📋 Le contexte 📋
Récemment, le concept de “superprofits” a été abondamment relayé dans le discours public. Cependant, cela demeure une notion floue, rarement définie de manière précise par ceux qui l’emploient. Son utilisation est décriée par le champ académique, qui lui reproche d’être parfois un outil de simplification à des fins politiques. Ce manque de définition réside notamment dans le fait qu’il n’existe pas de définition économique des superprofits, dans la mesure où il n’y a pas de calcul mathématique précis comme pour calculer le PIB par exemple.
Si l’on reprend une définition simple, le superprofit renvoie communément à un “profit considérable, au-dessus des profits habituels”. Aujourd’hui, la manière dont on emploie le terme de “superprofits” correspond davantage à la définition d’une “rente” : des profits exceptionnels engendrés par des circonstances extérieures à l’entreprise, sans rapport avec la stratégie ou les investissements de cette dernière.
Cet enrichissement supérieur à la normale peut être dû à un embargo par exemple, comme c’est le cas pour la compagnie Total Energies qui bénéficie des perturbations du fonctionnement normal du marché, liées à la guerre russo-ukrainienne. Certaines compagnies peuvent également profiter de ces facteurs extérieurs pour augmenter leurs prix.
Face à ces bénéfices extraordinaires, de plus en plus d’acteurs de la société civile et politique proposent de les taxer. Mais en quoi consisterait une taxe sur les superprofits ? L’association Oxfam définit cette taxe comme une contrepartie monétaire “applicable aux grandes entreprises qui enregistrent des hausses importantes de bénéfices, non pas grâce à des innovations ou des gains de productivité mais en profitant de circonstances externes comme une guerre ou une pandémie pour augmenter leur prix”.
Certains pays d’Europe, comme le Royaume-Uni ou encore l’Italie, ont déjà instauré cet impôt ou bien projettent de le faire. Chaque gouvernement a adopté une méthode de taxation différente, à des échelles diverses.
Néanmoins, ces pays constituent une minorité parmi les 27 membres de l’Union européenne. Alors que certains plaident pour l’instauration d’une législation au niveau européen, d’autres appellent les Etats membres à mettre en place une taxe à l’échelle nationale, afin d’éviter le risque de blocage d’un Etat membre (l’unanimité étant une règle centrale dans la prise de décision européenne) ainsi que les longs mois de négociation.
La taxation des superprofits revient dans le débat public face aux profits parfois exorbitants enregistrés par de grandes entreprises, sur fond de crise du Covid-19 et de guerre russo-ukrainienne. Certaines multinationales ont vu leurs bénéfices fleurir économie florissante, tandis que beaucoup de TPE et de PME souffrent de l’inflation et de la baisse du pouvoir d’achat. A titre d’exemple, l’Agence internationale de l’énergie a estimé que les entreprises européennes du secteur gagneront près de 200 milliards d’euros de bénéfices supplémentaires pour l’année 2022. Ces profits faramineux, indépendants du mérite ou des efforts de l’entreprise, suscitent un sentiment d’injustice chez certains, qui accusent ces multinationales déjà très puissantes économiquement d’être des “profiteurs de la guerre”.
Une taxe sur ces bénéfices exceptionnels permettrait de renflouer les caisses de l’Etat (Oxfam France a calculé que l’Etat français pourrait percevoir plus de 10 milliards d’euros grâce à une telle taxe) et de financer la transition énergétique, ou encore certains secteurs publics en souffrance, comme l’hôpital ou encore l’éducation.
En France, l’opposition s’est emparée de ce sujet dès cet été, arguant que cette taxe permettrait de pallier la baisse du pouvoir d’achat. Le 5 septembre 2022, Emmanuel Macron s’est finalement dit favorable à l’idée d’une contribution exceptionnelle, mais à l’échelle européenne. Reste également la question de la définition d’un superprofit dans la loi, ainsi que de la méthode de taxation retenue.
🕵 Le débat des experts 🕵
C’est le débat légitime de la rentrée et le gouvernement ne pourra pas y échapper. Les entreprises du CAC 40 ont battu en 2021 tous les records de profit : 174 milliards d’euros. Le dernier record datait de 2007, il n’était alors que de 100 milliards… En un an, la distribution de dividendes aux actionnaires a augmenté de 33 % en France, soit 3 fois plus que dans le reste du monde ! Dans un parallélisme effrayant, les Français de tous horizons vivent une rentrée sous le signe d’une inflation galopante (+12% sur les produits alimentaires), alors que leurs revenus, traitements, pensions, augmentent à peine voire stagnent. Ces disparités dans les efforts demandés aux uns et aux autres n’ont jamais été compréhensibles, elles sont intenables.
