s’expliquent par le faible nombre de passagers transportés sur chaque trajet. Il n’y a en effet en moyenne que 4,7 passagers par vol privé.
En outre, 41% des vols de jets privés ne transportent aucun passager, selon des chiffres de 2014 publiés dans un rapport commandé par l’EBAA. Les compagnies effectuent en effet ce qu’on appelle des vols de mise en place, c’est-à-dire des transferts à vide pour aller chercher leurs passagers.
Pour la France, il est possible d’estimer le niveau d’émissions de CO2. Selon l’ONG Transport & Environment, en 2019, les émissions des vols de jets privés s’élevaient à près de 400 000 tonnes de CO2. Cela représente 1,6% des émissions du trafic aérien français (24,3 millions de tonnes en 2019, selon le ministère chargé des Transports) ou 0,09% du total des rejets de CO2 de la France entière (436 millions de tonnes en 2019). Mais le CO2 n’est pas le seul gaz à effet de serre rejeté par l’aviation privée. Les jets émettent également des particules et de l’oxyde d’azote dans la haute atmosphère, des rejets qui contribuent au réchauffement climatique.
Depuis plusieurs mois, des comptes qui retracent les voyages en jets privés de plusieurs hommes d’affaires émergent sur les réseaux sociaux. Les internautes ont alors pu découvrir les statistiques de vol des avions de Bernard Arnault ou encore de Vincent Bolloré, et se rendre compte de la multiplication de petits trajets afin d’aller à des rendez-vous. Un chiffre pour illustrer l’impact : en un mois le jet de Bernard Arnault a émis autant de CO2 qu’un Français moyen en 17 ans.
Julien Bayou, secrétaire national des Verts, a annoncé dans Libération vouloir déposer une proposition de loi à l’automne pour interdire les jets privés. Selon lui, le mode de vie climaticide des plus riches n’est plus compatible avec le dérèglement climatique, dont on a pu voir les conséquences directes cet été (extrêmes météorologiques, comme les canicules, les sécheresses, les orages violents, les feux de forêts…etc.). .
La réaction du gouvernement n’a pas tardé. Le lendemain, le ministre délégué aux Transports, Clément Beaune, s’était dit favorable à une régulation de ces vols, jugeant qu' »il y a un certain nombre de comportements qui ne passent plus ». Le gouvernement se penche toutefois sur des options moins radicales qu’une interdiction pure et simple. Ils pensent notamment à doubler les taxes sur le kérosène. Et vous, qu’en pensez-vous ? Faut-il interdire complètement les jets privés ?
🕵 Le débat des experts 🕵
La vraie question est de savoir pourquoi ils ne sont pas encore interdits. Alors même que la planète brûle sous nos yeux, et que le gouvernement appelle les français à la sobriété énergétique pour réduire leur empreinte carbone, les ultras riches sont épargnés et continuent d’afficher en toute impunité un bilan carbone criminel. Toutes les études le montrent, le niveau de la pollution est corrélé au niveau de richesse. En Europe, les 1 % les plus riches ont une empreinte carbone 22 fois supérieure à la limite de sécurité de 2,5 tonnes, ce qui représente 55 tonnes de CO2 par personne par an. Dans notre pays, le patrimoine financier des 63 milliardaires français représente 152 millions de tonnes CO2 soit l’empreinte du patrimoine financier de 50 % des ménages français. Quand on étudie ces chiffres dans le détail, on constate qu’au travers de leur patrimoine financier, trois milliardaires français polluent plus qu’un cinquième des Français.
Pendant que les uns crament la planète, la majorité des citoyens souffrent
Le symbole de ce mode de vie écocidaire est l’utilisation des jets privés. Oui, ce sont des criminels climatiques et il faut assumer de le dire. Comment qualifier autrement des hommes et des femmes qui utilisent un mode de transport qui émet jusqu’à dix fois plus de dioxyde de carbone que de voler avec des vols de ligne et 150 fois plus que d’utiliser un train à grande vitesse. Qui peut accepter que sur le seul mois de juillet, les six jets privés de grands groupes français (Bouygues, Bolloré, Artémis, Decaux et Arnault) aient effectué cinquante-trois vols et émis 520 tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions d’un Français moyen pendant cinquante-deux années ? Pendant que les uns crament la planète, la majorité des citoyens souffrent du manque d’eau, d’un air de plus en plus pollué et subissent des épisodes caniculaires dévastateurs, comme l’illustrent les incendies que nous venons de subir en France.
