Repower UE : la fin de notre dépendance au gaz russe ?

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

En mai dernier, la Commission européenne présentait son plan Repower UE. Son objectif est clair : mettre fin à notre dépendance aux énergies fossiles russes avant 2030. Un sevrage qui commencera par le gaz et auquel s’ajoutent des mesures pour répondre aux hausses des prix de l’énergie. Pour la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, “Nous devons assurer notre indépendance vis-à-vis du pétrole, du charbon et du gaz russes. Nous ne pouvons tout simplement pas dépendre d’un fournisseur qui nous menace ouvertement”. Ce mercredi 20 juillet, la Présidente proposait un plan pour réduire de 15% la consommation européenne de gaz dès le mois d’août pour préparer l’hiver.  

L’influence de l’Ukraine

Alors que la guerre en Ukraine continue, le gaz russe se fait de plus en plus rare en Europe. La société Gazprom a par exemple réduit ses exportations pour l’Italie, car comme la France, le pays refuse de payer son gaz en roubles comme l’exige Vladimir Poutine. Le gazoduc Nord Stream vient de reprendre ce jeudi 21 juillet les livraisons en direction d’Allemagne après 10 jours de travaux. Mais seulement à 30% de ses capacités et sans assurance pour le futur.  Selon Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, il faut alors se préparer “au scénario du pire”. Il indique également “qu’une coupure totale du gaz russe est aujourd’hui l’option la plus probable”. S’émanciper des exportations russes à long terme devient alors un enjeu majeur pour toute l’Europe. 

Le gaz, à quoi ça sert ?

Le gaz naturel également appelé gaz fossile est la deuxième ressource utilisée dans le mix énergétique européen, après le pétrole. Il existe plusieurs types de forages pour l’extraire. Le forage vertical, utilisé pour les gisements se situant juste en dessous de la surface. Puis le forage horizontal développé dans les années 1980 pour atteindre les gisements qui auparavant étaient inaccessibles. Des puits jusqu’aux usines à gaz, il est transporté par gazoduc. Son premier usage est l’électricité et il est massivement utilisé pour produire de la chaleur. 

Plus de 70% de l’énergie disponible en Europe est d’origine fossile et le gaz représente 22%.  On le retrouve dans le chauffage des bâtiments, la production d’eau chaude et pour la cuisson. À titre d’exemple, 70% des Français l’utilisent comme mode de cuisson et 11 millions de logements sont aujourd’hui chauffés par ce biais. Le gaz naturel est également utilisé comme matière première dans l’industrie chimique notamment pour la pétrochimie et le raffinage. 

La dépendance européenne au gaz russe

En Europe, nous ne sommes pas tous au même degré de dépendance face à la Russie. Les traités européens confèrent le droit à un État membre de “déterminer les conditions d’exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement”. En clair, chaque État à ses propres modes de production d’énergies et ses fournisseurs. La part du gaz russe varie ainsi selon les pays mais on estime en 2021 que 45% des importations de gaz en Europe proviennent du Kremlin. Ce qui fait de lui le premier fournisseur européen. 

La France par exemple est un des pays les moins dépendants du gaz russe qui, dans son bouquet énergétique, est estimé à 24%. Cela découle du fait que le nucléaire est très présent et dépasse les 40%. À contrario, l’Allemagne est dépendante à 55%, l’Autriche à 65%, la Pologne à 80%. Certains pays comme la Slovaquie sont même dépendants à 100%. La proximité d’un pays avec la Russie influe sur ce pourcentage. 

Lutter contre le Kremlin

Comme l’explique Emmanuel Macron, dans son interview annuelle du 14 juillet, nous sommes face à une “guerre hybride” . La Russie utilise ses énergies fossiles comme un levier d’action. 

Entre 70 et 80% de la production de gaz russe repose sur 3 gisements en Sibérie occidentale : Medvéji, Ourengeï, Iambourg. Ils sont exploités depuis une trentaine d’années et sont considérés en voie d’épuisement. Aucun nouveau gisement n’a été découvert depuis 1988. Le gaz extrait est par la suite transporté de Russie par les gazoducs : Nord Stream, Yamal, Soyouz, Brotherhood et Turkstream. 

La stratégie énergétique de Poutine publiée en 2010, prévoyait de diversifier ses exportations de gaz pour laisser une place plus importante à l’Asie qu’à l’Europe d’ici 2030. La Russie a en effet renforcé ses liens avec la Chine avec un nouveau contrat qui prévoit de doubler le volume de gaz exporté d’ici 2025 pour atteindre les 50 milliards de m3 . Ainsi le pays pourra compenser la perte du marché européen. En attendant, le pays reçoit des sommes colossales des 27. Depuis le début de la guerre avec l’Ukraine, l’Europe aurait payé plus de 30 milliards d’Euros à la Russie selon le Centre de recherche sur l’énergie. 

