Ukraine

Faut-il s’engager à faire adhérer l’Ukraine à l’Union européenne ?

📋  Le contexte  📋

Le 28 février dernier, moins d’une semaine après l’invasion russe, le Président ukrainien Volodymyr Zelensky a appelé à l’adhésion immédiate de son pays à l’UE, via une «nouvelle procédure spéciale». Se déclarant sûr qu’une telle hypothèse était envisageable, celui-ci a plaidé la cause des Ukrainiens : « Nous voulons maintenant être vos égaux. Nous voulons être membres de l’Union européenne et je pense qu’aujourd’hui nous montrons à tout le monde que nous sommes vos égaux. Et l’Union européenne sera beaucoup plus forte avec nous au sein d’elle. Sans vous, l’Ukraine sera seule». 

Sans fermer la porte à cette requête, le Président du Conseil Charles Michel a rapidement réagit en rappelant qu’une telle décision nécessitait un accord unanime des vingt-sept pays membres. «L’adhésion, a-t-il poursuivi, est une demande exprimée de longue date par l’Ukraine. Mais il y a différentes opinions et sensibilités au sein de l’UE sur l’élargissement. L’Ukraine va transmettre une demande officielle, la Commission européenne devra exprimer un avis officiel et le Conseil se prononcera»

Plusieurs pays d’Europe centrale ont rapidement soutenu la démarche : la Bulgarie, la République tchèque, les trois pays baltes, la Pologne, la Slovaquie et la Slovénie ont écrit une lettre ouverte pour soutenir l’idée, affirmant que l’Ukraine mérite qu’on lui donne une chance.

Les chefs d’État et de gouvernement des pays membres étaient réunis en sommet les 10 et 11 mars et ont donc bien sûr abordé cette question. Ils ont finalement rejeté la demande Ukrainienne.

« Est-ce qu’on peut aujourd’hui ouvrir une procédure d’adhésion avec un pays en guerre ? Je ne le crois pas. Est-ce qu’on doit fermer la porte et dire jamais ? Ce serait injuste », a résumé Emmanuel Macron qui assure la présidence tournante du Conseil de l’UE. La France, comme de nombreux autres pays, au premier rang desquels l’Allemagne mais aussi les Pays-Bas, n’imagine pas, à courte échéance, que Kiev puisse rejoindre l’UE.

« Accueillir l’Ukraine, avec 41 millions d’habitants, n’est pas une décision qui se prend en un week-end », explique l’Elysée. Avant de poursuivre : « Ce n’est pas une procédure d’adhésion qui mettra fin à la guerre. »

Tout d’abord, le pays doit déposer sa candidature à l’adhésion à l’UE. Ensuite, la Commission européenne et le Parlement doivent valider le statut d’État-candidat. Puis une stratégie de pré-adhésion est mise en place, notamment avec des aides financières qui servent à aligner l’économie des États-candidats avec les économies européennes. Après cela, des négociations d’adhésion ont lieu pour transposer le droit européen et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans le droit du pays candidat, ce qui peut prendre plusieurs années. 

Enfin, l’ensemble des États membres doit ratifier l’adhésion, par traité ou par référendum. Si un seul État est contre l’entrée d’un nouveau pays en Europe, son adhésion ne peut pas être validée et de nouvelles négociations entrent en jeu.

Les derniers États à être entrés dans l’Union tels que la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie, ont mis en moyenne dix ans à achever ce processus d’intégration

Par conséquent, à moins de modifier les traités européens, ce qui est également une longue procédure, l’adhésion « sans délai » de l’Ukraine à l’Union européenne semble compromise. Toutefois, cela n’empêche pas l’UE de s’engager dans un processus d’adhésion dès maintenant. Alors faut-il s’engager à faire adhérer l’Ukraine ? On en débat ! 