Interdire les jets privés c’est envoyer un message clair. C’est une mesure écologique et sociale. Je dirai même que c’est une mesure de salubrité publique. À celles et ceux qui disent que cela aurait peu d’impact, je réponds que la politique est aussi une affaire de symbole. En effet, comment demander à des gens de changer leur comportement alors que sous leurs yeux, certains bénéficient de passe-droit ? Il faut en finir avec ces comportements, véritables symboles du sécessionnisme des riches.
Des liaisons ferroviaires à grande vitesse existent sur 70 à 80% des 10 itinéraires de jets privés les plus utilisés
Non, il n’y a aucune obligation à continuer à utiliser ce mode de transport surtout quand on sait que 40% de ces vols se feraient à vide et que des liaisons ferroviaires à grande vitesse existent sur 70 à 80% des 10 itinéraires de jets privés les plus utilisés de notre pays.
Le recours au jets privés par une infime minorité d’ultras riches est une pollution de classe que nous ne pouvons plus accepter. Cette question des jets privés est loin d’être anecdotique comme certains tentent de le faire croire dans l’opinion publique. Au contraire, elle révèle les grands maux de notre temps et met en évidence la sécession sociale et le gâchis environnemental des plus riches.
Grace à l’action de plusieurs associations, comme Attac ou Extinction Rebellion, de comptes Twitter mettant en lumière les vols en jet privé de quelques milliardaires, un débat s’est ouvert sur la légitimité de l’interdiction de ces vols de confort. A Attac nous défendons l’interdiction des Jets privés. En voici les trois principales raisons :
50 fois plus polluant qu’un trajet équivalent en train
La première est écologique. Un voyage en jet est ultra polluant, ce mode de transport n’est donc pas compatible avec les objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre que nous devons atteindre afin de limiter le dérèglement climatique. En effet, par passager, un vol en jet privé est en moyenne 10 fois plus polluant qu’un vol commercial puisque le nombre de passager est nettement réduit. Mais surtout il est 50 fois plus polluant qu’un trajet équivalent en train. Or, la plupart de ces vols se font sur de courtes distances alors qu’il existe une alternative moins polluante et confortable via le train. L’exemple du trajet à Nantes par l’équipe du PSG est éclairant : 4h aller-retour en jet puis bus pour atteindre le stade, alors que le TGV permet d’atteindre Nantes en 2h depuis Paris.
Deuxième raison, ce mode de transport n’a, la plupart du temps, aucune utilité sociale. Lorsque Bernard Arnaud, 1ère fortune de France, monte dans son jet le 22 mai dernier pour un vol de 10 min entre deux aérodromes de Londres, quelle signification attribuer à cet acte autre que son refus de circuler au milieu de la masse de la population. Cette pratique des ultra riches est tout à la fois un crime climatique, mais également la signification de leur volonté de faire sécession de la société. Ce n’est pas étonnant venant de personnes qui font tout pour échapper à l’impôt alors même que leur richesse n’a jamais été aussi indécente.
C’est d’abord au mode de vie des plus riches qu’il faut s’attaquer
Une interdiction des jets privés ne réglera évidemment pas à elle seule la crise climatique, mais cette décision marquerait un tournant. Nous devons tous agir contre le dérèglement climatique, mais nous n’avons pas tous le même niveau de responsabilité. Les 10% les plus riches émettent 5 fois plus que la moitié de la population française. C’est donc d’abord au mode de vie des plus riches qu’il faut s’attaquer.
