Menottes devant une liasse de billets

Faut-il supprimer les aides aux familles de délinquants ?

📋  Le contexte  📋

Parmi les villes où la suppression des aides pour les familles de délinquants est effective, on peut nommer Caudry, Poissy, Valence ou encore Étampes. Supprimer les aides aux familles de délinquants juvéniles contribuerait, selon ses partisans, à responsabiliser les familles. Cela apparaît comme un recours lorsque les enfants ou adolescents sont à l’origine d’incivilités dans la commune.

Les aides concernées sont des subventions facultatives mises en place à l’initiative de la mairie. Elles sont destinées aux foyers les plus modestes pour régler les frais de cantine, acheter des tickets de transport ou des chèques sport et culture.  La mairie a le pouvoir d’émettre ces aides sociales… et donc de les suspendre. En revanche, elle ne peut pas s’attaquer aux aides obligatoires (RSA, AAH, APL, etc.), qui sont fixés par la loi et ne peuvent être adaptés au niveau local. Les aides susceptibles d’être supprimées par la maire sont donc des aides sociales non obligatoires.

Le protocole dépend des mairies. Dans la ville de Caudry, les aides municipales sont suspendues dès le premier rappel à la loi. Les aides d’accès aux loisirs sont quant à elles suspendues / supprimées seulement en cas de récidive. Certaines bourses accordées aux collégiens et lycéens (entre 100 et 400 euros mensuels par élève) sont également concernées par la procédure.

À Poissy, les sanctions concernent l’accès aux loisirs :  l’aide au loisir peut être suspendue, voire supprimée en cas de récidive. Certaines bourses accordées aux collégiens et lycéens (allant entre 100 et 400 euros par mois et par élève) entrent aussi en jeu. En revanche, les aides pour la cantine scolaire, les activités périscolaires et les allocations familiales ne sont pas supprimées, afin de ne pas « remettre en cause le quotidien vital » des familles, d’après le maire, Karl Olive.

À Valence, toute famille dont un des membres fait l’objet d’un rappel à l’ordre ou d’une condamnation pour trouble à l’ordre public est privée d’aides municipales.

Pour certains, la suppression des aides sociales pour toute la famille est injuste et contreproductive. Priver une famille de ses aides parce qu’un de ses membres s’est rendu coupable d’un délit contribuerait à creuser les inégalités sociales. Par ailleurs, cette mesure consiste à sanctionner quelqu’un pour un délit qu’il n’a pas commis.

Pour d’autres, cette suspension des aides est un dernier recours pour permettre aux maires de faire face à la délinquance. C’est donc un moyen de montrer à la société que l’on se bat pour retrouver de l’ordre et des valeurs et ainsi, provoquer un électrochoc. Plus encore, il s’agit de responsabiliser les familles en faisant peser une pression financière.

Alors, faut-il supprimer les aides aux familles de délinquants ? On en débat aujourd’hui !

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Faut-il supprimer les aides aux familles de délinquants ?
Le « Pour »
Franck Marlin
Maire d'Étampes
La sécurité, première des libertés et premier des droits

Nous vivons en République : c’est notre chance et notre richesse commune. Il nous appartient d’en préserver les valeurs et les droits. Au premier rang desquels la « sûreté », ciment indispensable de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

De trop nombreuses familles n’exercent plus leur autorité parentale

Maire d’Étampes, j’ai été le premier élu local à supprimer en 1999 les aides municipales facultatives aux familles dont les enfants avaient fait l’objet de condamnations pour faits de délinquance. À ceux, naïfs ou aux aveugles, qui m’ont critiqué à l’époque, j’ai répondu que sans devoirs il ne peut y avoir de droits. L’avenir m’a donné raison et, depuis vingt ans, de nombreuses municipalités m’ont emboîté le pas.

Rappelons la réalité des faits : notre société vit une crise profonde de l’autorité. Tandis que l’appareil d’État, empêtré dans ses lourdeurs et sa pusillanimité, peine à rappeler et plus encore à imposer que « force reste à la Loi », de trop nombreuses familles n’exercent plus leur autorité parentale. Laissés libres de tout mouvement, leurs enfants peuvent basculer dans la délinquance. 

L’actualité récente le démontre, hélas, à satiété. Chacun garde en mémoire ces images terribles et récurrentes d’écoles qui brûlent, d’enseignants agressés, de violences faites aux femmes, de pompiers et de policiers caillassés, de nos concitoyens pris pour cible car ils représentent l’autorité républicaine, et de biens privés endommagés ou détruits.  

C’est face à cette réalité que j’ai pris un ensemble de décisions fortes et de bon sens : la suppression des aides facultatives aux familles de mineurs délinquants, mais aussi — dès 2001 — l’interdiction faite en enfants de moins de 13 ans de rester dehors le soir, et le renforcement de la vidéosurveillance, pour laquelle Étampes est précurseur.