La politique de Gazprom

Vladimir Poutine et Alexeï Miller – 2022©Kremlin-ru

Dans un contexte de guerre, où les premières sanctions touchent l’économie du pays, ces importations représentent une ressource monétaire conséquente pour la Russie. Son économie est peu diversifiée, et ses exportations d’hydrocarbures représentent à elles seules 46% de ses exportations totales. Par ailleurs, la plus grande entreprise mondiale de gaz, Gazprom, entretient des liens étroits avec le Kremlin.

Héritière du ministère soviétique de l’industrie du gaz, Gazprom devient une société par actions en 1993 quand son président, Viktor Tchernomyrdine, est promu Premier ministre. L’année où Vladimir Poutine arrive au pouvoir, il nomme à sa tête son ami de longue date Alexeï Miller, et l’État devient l’actionnaire majoritaire avec 51% des parts. Gazprom détient aujourd’hui près de 16% des réserves mondiales de gaz et représentait en 2007 près de 8% du PIB de la Russie. 

Le plan Repower UE

Pour Ursula von der Leyen, “nous devons agir maintenant pour atténuer les effets de la hausse des prix de l’énergie, diversifier notre approvisionnement en gaz pour l’hiver prochain et accélérer la transition vers une énergie propre”. Le plan Repower UE a alors plusieurs échéances. D’abord, il doit permettre à l’Union européenne de diminuer de deux tiers les importations de gaz russe d’ici la fin de l’année, ce qui correspond à près de 110 milliards de m3. Puis à terme, il a pour objectif de réformer l’entièreté du système énergétique européen d’ici 2030 pour assurer une vraie indépendance face à la Russie. 

Les 4 axes

Les quatre grands piliers de ce plan sont : diversifier nos fournisseurs, investir dans de nouvelles structures, économiser l’énergie et promouvoir les énergies renouvelables. Pour ce faire, le plan nécessite près de 300 milliards d’euros d’ici 2027. Les 27 pourront utiliser les prêts restants de la FRR, la Facilité pour la Reprise et la Résilience qui fait partie du Plan Relance. Ces prêts s’élèvent actuellement à 225 milliards d’euros et d’autres subventions sont disponibles par des fonds européens. 

Ursula von der Layen – 2019©European Parliament

La course au GNL étranger

L’Europe prévoit de se tourner vers d’autres pays pour ses importations de gaz. Pour le moment, les États-Unis, la Norvège, l’Algérie et le Qatar ont été évoqués. La Commission européenne vient d’ailleurs de signer un accord avec les États-Unis pour assurer un approvisionnement stable jusqu’en 2030. Joe Biden s’est en effet engagé à livrer jusqu’à 50 milliards de m3 de gaz à l’Europe d’ici 2030. Dès cette années les États-Unis vont livrer 15 milliards de m3 de gaz naturel liquéfié (GNL) supplémentaire. Ce qui donne une augmentation de près de 70% de l’approvisionnement actuel et devient la principale voie de livraison choisie par Bruxelles. 

Pour pouvoir acheminer du gaz naturel par voie maritime, comme dans le cas de livraisons américaines, il faut le refroidir à -160°. Transporté par des méthaniers, ce GNL est ensuite acheminé jusqu’à des terminaux équipés d’usines capables de le réchauffer pour le réinjecter dans des gazoducs. Le plan Repower UE demande alors la construction de nouveaux terminaux GNL et l’amélioration de ceux déjà existants pour envisager de nouveaux fournisseurs. En Europe, 7 sont en Espagne et 4 en France. 

Terminal de regazéification à Bahia -2014 ©Programa de Aceleração do Crescimento

De nouveaux chantiers à l’horizon

L’Hexagone est en train de réfléchir à la construction d’un cinquième dans le port du Havre. Ainsi ce sera le 3ème pays le plus important en termes de capacités d’importation de GNL en Europe. L’Allemagne a quant à elle annoncé la future construction de son premier terminal. Ces achats de GNL étranger viennent avec le projet d’une plateforme d’achats communs d’énergie pour négocier et conclure des contrats au nom des 27. Une stratégie qui avait déjà été mise en place pour l’achat de vaccins contre le Covid-19, et qui permettrait de faire bloc et d’obtenir des tarifs avantageux. Pour le moment, l’Allemagne préfère faire cavalier seul. 

Cette coordination européenne permettrait aussi de garantir au mieux le stockage du gaz pour l’hiver prochain. En France, il existe 12 sites souterrains qui permettent d’emmagasiner près du tiers de notre consommation annuelle. Ce qui contribue à notre faible dépendance au gaz russe. Selon Emmanuel Macron, on aura besoin d’être solidaire avec les “autres européens”. 

