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L’utilisation des drones par la police est-elle une menace pour notre liberté ?

📋  Le contexte  📋

Malgré l’usage courant depuis quelques années des drones par plusieurs services relevant du ministère de l’Intérieur (préfecture de police de Paris, gendarmerie, pompiers de Paris, etc.), il n’existait pas de base législative spécifique. Et la possibilité d’y avoir recours a été remise en question en 2020 par deux décisions du Conseil d’État et une sanction de la CNIL  :

– le Conseil d’État, saisi en référé, a jugé qu’il n’était pas possible, en l’absence de disposition législative ou réglementaire, de recourir à des drones pour s’assurer du respect des règles sanitaires en vigueur (lors de la période de déconfinement) ou pour surveiller les manifestations sur la voie publique ;

– la CNIL a, quant à elle, sanctionné le ministère de l’Intérieur pour avoir utilisé de manière illicite des drones équipés de caméras, et lui a enjoint de ne recourir à la captation de données à caractère personnel à partir de drones que si un cadre normatif autorisant la mise en œuvre de tels traitements était adopté.

En outre, le Conseil d’État a également été sollicité par le Premier ministre (cette fois au titre de ses fonctions consultatives), pour une demande d’avis sur l’usage de dispositifs aéroportés de captation d’images par les autorités publiques. À cette occasion, il a également estimé qu’il était « nécessaire de fixer un cadre législatif d’utilisation des caméras aéroportées par les forces de sécurité et les services de secours. »

C’est pourquoi un article de la proposition de loi relative à la sécurité globale (l’article 22) visait à créer une base légale spécifique pour l’usage de caméras aéroportées par les forces de sécurité intérieure. Cet article a fait l’objet de nombreux débats.  Remanié par les députés et les sénateurs, il a été partiellement censuré par le Conseil constitutionnel (voir 3ème question de ce contexte). 

Dès novembre 2020, la Défenseure des droits, Claire Hédon, avait lancé une « alerte » à propos de la proposition de loi dans son ensemble, et plus particulièrement à propos de cet article. « Le recours aux drones comme outil de surveillance ne présente pas les garanties suffisantes pour préserver la vie privée », avait-elle estimé. Dans une note adressée le 12 novembre à l’exécutif, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU avait aussi exprimé « de sérieuses préoccupations », estimant que l’usage des drones avec caméras, « en tant que méthode particulièrement intrusive, est susceptible d’avoir un effet dissuasif sur des individus qui se trouvent dans l’espace public et qui souhaiteraient participer à des réunions pacifiques, et par conséquence limiter indûment leur droit à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique ».

Sur la même ligne, le Conseil constitutionnel a donc retoqué une bonne partie des dispositions de la loi. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin envisage donc de déposer un nouveau texte. « La Cnil (Commission nationale informatique et libertés, NDLR) nous empêche de faire voler ces drones qui sont extrêmement efficaces dans la lutte contre la drogue, les rodéos motorisés et la maîtrise de l’ordre public », a justifié Gérald Darmanin au Parisien« Ce qui est certain, c’est que je vais proposer au Premier ministre, dès cette semaine, un nouveau texte qui nous permette de faire voler ces drones. En France, tout le monde a le droit de les utiliser, sauf la police. Cherchez l’erreur ! »

Le débat n’est donc pas prêt de se clore. Et vous, qu’en pensez-vous ? Drones ou pas drones ? 

La loi n°2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés intègre un titre dédié à la vidéoprotection et captation d’images. L’article 47 (et plus 22…) est indiqué ci-dessous : 

Article 47

I.-Le titre IV du livre II du code de la sécurité intérieure est complété par un chapitre II ainsi rédigé :

« Chapitre II
« Caméras installées sur des aéronefs circulant sans personne à bord

« Art. L. 242-1.-Les dispositions du présent chapitre déterminent les conditions dans lesquelles les services mentionnés à l’article L. 242-6 peuvent procéder au traitement d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs circulant sans personne à bord et opérés par un télépilote ou sur des aéronefs captifs.
« Sont prohibés la captation du son depuis ces aéronefs, l’analyse des images issues de leurs caméras au moyen de dispositifs automatisés de reconnaissance faciale, ainsi que les interconnexions, rapprochements ou mises en relation automatisés des données à caractère personnel issues de ces traitements avec d’autres traitements de données à caractère personnel.

[Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-817 DC du 20 mai 2021.]

« Art. L. 242-3.-Le public est informé par tout moyen approprié de la mise en œuvre de dispositifs aéroportés de captation d’images et de l’autorité responsable, sauf lorsque les circonstances l’interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis. Une information générale du public sur l’emploi de dispositifs aéroportés de captation d’images est organisée par le ministre de l’intérieur.

« Art. L. 242-4.-La mise en œuvre des traitements prévus à L. 242-6 doit être justifiée au regard des circonstances de chaque intervention, pour une durée adaptée auxdites circonstances et qui ne peut être permanente. Elle ne peut donner lieu à la collecte et au traitement que des seules données à caractère personnel strictement nécessaires à l’exercice des missions concernées et s’effectue dans le respect de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
« L’autorité responsable tient un registre des traitements mis en œuvre précisant la finalité poursuivie, la durée des enregistrements réalisés ainsi que les personnes ayant accès aux images, y compris, le cas échéant, au moyen d’un dispositif de renvoi en temps réel.
« Les enregistrements peuvent être utilisés à des fins de pédagogie et de formation des agents.
« Hors le cas où ils sont utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, les enregistrements comportant des données à caractère personnel sont effacés au bout de trente jours.

[Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-817 DC du 20 mai 2021.]

« Art. L. 242-6.-Dans l’exercice de leurs missions de prévention, de protection et de lutte contre les risques de sécurité civile, de protection des personnes et des biens et de secours d’urgence, les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires des services d’incendie et de secours, les personnels des services de l’Etat et les militaires des unités investis à titre permanent de missions de sécurité civile ou les membres des associations agréées de sécurité civile au sens de l’article L. 725-1 peuvent procéder en tous lieux, au moyen de caméras installées sur des aéronefs circulant sans personne à bord et opérés par un télépilote, à la captation, à l’enregistrement et à la transmission d’images aux fins d’assurer :
« 1° La prévention des risques naturels ou technologiques ;
« 2° Le secours aux personnes et la lutte contre l’incendie.

[Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-817 DC du 20 mai 2021.]

« Art. L. 242-8.-Les modalités d’application du présent chapitre et d’utilisation des données collectées sont précisées par décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. »

II.-Le code de la défense est ainsi modifié :
1° Après la section 1 du chapitre II du titre III du livre III de la première partie, est insérée une section 1 bis ainsi rédigée :

« Section 1 bis
« Dispositifs techniques concourant à la protection des installations d’importance vitale

« Art. L. 1332-6-1.-A.-A des fins de protection des établissements, installations et ouvrages d’importance vitale mentionnés aux articles L. 1332-1 et L. 1332-2, les services de l’Etat concourant à la défense nationale, à la sûreté de l’Etat et à la sécurité intérieure peuvent procéder, au moyen de caméras installées sur des aéronefs, à la captation, à l’enregistrement et à la transmission d’images dans les conditions définies aux articles L. 2364-2 à L. 2364-4. » ;

2° Le titre VI du livre III de la deuxième partie est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :

« Chapitre IV
« Dispositifs techniques concourant à la protection des installations militaires

« Art. L. 2364-1.-A des fins de protection des installations militaires, les services de l’Etat concourant à la défense nationale, à la sûreté de l’Etat et à la sécurité intérieure peuvent procéder, au moyen de caméras installées sur des aéronefs, à la captation, à l’enregistrement et à la transmission d’images.

« Art. L. 2364-2.-La mise en œuvre des traitements prévus aux articles L. 1332-6-1 A et L. 2364-1 doit être justifiée au regard des circonstances de chaque intervention, pour une durée adaptée auxdites circonstances. Elle ne peut donner lieu à la collecte et au traitement que des seules données à caractère personnel strictement nécessaires à l’exercice des missions concernées et s’effectue dans le respect de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
« L’autorité responsable tient un registre des traitements mis en œuvre précisant la finalité poursuivie, la durée des enregistrements réalisés ainsi que les personnes ayant accès aux images, y compris, le cas échéant, au moyen d’un dispositif de renvoi en temps réel.
« Les opérations de captation d’images sont réalisées de telle sorte qu’elles ne visualisent pas les images de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées.

