ISF climatique

Pour ou contre un ISF climatique ?

📋  Le contexte  📋

Initialement proposé par Greenpeace en Octobre 2020, l’ISF climatique serait un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) intégrant l’empreinte carbone du patrimoine financier des ménages. EN principe, il faudrait donc rétablir l’ISF qui avait été supprimé en 2018 (qui concernait les ménages disposant d’un patrimoine de plus de 1,3 million d’euros) et calculer la quantité de CO2 émise par les activités sur lesquelles reposent les placement de ces ménages pour les taxer.

Selon Greenpeace,  le patrimoine financier des ménages assujettis à l’ISF en 2017, avant sa suppression, était associé à l’émission annuelle de 97 millions de tCO2eq. L’introduction d’une composante carbone (au niveau actuel de la taxe carbone : 44,6 euros / tCO2eq) appliquée à l’empreinte carbone moyenne des placements financiers de ces ménages permettrait ainsi de rapporter environ 4,3 milliards d’euros à l’État chaque année.

 

 

Alors que vient de se clore la COP 26, la nécessité de diminuer drastiquement nos émissions de CO2 semble très largement partagée. Le débat porte plutôt sur les moyens à mettre en œuvre. Les défenseurs de cette mesure veulent une justice fiscale incitative mais aussi plus juste : le patrimoine financier du 1 % le plus riche de la population est lié à 66 fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que celui des 10 % les plus modestes, selon Greenpeace. À contrario, la fiscalité verte pèse trois fois plus sur les 20 % de ménages les plus modestes en comparaison des 20 % les plus aisés.

Pour ses opposants, le France appliquerait déjà une fiscalité particulièrement lourde et l’introduction d’un nouvel impôt conduirait à un nouvel exil fiscal contre-productif. Ils défendent des taxes directes sur la consommation de biens ou de services polluants. Et vous, qu’en pensez-vous ?

Depuis cet été, le sujet s’est invité dans la campagne présidentielle. C’était une des propositions du « plan pour la France », le programme dévoilé en aout par Eric Piolle. Depuis, Yannick Jadot, vainqueur de la primaire des écologistes, et Anne Hidalgo, candidate du PS ont repris cette proposition dans leur programme.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Est-ce un bon moyen de taxer les particuliers « les plus pollueurs » ou une usine à gaz contre-productive ? On en débat avec 2 experts !

 

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Le « Pour »
Clément Sénéchal
Porte-parole climat de Greenpeace France
l’ISF climatique relève de l’évidence

Plus urgente que jamais, la lutte contre le changement climatique pose nécessairement la question du partage de l’effort au sein de la population. Effort de sobriété énergétique d’une part, indispensable pour décarboner notre économie, effort de solidarité budgétaire d’autre part, pour financer les équipements et les infrastructures nécessaires à la transition écologique. Si cet effort n’est pas réparti de manière équitable, la transition écologique ne rencontrera pas l’acceptabilité sociale nécessaire à son accomplissement à grande échelle.

La solution la plus évidente pour extirper la tonne de CO2 de notre économie, c’est de pénaliser sa viabilité économique, donc son financement. Jusqu’à présent, la solution retenue consistait à pénaliser uniquement son financement au moment de l’acte d’achat, donc à frapper la consommation : c’est la fameuse taxe carbone. Le hic, c’est que cette taxe frappe l’ensemble des ménages, indistinctement de leur condition sociale et de leurs contraintes professionnelles. A telle enseigne que la fiscalité carbone actuelle pèse trois fois plus lourd sur les 20% de ménages les plus modestes, en regard de leur revenu, par comparaison avec les 20% de ménages les plus riches. 1ère injustice. 2e injustice : ce sont pourtant les foyers les plus riches qui polluent le plus à raison de leur mode de vie ! Environ 4 fois plus pour les 10% les plus riches, par comparaison avec les 10% les plus modestes. 3e injustice : ce sont pourtant les populations les plus modestes qui sont les plus durement touchées par les différentes nuisances matérielles générées par notre société carbonée. Enfin, dernière injustice : l’empreinte carbone du patrimoine financier n’est tout simplement pas taxée ! Or, sur ce terrain, les disparités explosent : les placements des 1% les plus riches émettent environ 66 fois plus que celui des 10% les plus pauvres.

Les placements des 1% les plus riches émettent environ 66 fois plus que celui des 10% les plus pauvres

L’idée défendue par l’ISF climatique découle naturellement de ce constat  : il s’agit de prendre en compte l’empreinte carbone du patrimoine financier dans le calcul de l’impôt des plus fortunés. C’est une manière de les faire participer de manière équitable à l’effort collectif de décarbonation, d’inciter les investissements à se tourner vers les secteurs les moins émetteurs possibles, et d’amener de nouvelles recettes au budget de l’état pour financer la transition.