Pour économiser l’énergie il faut couper la wifi 

La Commission appelle les Européens à faire des économies d’énergie en préconisant une diminution de 24% de notre consommation d’ici 2030. Ce pan du plan Repower UE impliquerait tant les consommateurs que les industriels. Il existe plusieurs manières de faire : réduire les températures de chauffage, réduire la climatisation, privilégier les transports en commun ou tout simplement éteindre les lumières.

Ce mercredi 20 juillet, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a appelé les Français et Françaises à multiplier “les petits gestes du quotidien” comme “couper la wifi”. Demandé sans restriction, ces actions permettraient de faire des économies d’énergie en cas de rupture d’approvisionnement en gaz cet automne. 

« Chaque énergie que nous sommes capables collectivement d’économiser aujourd’hui, c’est de l’énergie dont nous serons sûrs de pouvoir disposer l’automne et l’hiver prochain » a-t-il précisé. Mais cette conférence de presse ne fait pas l’unanimité. 

Cap sur les énergies renouvelables 

Les énergies renouvelables représentaient en 2020, 36.5% de la production d’énergie primaire de l’UE. Mais là aussi il y existe de vraies disparités entre les États membres. En 2020, la France était le seul pays à ne pas avoir atteint ses engagements pris en 2009. On atteignait alors les 19.1% d’énergies renouvelables dans notre consommation finale et non les 23% promis. D’autres avaient atteint des montants plus louables, comme la Suède qui avait dépassé son objectif de 49% pour atteindre les 60.1%. Ou encore la Croatie qui avait pour objectif 20% et qui a dépassé les 30%. 

Le plan Repower UE propose de faire passer de 40 à 45% l’objectif de l’UE dans le déploiement des énergies renouvelables d’ici 2030. La capacité totale de production de cette énergie verte passerait à 1 237 GW d’ici 10 ans au lieu des 1 067 GW initialement prévu par le paquet “Ajustement à l’objectif 55”. 

Pour accélérer cette transition énergétique l’accent est mis sur le solaire et l’éolien. On retrouve dans le plan, l’obligation pour les toits des nouveaux bâtiments de plus de 250 m2 de s’équiper de panneaux solaires en 2030 et une simplification des procédures d’autorisation. En effet, le délai en Europe pour les autorisations d’éolienne est en moyenne de 9 ans et de 4 ans et demi pour le solaire. L’objectif du plan est alors de délivrer des permis en moins d’un an dans des zones dites favorables, préalablement identifiées par les Etats. 

Parc éolien de Middelgrunden au Danemark – 2013 ©Ben Paulos

L’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas et la Belgique ont annoncé leur volonté d’installer près de 150 GW d’éoliennes en mer du nord d’ici 2050. Ce qui permettrait à terme de fournir selon eux 230 millions de foyers. Emmanuel Macron a quant à lui promis la construction de 50 parcs éoliens offshore d’ici 2050, ce qui représente 40 GW de capacité. Sachant qu’aujourd’hui un parc éolien français met en moyenne 10 ans à voir le jour. Les États sont aussi invités à se tourner vers l’hydrogène vert, le biogaz et le biométhane grâce à des incitations financières. 

Une course à l’énergie au détriment de l’environnement ? 

Depuis l’annonce de ce plan, plusieurs critiques ont été soulevées par des associations et ONG écologistes. Notamment sur le prolongement des centrales nucléaires ou au charbon et sur l’expansion de la biomasse et du biométhane. Mais aussi sur les dérogations contraires à l’environnement accordées aux pays. 

Par exemple, le fait que certaines évaluations environnementales soient écartées pour accélérer les procédures d’autorisation des projets éoliens et solaires inquiètent les militants écologistes. Pour l’avocate de l’ONG ClientEarth, Anna Heslop, “Au milieu d’une crise mondiale de la biodiversité, il est incompréhensible que la Commission choisisse de saper sérieusement les lois qui protègent les lieux naturels et la faune les plus précieux de l’UE”. Les projets jugés “d’intérêt public supérieur” ne respecteront pas obligatoirement les attentes des directives Habitats et Oiseaux. 

De sérieux doutes sur les futurs projets gaziers

Même problème au sujet des nouvelles constructions de terminaux GNL en Allemagne et en France. Il prévoient eux aussi se passer d’études environnementales. Pour Lorette Philippot de l’association Amis de la terre sur le terminal prévu au Havre “ le gouvernement instrumentalise la crise et l’enjeu du pouvoir d’achat pour promouvoir les énergies fossiles. Cet article de loi n’est pas un cadeau fait aux Français, mais aux opérateurs du projet à savoir Total Énergies et Engie qui sera chargé du raccordement. On leur donne les clés pour développer un nouveau projet gazier sans contraintes et sans application des normes environnementales légales.”

La sécurité de l’approvisionnement énergétique se fera-t-elle au détriment de la protection de l’environnement et de la biodiversité? 

Sources : .

 

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