« Art. L. 2364-3.-Hors le cas où ils sont utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, les enregistrements comportant des données à caractère personnel sont effacés au bout de trente jours.

« Art. L. 2364-4.-Le public est informé par l’autorité responsable, par tout moyen approprié, de la mise en œuvre de dispositifs de captation d’images au titre du présent chapitre, sauf lorsque les circonstances l’interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis. Une information générale du public sur l’emploi de dispositifs aéroportés de captation d’images est organisée par le ministre de la défense. »

Le 20 mai 2021, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, dont il avait été saisi par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs. Saisi de vingt-deux articles de la loi, le Conseil constitutionnel en a validé quinze, tout en assortissant quatre d’entre eux de réserves d’interprétation, et en a censuré totalement ou partiellement sept, dont l’article concernant l’utilisation des drones. 

Vous trouverez ci-dessous la justification du conseil constitutionnel au sujet de la censure partielle de l’article 47 : 

« – certaines dispositions de l’article 47 déterminant les conditions dans lesquelles certains services de l’État et la police municipale peuvent procéder au traitement d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs circulant sans personne à bord.

En application de ces dispositions, les services de l’État et de police municipale peuvent mettre en œuvre des opérations de captation, d’enregistrement et de transmission d’images sur la voie publique dès lors qu’elles ne visualisent pas les images de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées. Les images captées peuvent être transmises en temps réel au poste de commandement du service utilisateur. Le public est informé par tout moyen approprié de la mise en œuvre du dispositif de captation d’images sauf lorsque les circonstances l’interdisent ou lorsque cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis.

Le Conseil constitutionnel a jugé à cet égard que, pour répondre aux objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions, le législateur pouvait autoriser la captation, l’enregistrement et la transmission d’images par des aéronefs circulant sans pilote à bord aux fins de recherche, de constatation ou de poursuite des infractions pénales ou aux fins de maintien de l’ordre et de la sécurité publics. Toutefois, eu égard à leur mobilité et à la hauteur à laquelle ils peuvent évoluer, ces appareils sont susceptibles de capter, en tout lieu et sans que leur présence soit détectée, des images d’un nombre très important de personnes et de suivre leurs déplacements dans un vaste périmètre. Dès lors, la mise en œuvre de tels systèmes de surveillance doit être assortie de garanties particulières de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée.

Or, le Conseil constitutionnel a relevé que, en matière de police judiciaire, il peut être recouru à ce dispositif pour toute infraction, y compris pour une contravention. En matière de police administrative, il peut y être recouru pour la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens, pour la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public, pour la prévention d’actes de terrorisme, la protection des bâtiments et installations publics exposés à des risques d’intrusion ou de dégradation, la régulation des flux de transport, la surveillance des frontières et le secours aux personnes. S’agissant des services de police municipale, ils peuvent y recourir aux fins d’assurer l’exécution de tout arrêté de police du maire, quelle que soit la nature de l’obligation ou de l’interdiction qu’il édicte, et de constater les contraventions à ces arrêtés.

Il a également relevé que le législateur n’a lui-même fixé aucune limite maximale à la durée de l’autorisation de recourir à un tel moyen de surveillance, exceptée la durée de six mois lorsque cette autorisation est délivrée à la police municipale, ni aucune limite au périmètre dans lequel la surveillance peut être mise en œuvre et que n’a pas été fixé le principe d’un contingentement du nombre d’aéronefs circulant sans personne à bord équipés d’une caméra pouvant être utilisés, le cas échéant simultanément, par les différents services de l’État et ceux de la police municipale.

Par ces motifs, notamment, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et le droit au respect de la vie privée ;

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
L'utilisation des drones par la police : une menace pour notre liberté ?
Le « Pour »
Personne !
L'avis de la commission des lois du Sénat

Nota : La version finale de la loi « pour une sécurité globale préservant les libertés », prévoyait de permettre aux forces de l’ordre d’utiliser des drones. Malgré nos recherches, nous n’avons pas été en mesure de trouver un contributeur, que ce soit au gouvernement ou chez les parlementaires (qui ont conjointement débattu et validé cette loi) qui accepte de défendre le fait que cette utilisation ne serait pas une menace pour nos libertés.