Toucher des aides facultatives n’est pas un dû

Force est de le reconnaître : parmi les fauteurs de troubles figurent en grande majorité des mineurs. Leurs parents doivent comprendre que toucher des aides facultatives n’est pas un dû : encore faut-il respecter les lois de la République. Bien sûr, la suppression de ces aides doit s’accompagner d’un travail pédagogique auquel je me suis toujours astreint. 

Pour que chacun puisse mesurer la portée de ses actes, les familles d’enfants surpris en flagrant délit de dégradation de bien public ou qui ont fait l’objet d’une décision de justice sont reçues en mairie. Au cours de l’entretien, il leur est expliqué les raisons pour lesquelles certaines aides municipales leur seront désormais refusées. Il importe de noter que cette suppression, qui dure une année, à l’issue de laquelle un bilan est dressé avec les parents, ne concerne pas la cantine scolaire, les activités périscolaires et les allocations familiales.

En prenant ainsi conscience que leurs gestes ont des répercussions directes sur toute la famille, les mineurs et leurs parents finissent souvent par revenir dans le droit chemin. En effet, cette fermeté paie : depuis plus de vingt ans que nous l’appliquons à Étampes, le taux de réussite s’élève à 50 % et le lien social est rétabli. 

Face à la délinquance des mineurs, n’y a pas de fatalité. Avec justice et fermeté, force peut et doit rester à la Loi.

Le « Contre »
Mireille Clapot
Députée de la Drôme, Membre du bureau « En Commun »
La suppression des aides aux familles de délinquants ? Une fausse bonne idée

Ah, le vieux rêve de la droite dure… Supprimer les aides aux parents des délinquants, les frapper au portefeuille, parce que « il n’y a que ça qu’ils comprennent, ces mauvais parents » et pendant qu’on y est, priver aussi les frères et sœurs, selon le bon vieil adage « si ce n’est toi, c’est donc ton frère ».

Eh bien non ! C’est une « fausse bonne idée », un effet d’annonce aussi inefficace qu’injuste car contraire á l’intérêt supérieur des enfants et non conforme aux principes du droit.

Une sanction collective est contraire au droit

Liés à l’engagement dans la délinquance, le plaisir de la transgression, le sentiment d’impunité, le phénomène de bande et l’attirance envers l’argent facile caractérisent l’immaturité de certains mineurs, que corrigent l’éducation, les politiques publiques, les influences diverses. L’enfant est un être en pleine croissance, caractérisé par sa jeunesse, sa vulnérabilité, son manque d’autonomie. Aussi la loi a consacré des droits spécifiques faisant primer l’intérêt supérieur de l’enfant (en matière d’accompagnement social, d’éducation, d’accès aux loisirs etc.), proclamés par la Convention internationale des droits de l’enfant en son article 3-1.

La privation de droits est encadrée par des principes -constitutionnels- qui s’imposent à tous, afin d’éviter toute sanction arbitraire. Ainsi, le principe de personnalité des peines empêche de sanctionner une personne pour un fait qu’elle n’a pas elle-même commis. En clair, une sanction collective est contraire au droit. Si vous êtes un enfant modèle dans une fratrie de moutons noirs, vous ne sauriez être puni à leur place. Si, comme parent, votre rejeton défie votre autorité et vous violente, vous ne devriez pas être enfoncé dans vos difficultés par une sanction financière.

Par ailleurs, le Conseil Constitutionnel prévoit la nécessité d’un lien de réglementation entre la personne sanctionnée et l’autorité administrative. Ainsi, il est illégal de priver quelqu’un d’un tarif social à la cantine ou d’aides pour l’accès à la culture s’il a commis une incivilité ou un trouble à l’ordre public sans rapport avec le restaurant scolaire ou le lieu culturel.

Quelle tristesse de voir des municipalités oublier que pour faire respecter la loi et les principes qui l’inspirent, il faut être irréprochable soi-même dans son application Ainsi, des villes comme Valence ont délibéré en ce sens, bénéficiant alors d’une forte médiatisation, avant d’être beaucoup plus prudentes lorsqu’il s’est agi de passer aux actes. 

Un effet contre-productif

Cités par le journal La Croix, des chercheurs du CNRS tels que Gérard Mauger ou Virginie Donier pointent les risques d’illégalité de ces mesures, leur absence d’efficacité, et leur effet contre-productif sur les familles en grande précarité : déjà démunies, elles donneront encore moins accès à leurs enfants aux services de cantine, à l’accès à la culture, au sport, bref à une socialisation susceptible de remettre les enfants dans le droit chemin.

Notre devoir moral est donc autant de faire sanctionner par le juge les faits de délinquance, que de tendre la main aux familles pour les aider à éduquer leurs enfants, plutôt que d’ajouter de la misère à la misère.

Mais que ne feraient pas certains maires soucieux de polir leur image sécuritaire pour plaire à une population excédée, à juste titre, par les incivilités, et demandeuse de solutions faciles…

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