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Le « Pour »
Sylvain Kahn
Professeur agrégé d'histoire à Sciences Po. Docteur en géographie
Donnons sans plus attendre à l'Ukraine le statut de pays candidat à l'Union européenne

Les 27 Etats-membres de l’UE viennent de demander à la Commission européenne de leur remettre son avis motivé sur la candidature de l’Ukraine à l’Union européenne. Quelques jours auparavant, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait déclaré être favorable à ce que l’UE accorde à l’Ukraine le statut de pays candidat : « Ils sont des nôtres, et nous voulons qu’ils soient à l’intérieur ».  Quelques jours plus tôt encore, les premiers ministres de huit pays membres de l’UE avaient signé ensemble une déclaration allant dans le même sens : la République tchèque, la Lettonie, la Lituanie, la Bulgarie, l’Estonie, la Pologne, la Slovaquie et la Slovénie.  

En confirmant officiellement cette perspective d’adhésion, les Européens enverraient un message politique explicite et déterminé

En dépit de l’opposition de l’Etat russe, l’Ukraine était déjà, depuis 2017, un Etat associé à l’UE. Toutefois, bien que souhaitée par la Pologne et les trois Etats baltes, la question de son adhésion restait hypothétique. Mais, depuis que l’armée de Russie a envahi l’Ukraine le 24 février, les Européens envisagent de faire de l’Ukraine un pays officiellement candidat à l’entrée dans l’UE. 

Cette soudaine évolution s’inscrit dans le processus de mobilisation intense et tous azimuts des Européens aux côtés de la société et de l’Etat ukrainiens agressés par la Russie. En confirmant officiellement cette perspective d’adhésion, les Européens enverraient un message politique explicite et déterminé tant à la Russie qu’à l’Ukraine. 

En effet, en envahissant l’Ukraine, la Russie du régime de Vladimir Poutine entend écraser deux idées concrètes : la démocratisation et l’européanisation. Dans sa diversité, la société européenne comme ensemble se caractérise par une préférence collective pour la délibération et le pluralisme ainsi que par le rejet de la violence et de l’exaction militaires comme modalité du vivre-ensemble. Pour autant qu’on puisse l’évaluer, la société ukrainienne avait depuis 2014 (révolution du Maïdan) voire depuis 2004 (révolution orange) choisi l’européanisation. L’invasion de l’Ukraine par la Russie tente d’anéantir ce choix par la violence et la force brute. Elle y brise la liberté politique, aux échelles individuelle et collective, comme la possibilité du pluralisme, de la délibération et du débat. Elle écrase, tout simplement, le choix de vivre, d’habiter, de penser et de faire société en paix.

Les Européens sont convaincus que l’avenir de l’Ukraine est bien celui d’un Etat indépendant membre de la famille européenne

En prenant fait et cause pour les Ukrainiens dès le premier jour de l’invasion de leur pays, les dirigeants européens ont indiqué qu’ils soutiendraient le plus possible la résistance des Ukrainiens, y compris en livrant des armes létales, avec toutefois une limite qu’ils ne dépasseraient pas : l’engagement militaire sur le champ de bataille aux côtés de l’armée d’Ukraine. Cette limite place les dirigeants européens en porte à faux vis-à-vis de leurs opinions : une grande partie de celles-ci est effrayée et révulsée par les destructions et les morts opérées par l’armée russe qui bombarde des immeubles, des hôpitaux, des écoles et des centrales nucléaires.

Leur décision de ne pas livrer d’avions de chasse à l’armée ukrainienne comme de ne pas interdire par la force l’espace aérien ukrainien à l’armée de l’air russe peut dès lors décevoir ou être incomprise. Dans ce contexte, accorder à l’Ukraine le statut de pays candidat est un engagement et un soutien symboliques non seulement bienvenus mais nécessaires. Cela revient à ouvrir des négociations en vue d’une adhésion future. C’est donc une façon de signifier aux Ukrainiens comme aux Russes que les Européens sont convaincus que l’avenir de l’Ukraine est bien celui d’un Etat indépendant membre de la famille européenne. C’est signifier la conviction que la guerre provoquée de toute pièce par la Russie va se retourner contre elle et que l’invasion de l’Ukraine va échouer.

