France : faut-il supprimer l’impôt sur l’héritage ?

📋  Le contexte  📋

L’impôt sur l’héritage, aussi appelé droits de succession, est un impôt indirect prélevé sur la transmission d’un patrimoine d’une personne décédée vers une personne vivante. Si la nature de l’héritage peut varier (biens matériels, titres de propriété ou de noblesse) la taxe appliquée au patrimoine transmis varie aussi. L’impôt sur l’héritage est un impôt progressif, il repose sur une logique d’abattements prenant en compte la filiation entre la personne décédée et le récipiendaire ainsi que la valeur de l’héritage. La taxe est moins élevée pour une transmission entre un parent et son enfant que pour une personne vers un ami.

L’impôt sur l’héritage voit le jour au lendemain de la Révolution française, en 1791. Reposant sur le principe de redistribution, il prend la forme d’un taux fixe à 1%. C’est la IIIe République qui se chargera de réformer cet impôt pour qu’il devienne progressif. En 1901, le taux passe donc à 2,5%. Les besoins financiers liés à la Première guerre mondiale feront à nouveau augmenter ce taux : en 1920 il culminera à 40%. L’impôt sur l’héritage baissera ensuite et c’est la IVe République qui se chargera d’instaurer des abattements et des exonérations. En 1956, un abattement forfaitaire sera mis en place et les suivants adviendront dès 1959.

Les recettes des droits de succession ont bondi depuis 2012. Elles auraient augmenté de 60% entre 2012 et 2019, atteignant 14,4 milliards d’euros la dernière année. La France est l’un des seuls pays d’Europe où les droits de succession et de donation représentent plus de 1% des prélèvements obligatoires. Les successions sont taxées entre 5% et 60% en fonction de la qualité de l’héritier et de la valeur du patrimoine hérité. À savoir que très peu de successions sont taxées à 45% ou 60% du fait des nombreux abattements. Il y a des situations où l’héritier peut être exonéré de droits de succession. C’est par exemple le cas lorsque pour le conjoint survivant ou partenaire de PACS.

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Le « Pour »
Pascal Salin
Professeur honoraire de l’Université Paris-Dauphine, président de l’ALEPS (Association pour la liberté économique et le progrès social), ancien président de la Société du Mont Pèlerin
Les droits de succession : une ineptie !

Les droits de succession sont assez généralement considérés comme justifiés et on en donne en particulier une justification prétendument morale.

En effet, on considère qu’il n’est pas juste que certaines personnes puissent hériter d’un capital plus élevé que d’autres sans avoir fait les efforts nécessaires pour cela et sans le mériter. Mais ce point de vue est injustifié et c’est précisément par respect pour l’éthique des droits de propriété qu’il convient de s’opposer aux droits de succession.

Ce qui est en cause ce ne sont pas les droits personnels des héritiers définis de manière arbitraire (on décide de manière discrétionnaire de prélever une part plus ou moins importante du capital transmis aux héritiers), mais ce sont les droits des donateurs. Si un individu est le propriétaire légitime d’un capital qu’il a accumulé pendant sa vie, il est profondément immoral de considérer qu’on ne doit pas respecter ses droits du fait de son décès. En effet, il a fait l’effort d’épargner des ressources – c’est-à-dire de renoncer aux satisfactions apportées par la consommation – afin d’accumuler ce capital, par exemple précisément pour pouvoir le léguer à ses enfants (ou à une organisation charitable ou culturelle). Au nom de quoi peut-on mépriser ses efforts et porter atteinte aux droits de propriété de celui qui décède ?

L’une des remarquables spécificités des êtres humains vient précisément du fait qu’ils sont capables de se projeter au-delà de leur vie. Si l’on respecte l’éthique des droits de propriété il en résulte des situations satisfaisantes du point de vue utilitaire, ce qui constitue une justification supplémentaire pour supprimer les droits de succession. On accroît ainsi l’incitation à accumuler du capital et cela profite à tout le monde (on pourrait considérer cela comme une justification suffisante pour ne pas imposer de droits de succession).

De ce point de vue il convient de souligner qu’il existe en fait, en particulier dans le cas de la France, une surtaxation du capital, car il existe différents impôts prélevés sur la valeur d’un capital, sur ses revenus ou sur sa transmission et l’on peut même démontrer que l’impôt sur le revenu constitue une atteinte à l’accumulation du capital.

Or, il est important de souligner que la croissance économique implique l’accumulation de capitaux. En taxant le capital – par exemple par les droits de succession – on diminue l’incitation des individus à accumuler du capital et c’est toute l’économie d’un pays qui en est ainsi affectée en subissant une croissance moindre que celle qui serait sinon possible.

C’est donc pour des raisons pratiques aussi bien que morales qu’il convient de supprimer les droits de succession. On peut en trouver la démonstration – ainsi que l’étude de la surtaxation du capital – dans notre livre, La tyrannie fiscale, éditions Odile Jacob, 2014

Le « Contre »
Nicolas Frémeaux
Maître de conférences en économie à l’université Paris 2 et auteur du livre Les Nouveaux Héritiers (Seuil)
Pour une fiscalité des successions plus progressive

La France a vu ses inégalités de patrimoine augmenter au cours des dernières décennies. Surtout, la nature des inégalités a profondément changé car elles sont de plus en plus héritées et de moins en moins méritées.

Près de la moitié des Français n’hérite de rien quand 10% d’entre eux concentrent plus de la moitié des héritages. Paradoxalement, nous assistons à une remise en cause de l’impôt successoral car il est jugé immoral et inefficace. Supprimé dans de nombreux pays, il existe toujours en France mais en perdant toutefois de sa progressivité.

Aujourd’hui, en France, plus de 85% des transmissions entre parents et enfants sont exonérées de tout impôt successoral. L’impôt français, souvent présenté comme confiscatoire, conduit à un taux d’imposition effectif bien différent du taux théorique maximal du barème à savoir 45%. Premièrement, ce taux de 45% est marginal dans le sens où il s’applique pour chaque euro reçu au-delà de 1,8 millions.

Deuxièmement, il est possible de réduire son taux d’imposition en utilisant les nombreuses niches fiscales existantes (donations, actifs exonérés…). Ainsi, le taux moyen d’imposition effectif d’un héritier recevant plus de 5 millions d’euros s’élève en moyenne à 25%. On peut bien sûr trouver cela trop élevé mais à titre de comparaison l’impôt sur le revenu d’une personne seule atteint ce même taux dès 3 600 euros de salaire mensuel.

Au-delà de ces motifs de justice sociale évidents, cet impôt peut se justifier pour des raisons purement économiques. De nombreuses niches fiscales reposent sur des justifications théoriques fragiles voire inexistantes. De plus, de nombreux travaux ont montré que les effets négatifs de cet impôt sur l’épargne, la transmission d’entreprises et l’exil sont limités alors que dans le même temps il permet d’éviter les effets désincitatifs de l’héritage, sur l’offre de travail notamment.

Les transmissions de patrimoine doivent pouvoir continuer à se faire en franchise d’impôt pour la très grande majorité des Français. En revanche, l’impôt doit concerner les patrimoines au-delà de plusieurs millions d’euros afin de limiter leur forte concentration. Il est surtout essentiel qu’il y ait un vrai débat sur l’héritage car toute question fiscale doit résulter d’un processus démocratique. Derrière la question de l’impôt se cache un choix de société : quel niveau et quel type d’inégalités sommes-nous prêts à tolérer ?

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