D’iconoclaste, cette idée est en passe de devenir incontournable au sein d’une partie du spectre politique, puisqu’elle officiellement défendue aussi bien par le candidat de EELV et la candidate du Parti socialiste à l’élection présidentielle, Yannick Jadot et Anne Hidalgo. Elle a également été soutenue par la France Insoumise à l’Assemblée nationale. Ce soutien transpartisan repose sur une raison simple : bon pour la société comme pour l’environnement, l’ISF climatique relève de l’évidence.

Le « Contre »
Eric Pichet
Professeur à KEDGE BUSINESS SCHOOL
La couteuse illusion d’un ISF vert

Portées par l’urgence de lutter contre le dérèglement climatique et les déficits budgétaires induits par la pandémie, des propositions fiscales fleurissent pour inciter les citoyens-contribuables à adopter des comportements écologiquement vertueux tout en renflouant les caisses de l’Etat. Parmi ces suggestions, celle de créer un ISF climatique (ou ISF vert) est médiatique et éminemment populaire (puisque l’ISF ne concernait que 1% des foyers fiscaux).

Pour ses initiateurs il s’agirait non seulement de rétablir l’ISF (soit environ 5 milliards de recettes annuelles) mais d’y adjoindre une composante assise sur « les émissions de gaz à effet de serre (GES) induites par les placements financiers des ménages les plus riches » qui rapporterait 4,3 milliards et en doublerait donc à peu près le rendement. L’idée part du constat incontestable que les riches polluent plus : ainsi les 10 % des ménages aux revenus les plus élevés pollueraient environ 3 fois plus que les 10 % les plus pauvres. L’écart serait bien plus considérable pour les patrimoines qui sont plus inégalement répartis. Selon une estimation sommaire de Greenpeace le patrimoine financier moyen des 1 % des ménages les plus aisés étant 66 fois plus élevé que celui des 10 % des ménages les moins bien dotés, il émettrait 66 fois plus de GES. Si l’intention est louable, les deux arguments, de justice sociale et de hausse des recettes fiscales ne résistent pas à une analyse rationnelle.

L’introduction d’un nouvel avater de l’ISF deux fois plus lourd que le précédent déclencherait inévitablement un nouvel exil fiscal légal des plus fortunés

Pour juger de l’équité sociale de la fiscalité patrimoniale il faut prendre en compte l’ensemble des prélèvements sur la propriété privée et non pas seulement l’Impôt sur la fortune. Or la France est déjà le pays développé qui impose le plus le patrimoine à 4,4% du PIB (1) et donc celui qui prend le plus en compte les différences d’empreinte carbone liées au patrimoine. Nous sommes d’ailleurs le seul pays de l’OCDE à appliquer les six grands types d’imposition patrimoniale aux différentes étapes du cycle économique : sur l’acquisition (et la vente) via les droits d’enregistrement, sur la détention avec les impôts fonciers et l’impôt sur la fortune, sur les revenus du patrimoine, sur les mutations avec les droits de succession et de donation, et enfin les plus-values, avec en outre trois impôts progressifs (IR jusqu’à 62% sur les revenus fonciers), l’IFI jusqu’à 1,5% et les droits de succession jusqu’à 45% en ligne direct qui aboutissent parfois à une imposition globale confiscatoire.

Dans ces conditions l’introduction d’un nouvel avatar de l’ISF deux fois plus lourd que le précédent déclencherait inévitablement un nouvel exil fiscal légal des plus fortunés et doublerait vraisemblablement la perte des recettes fiscales que l’ISF avait générée du fait de la perte de la base taxable et qui est désormais bien documentée aux environs du double des recettes générés par l’ISF (2) . C’est la raison pour laquelle l’impôt sur la fortune a progressivement disparu dans les pays de l’UE depuis 1994.

Sans même évoquer les difficultés insurmontables à définir un barème constitutionnel sur la base du carbone généré et pour éviter que les plus pauvres ne paient -via la TVA qui est de loin le premier impôt français et payé par tous – la perte de recettes que générerait cet impôt ISF vert, il serait donc de loin préférable d’abandonner cette… usine à gaz et d’instituer par exemple, selon le principe du pollueur-payeur, une taxe sur les billets d’avion, bien plus simple à recouvrer et bien plus équitable.

 

(1) : Rapport OCDE septembre 2019, page 99

(2) : V. notamment É. Pichet, Les conséquences économiques de l’ISF : Dr. fisc., 2007, n° 14, étude 368, p. 10-20 et É. Pichet, Pour une réforme de l’ISF et de la fiscalité patrimoniale française, La Revue fiscale du patrimoine, n°4, avril 2016, p. 20-24.

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