Le « Contre »
Joséphine Staron
Docteur en philosophie (Sorbonne Université) & Directrice des études et des relations internationales chez Think Tank Synopia
Adhésion de l’Ukraine à l’UE : pourquoi il serait dangereux de se précipiter

L’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne est une ligne rouge pour Vladimir Poutine : il n’acceptera pas que l’Ukraine s’occidentalise davantage en rejoignant l’UE ou l’OTAN. Il en a d’ailleurs fait une des justifications principales de l’invasion en accusant les Européens et les Américains de vouloir « s’approprier » l’Ukraine pour isoler et affaiblir la Russie. 

Dès lors, si les Européens s’engagent à faire adhérer l’Ukraine, comme le demande le Président Zelensky, d’une part, cela serait vécu comme une ultime provocation pour la Russie, et d’autre part, cela lui permettrait de continuer à justifier l’invasion. 

A court terme donc, ni les Européens, ni les Ukrainiens, ne sortiraient gagnants d’une promesse d’adhésion

Cette décision serait donc à la fois très risquée pour les Européens – veut-on vraiment envenimer les relations avec la Russie alors même que nous n’avons jamais été si proche d’une troisième guerre mondiale ? –, et contre-productif puisque cela offrirait un argument de taille à Vladimir Poutine pour poursuivre la guerre. A court terme donc, ni les Européens, ni les Ukrainiens, ne sortiraient gagnants d’une promesse d’adhésion. 

Cependant, même si les Européens ne peuvent y accéder, la demande du président Ukrainien d’une adhésion rapide à l’Union européenne est légitime et s’inscrit dans une dynamique d’européanisation de l’Ukraine qui s’est accélérée depuis 2014 et l’annexion illégale de la Crimée par la Russie. Des liens forts ont été tissés et se sont concrétisés en 2017 par la signature d’un accord d’association autour de trois objectifs principaux : approfondir les liens politiques, renforcer les liens économiques et faire respecter les valeurs communes. La perspective d’une adhésion de l’Ukraine à l’UE, à long terme, existe donc bel et bien. 

Mais précipiter les choses et créer un précédent en mettant en place une procédure d’adhésion d’urgence comporterait des risques non négligeables sur le long terme. En effet, si le processus d’adhésion prévu par les traités est si long c’est parce qu’il faut préparer l’État candidat et son système politique, économique, social et juridique à intégrer l’acquis communautaire. Les étapes du processus d’adhésion sont donc là pour permettre à l’État candidat de mener les réformes structurelles nécessaires afin de faciliter la convergence des modèles et éviter, le plus possible, que l’adhésion d’un nouveau membre n’entraîne une concurrence déloyale entre les États et n’affaiblisse les systèmes économiques et sociaux. 

Les conditions ne sont donc pas réunies, à ce jour, pour que l’Union européenne puisse s’engager formellement

La convergence politique, économique, sociale et juridique ne peut pas se faire en un jour. Cela prend du temps. Et ce temps est nécessaire aussi bien pour l’État candidat que pour ceux qui sont déjà membres. 

Les conditions ne sont donc pas réunies, à ce jour, pour que l’Union européenne puisse s’engager formellement en faveur d’une adhésion de l’Ukraine. Même si la Commission a récemment accepté d’examiner son dossier d’adhésion, celui-ci devra ensuite recueillir l’unanimité des votes au Conseil pour qu’elle obtienne le statut d’État candidat. Et même là, ce statut n’implique pas une adhésion mais simplement le début du processus de négociation. Rappelons que la Turquie a obtenu le statut d’État candidat en 1999… 

Toutefois, le soutien historique de l’ensemble des États membres et la solidarité unanime à l’égard de l’Ukraine, même s’ils ne sont malheureusement pas de nature à stopper l’invasion russe, sont bien le signe d’un lien fort entre les Européens et les Ukrainiens. La porte de l’UE ne leur est pas définitivement fermée. Elle reste, comme elle l’a toujours été, entrouverte, jusqu’à ce que des conditions plus favorables permettent peut-être un jour de l’ouvrir totalement.  

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