A défaut, nous vous proposons donc notre choix de la meilleure contribution publique à ce sujet. Il s’agit selon nous du rapport de la commission des lois du Sénat qui a choisi de conserver l’article de loi autorisant l’utilisation des drones par les autorités mais en restreignant leur usage. La commission du Sénat a largement réécrit le texte. Il a notamment fait évoluer l’article 22 afin de « mieux encadrer l’usage des drones pour préserver les libertés ». La version de l’article proposé par le Sénat a été retenue dans la version finale. 


Extrait du rapport n°409 fait au nom de la commission des lois, déposé le 3 mars 2021

[…]L’article 22 de la proposition de loi vise à créer une base légale spécifique pour l’usage de caméras aéroportées par les forces de sécurité intérieure.

Serait inséré au sein du titre IV du livre II du code de la sécurité intérieure un nouveau chapitre consacré entièrement aux « caméras aéroportées », composé de sept articles, et applicable aux services de l’État concourant à la sécurité intérieure et à la défense nationale, aux services d’incendie et de secours et aux formations militaires de la sécurité civile.

Ces services seraient autorisés à procéder au traitement d’images au moyen de caméras aéroportées pour une large liste de finalités, y compris avec transmission en temps réel, sous certaines conditions (pas de visualisation de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, de leurs entrées ; obligation d’information du public, sauf lorsque les circonstances l’interdisent ; caractère non permanent ; tenue d’un registre des accès ; durée de conservation de 30 jours).

La position de la commission : mieux encadrer l’usage des drones pour préserver les libertés

Conformément aux recommandations formulées dans l’avis rendu par la CNIL sur saisine du président de la commission des lois, les rapporteurs ont souhaité privilégier une approche équilibrée : ne pas refuser le progrès technique quand il renforce l’efficacité de nos forces de l’ordre, mais toujours vérifier que ces innovations ne menacent pas les libertés publiques auxquelles nos concitoyens sont légitimement attachés.

Ils estiment que les drones peuvent effectivement être utiles (le secours aux victimes a, par exemple, tout à gagner de ces outils qui permettent d’épargner la vie des sauveteurs). Mais les modes de surveillance policière par drones risquent aussi d’être beaucoup plus intrusifs : contrairement aux caméras fixes aux coins de nos rues, les drones filment en hauteur, avec une grande précision, peuvent enregistrer des milliers de personnes, suivre leur cible, zoomer sur les visages et à l’intérieur des bâtiments, et certains sont furtifs, voire équipés de caméras thermiques… Les garanties doivent donc être d’autant plus fortes que les risques pour les libertés sont importants.

À l’initiative de ses rapporteurs (amendement COM-282), la commission a souhaité :

– recentrer le nouveau régime juridique sur les seuls drones (sans pilotes à bord), pour bien le distinguer des règles plus souples régissant d’autres dispositifs (caméras embarquées) ;

– réaffirmer les principes de nécessité et de proportionnalité et la soumission de l’usage des drones à la loi « Informatique et libertés » ;

– mieux encadrer les finalités justifiant l’usage de drones, en réservant leur usage à certaines circonstances où ils sont particulièrement adaptés (infractions graves, lieux difficiles d’accès ou exposant les agents à des dangers particuliers) ;

– prévoir un régime souple d’autorisation préalable par le préfet ou le procureur, selon les cas, lorsque des drones sont utilisés dans le cadre d’opérations de police administrative ou judiciaire ;

– et réaffirmer, à ce stade, la prohibition des techniques qui ne sont pas expressément autorisées par le législateur (captation des sons, reconnaissance faciale, interconnexions automatisées de données).

Voilà ! Si vous trouvez une meilleure contribution publique ou que vous souhaitez vous-même défendre ce point de vue, n’hésitez pas à nous écrire : contact@ledrenche.fr

Et pour aller plus loin, nous vous invitons également à découvrir les débats qui ont eut lieu au Sénat à ce sujet, en présence du ministre de l’Intérieur : https://www.publicsenat.fr/emission/les-matins-du-senat/loi-securite-globale-debat-sur-l-utilisation-des-drones-par-les

 

Le « Contre »
Anne-Sophie Simpere
Chargée de plaidoyer Libertés à Amnesty International France
On peut faire autrement que filmer les citoyens !