Certaines entreprises profitent des crises pendant que l’on appelle les Français à la sobriété
L’Assemblée nationale vient de lancer sa « mission flash sur les entreprises pétrolières et gazières et du transport maritime qui ont dégagé des profits exceptionnels pendant la crise ». Les auditions, que les députés de la NUPES ont souhaité rendre publiques, conforteront le constat. Certaines entreprises profitent des crises pendant que l’on appelle les Français à la sobriété.
C’est à mon sens aux Français d’indiquer clairement au gouvernement leur volonté de rétablir une plus juste répartition des richesses et des efforts. Il faut comprendre que ce que les grandes entreprises ne paient pas, ce sont tous les autres qui le paient pour financer par exemple l’éducation, l’hôpital, la police… C’est la raison pour laquelle il y a quelques jours j’ai proposé le lancement d’un RIP sur une taxation exceptionnelle des superprofits. Ce référendum d’initiative partagée est possible si un cinquième des députés et sénateurs (soit 185) le demandent et qu’ils sont soutenus par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Très vite j’ai reçu le soutien des députés des partis de la NUPES (PS, PC, FI, EELV). Nous soumettrons très prochainement au Conseil constitutionnel notre proposition de loi référendaire. Il nous reviendra ensuite de commencer la campagne de récolte des signatures citoyennes.
Le temps n’est plus à la politesse, à demander aux grandes entreprises des micro-gestes qu’elles ne feront pas ou peu
La majorité tente de disqualifier cette initiative. Depuis 5 ans, toute sa politique vise à baisser les impôts des grandes fortunes et des entreprises. Nous choisissons une procédure référendaire offerte par notre constitution car c’est le seul moyen de faire céder le gouvernement. Cette contribution rapporterait en quelques années plusieurs dizaines de milliards d’euros dont nous avons cruellement besoin pour faire face aux nombreux défis qui nous attendent, en premier lieu la crise climatique. Alors on fait quoi ? On continue de foncer dans le mur ou on cherche les moyens d’agir ?
Nous ne nous satisferons pas d’une mesure a minima que le gouvernement pourrait consentir à proposer dans le budget de 2023. Le temps n’est plus à la politesse, à demander aux grandes entreprises des micro-gestes qu’elles ne feront pas ou peu – (l’exemple de la remise à la pompe consentie par Total en guise de solde de tout compte est à cet égard probant). Le temps est aux décisions et à l’action !
Depuis plusieurs mois, lorsqu’on fait ses courses ou lorsqu’on fait le plein d’essence on constate que les prix ont beaucoup augmenté. Cette montée des prix touche tout le monde et en particulier les personnes les plus pauvres et notamment les jeunes qui avaient déjà eu beaucoup recours aux banques alimentaires durant la pandémie de Covid-19. En juillet dernier en France, les prix de l’alimentation ont augmenté de 7%, l’électricité de 8% et les dépenses au super marché de 7%. Face à cette flambée, 11% des Français.es sautent parfois des repas et 13% d’entre eux préfèrent repousser certains soins médicaux tandis que 6/10 pensent qu’ils vont devoir baisser leur chauffage cet hiver.
Dans le même temps, beaucoup de grandes entreprises Françaises et mondiales ont fait plus de profits durant la pandémie de Covid-19 et depuis la guerre en Ukraine que pendant les années avant ces crises : par exemple Total a accumulé cette année, au premier semestre, un bénéfice de 18,8 milliards de dollars.
Ces bénéfices records s’expliquent en partie par la spéculation
Ces bénéfices records s’expliquent en partie par la spéculation qu’elles ont réalisé en profitant des crises pour fixer des prix plus élevés.
Dans le débat public, on parle beaucoup d’une taxation des superprofits dans le secteur de l’énergie uniquement. Pour Oxfam et les autres organisations qui travaillent sur le sujet, il est impératif d’appliquer cette taxation à l’ensemble des secteurs puisque des entreprises hors secteur de l’énergie ont largement profité de la crise. C’est le cas par exemple de l’entreprise de fret maritime CMA-CGM qui a réalisé 14 milliards de dollars de profits au 1er semestre 2022, soit autant que sur toute l’année 2021.
Un nouveau record établi de 44 milliards d’euros de dividendes versés en France au 2ème trimestre
Par ailleurs, on constate malheureusement les grandes entreprises ne re distribuent pas ces bénéfices exceptionnels à leurs salariés et ne s’en servent pas pour investir. Tout par dans la poche des actionnaires avec un nouveau record établi de 44 milliards d’euros de dividendes versés en France au 2ème trimestre.