Enfin, on nous rétorque parfois qu’interdire ces vols aux ultra riches serait une atteinte à leur liberté. Mais la liberté individuelle n’est jamais absolue dans une société. Il existe des lois qui protègent les enfants de la violence des adultes, d’autres qui obligent les entreprises à respecter certaines normes sociales ou sanitaires, etc. Il n’y a rien de choquant à ce qu’une société définisse ses règles de vie afin de garantir les libertés individuelles et collectives, c’est même une condition pour une vie commune. Or, ces pratiques hautement climaticides ont des effets pour l’ensemble de la population, mettant en péril notre droit, reconnu par les nations unis, à « vivre dans un environnement sain, propre et durable. » Interdire ces vols, c’est tout à la fois agir pour l’écologie et la justice sociale en s’attaquant aux comportements d’une minorité de criminels climatique.
A l’échelle mondiale, les émissions de l’ensemble du secteur aérien, par rapport à l’ensemble des émissions d’origine humaine, sont de l’ordre de 2 à 3%. L’aviation d’affaire ne représente que 10% de cette part (le reste étant généré par des lignes dites régulières). Donc si nous interdisions complètement les jets privés, cela aurait un impact marginal.
L’aviation privée contribue fortement au dynamisme économique des régions
L’essentiel des avions d’affaires est détenu par des entreprises et utilisé pour les déplacements de leurs cadres dirigeants. Moins de 10% des vols sont des déplacements de loisirs. Les entreprises qui y font appel sont notamment celles qui ont leur siège social loin des grands aéroports et des grandes gares. Si on interdisait les jets privés, certaines sociétés auraient probablement intérêt à déplacer leur siège social à Paris ou d’autres grandes métropoles. Le train est souvent évoqué comme alternative pour ces dirigeants d’entreprise, mais la plupart des trajets ne s’y prêtent pas ou mal : le Paris-Nice par exemple, l’une des liaisons les plus fréquentes en vols d’affaires en Europe, prend six heures en train. Les entreprises sont sensibles à leurs finances et à leur empreinte carbone aussi (car cela conditionne de plus en plus l’intérêt des investisseurs), elles choisissent donc avec discernement les trajets méritant d’être réalisés en avion privé.
Ensuite, l’aviation d’affaires est un secteur économique important. A l’échelle de l’Europe, l’aviation privée génère près de 400 000 emplois directs et indirects. Or, la France est le premier pays du marché européen pour l’aviation d’affaires, et les secteurs d’emplois y sont variés : chez les industriels qui construisent ces avions (par exemple Dassault Aviation et sa myriade de fournisseurs), chez les prestataires de services qui entretiennent les appareils, et chez les gestionnaires d’aéroports. Il faut savoir que l’aviation privée utilise beaucoup plus d’aéroports que l’aviation commerciale, beaucoup d’aéroports en France en vivent. Si cette activité s’interrompt, il faudra reconvertir les salariés. A contrario, l’interdiction française stimulerait le développement du secteur dans le reste de l’Europe, puisque les propriétaires se contenteraient de faire immatriculer leur appareil à l’étranger : un avion est un actif particulièrement mobile, donc impossible à taxer efficacement dans 1 seul pays !
D’autres solutions existent pour décarboner le secteur
Cela dit, le secteur doit baisser ses émissions de carbone, peut-être encore plus que les autres vu sa teneur symbolique. Les technologies existent, et les pouvoirs publics pourraient stimuler leur adoption. A long terme, cela passera par la construction d’avions électriques et à hydrogène, technologies spécialement adaptées aux petits appareils et aux courtes distances. Airbus a annoncé vouloir produire un avion électrique pour 2035. Mais il existe également des solutions à court terme. L’utilisation de biocarburants est une des pistes clés pour réduire dès maintenant les émissions du secteur. Ces carburants durables, appelés SAF (Sustainable Aviation Fuel) sont généralement fabriqués à partir de déchets agricoles ou grâce à la biomasse et mélangés au kérosène conventionnel. Leur utilisation pourrait réduire les émissions de CO2 de l’aviation jusqu’à 80 %. L’organisation du marché et de la logistique d’approvisionnement des aéroports ne semble pas insurmontable.
Malgré nos recherches, nous n’avons pas pu trouver de contributeur pour défendre cette thèse. Si vous êtes compétent et légitime ou que vous connaissez quelqu’un qui l’est, n’hésitez pas à nous contacter : contact@ledrenche.fr