Nota : Cette tribune a été rédigée avant la décision du Conseil constitutionnel de censurer en partie l’article de loi à ce sujet

L’usage des drones par la police, légalisé par la loi Sécurité globale, pourrait ouvrir la voie à une surveillance généralisée qui porterait atteinte à nos droits les plus fondamentaux. Être surveillé par l’Etat menace notre droit à la vie privée, à circuler librement, à aller manifester (on peut ne pas souhaiter que les autorités vous identifient pour votre participation à une manifestation). Si le Conseil constitutionnel valide la loi Sécurité globale, il ne s’agira plus d’une dystopie, mais bien d’une réalité.

Certes, on peut limiter certains droits pour atteindre des objectifs légitimes, comme la sécurité. Mais cela doit rester strictement nécessaire et proportionné. Or la loi sécurité globale n’encadre pas suffisamment l’usage des drones de surveillance. D’après la loi, ils peuvent être utilisés pour constater des infractions, prévenir les atteintes aux personnes et aux biens, ou encore prévenir le terrorisme… tout cela peut se produire partout, donc cela revient à les autoriser partout! Et alors que cet usage des drones de surveillance est permis beaucoup trop largement, le législateur n’a pas montré pourquoi c’était nécessaire, et si c’était proportionné.

La question de la proportionnalité, c’est se demander : n’y a-t-il pas d’autres moyens, moins dangereux pour nos droits, d’atteindre les mêmes objectifs ? 

On ne sait pas si c’est nécessaire, car l’efficacité de la vidéosurveillance classique elle-même n’a jamais été évaluée. Est-ce que ça permet vraiment de lutter contre les crimes et délits? De résoudre des enquêtes? Ou est-ce que ça déplace simplement le problème? Ça fait des années que la Cour des comptes demande que cette évaluation soit faite, sans réponse. La question de la proportionnalité, c’est se demander: n’y a-t-il pas d’autres moyens, moins dangereux pour nos droits, d’atteindre les mêmes objectifs? Par exemple, une ville comme Issy les Moulineaux ne recourt pas à la vidéosurveillance, mais met en place des programmes de prévention de la délinquance, d’animation et de médiation… on peut faire autrement que filmer les citoyens!

S’agissant des drones, il faut toujours rappeler qu’ils sont bien plus dangereux pour nos libertés que la vidéosurveillance classique

S’agissant des drones, il faut toujours se rappeler qu’ils sont bien plus dangereux pour nos libertés que la vidéosurveillance classique déjà existante. Contrairement aux caméras fixes, les drones se déplacent, ils sont plus discrets, nous regardent depuis le ciel, ils peuvent suivre une personne dans ses déplacements, ils peuvent filmer une foule de manifestants… En outre, il est pratiquement impossible de les empêcher de filmer l’intérieur des bâtiments: s’ils se déplacent en ville, dans une rue, comment éviter que leurs caméras ne balaient, même incidemment, les fenêtres des immeubles et ce qu’il y a derrière ?

Entre les mains d’un gouvernement peu soucieux des droits humains, le type d’outils de surveillance que les autorités sont en train de mettre en place est effrayant

Alors que les drones sont très intrusifs, les parlementaires n’ont pas assorti leur légalisation de garanties suffisantes. Ils n’ont pas prévu que le public serait systématiquement informé qu’il est filmé – et en même temps, ça parait compliqué vu que les drones se déplacent. Ils n’ont interdit de filmer que les intérieurs de domiciles et leurs entrées, mais les bureaux ou autres lieux privés ne sont pas protégés – et en même temps, c’est déjà impossible de protéger les domiciles contre ces caméras volantes qui se déplacent. Ils n’ont pas prévu de contrôle par des autorités indépendantes, d’accès aux images pour les personnes intéressées, de mécanismes de recours, de sanction en cas d’usage abusif…

Il est important que les lois encadrant la surveillance, et notamment l’usage des drones, protègent très strictement nos droits fondamentaux, si nous ne voulons pas tomber sous le dictat d’une surveillance omniprésente, qui menacerait durablement nos libertés. Entre les mains d’un gouvernement peu soucieux des droits humains, le type d’outils de surveillance que les autorités sont en train de mettre en place est effrayant. Nous ne devrions pas l’accepter sans penser à ces risques.

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