Le gouvernement dit préférer des ristournes faites directement par les grandes entreprises plutôt que passer par un impôt. Dans la pratique, la ristourne sur le plein d’essence proposée par Total était au total de 500 millions d’euros. Très loin des superprofits réalisés par l’entreprise.
Une taxation sur les super profits serait une mesure de bon sens. Beaucoup de pays européens comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne se sont déjà prononcés en faveur de cette taxe et la France parait de plus en plus isolée sur cette question. Selon les estimations que nous avons réalisé, une taxe des super profits en France pourrait rapporter à l’Etat au moins 10 milliards d’euros. Cet argent pourra servir à aider les personnes les plus fragile à faire face à cette hausse des prix galopante.
La guerre en Ukraine a entraîné une envolée des prix et une augmentation significative des bénéfices des producteurs d’hydrocarbures et opérateurs de fret. Alors que l’inflation tend à réduire le pouvoir d’achat des Français, la question de la redistribution d’une partie des “superprofits” liés à la conjoncture économique actuelle ne doit pas être taboue.
La taxation n’est pas la mesure la plus efficace
Cependant, la taxation n’est pas la mesure la plus efficace. Une taxe sur les bénéfices exceptionnels remettrait en question la stabilité fiscale mise en place dans notre pays depuis 2017. Or c’est bien cette stabilité fiscale qui a permis une baisse du chômage à son plus bas niveau depuis 15 ans et qui a fait de la France le pays le plus attractif d’Europe en termes d’investissements étrangers. Par ailleurs, l’estimation du niveau de taxation et sa mise en place conduiraient à un dédale administratif dont les Français ne percevraient les effets redistributifs au mieux que dans plusieurs mois.
Le Gouvernement a donc privilégié la voie de la négociation avec ces entreprises, aboutissant notamment à l’instauration dès le 1er septembre d’une remise de 20 centimes à la pompe par Total. Il semble toutefois nécessaire de réfléchir collectivement à une autre option pour élargir le nombre d’entreprises contributrices et surtout pour ne pas subventionner les énergies fossiles comme les ristournes le font indirectement. En effet, il est primordial de ne pas gérer la crise énergétique et inflationniste actuelle au détriment de la crise plus importante encore du climat.
Imaginer une solution pour flécher des investissements privés vers les projets de transition
Alors que la Première ministre a annoncé le déblocage d’un fonds vert de 1,5 milliard d’euros pour accompagner la transition écologique des collectivités territoriales, nous pourrions imaginer une solution similaire pour flécher des investissements privés vers les projets de transition.
Cet argent pourrait compléter le financement par l’État des primes à l’achat de véhicules électriques, de la conversion des chaudières au fioul, ou encore du dispositif MaPrimeRénov’ ouvrant la possibilité aux ménages d’isoler leurs logements. Nous serions alors dans une mécanique de redistribution concrète et efficace vers les Français les plus modestes.
Par ailleurs, le principe d’un fonds de dotation alimenté à la fois par la puissance publique et par les entreprises concernées par les “superprofits” maintiendrait une logique de négociation pour inciter les acteurs privés à redistribuer sans nuire au dialogue et au redressement de la compétitivité française. Ce fonds incarnerait un nouvel exemple de travail conjoint des acteurs privés et publics pour relever le défi climatique, une méthode plébiscitée par la population pendant le Covid.
Pour relever le défi de notre siècle, rassemblons tous nos efforts en orientant les bénéfices exceptionnels vers la transition écologique sans sanctionner les entreprises.
Lorsqu’il s’agit d’atteindre l’intérêt général, chaque piste doit-être étudiée quitte à bousculer des convictions profondément ancrées.
Qu’il s’agisse des particuliers ou des entreprises, la taxe n’a jamais été dans l’ADN des députés les Républicains. Ainsi, dès que le principe de la création d’une taxe provisoire et exceptionnelle sur les super-profits a été évoqué, les députés LR ont refusé cette alternative et demandé à la commission des finances de l’Assemblée nationale une mission flash afin d’apporter les éclairages nécessaires sur le sujet.
S’il y a des profits exceptionnels, l’impôt sera, en conséquence, exceptionnel
Prenons l’exemple de Total Energie. Il est ici question d’une multinationale dont le siège est situé en France. C’est une entreprise qui emploie de nombreux salariés Français, qui paient des cotisations et consomment en France. L’impôt sur les bénéfices (ou profits) est proportionnel au bénéfice réalisé en France, précision faite que l’essentiel des bénéfices l’est hors de France. S’il y a des profits exceptionnels, l’impôt sera, en conséquence, exceptionnel. Cette entreprise a déjà une valeur indéniable pour le pays. Total paie déjà des impôts sur les bénéfices…. Ses bénéfices lui permettent aussi d’investir dans les énergies décarbonées et dans les technologies nouvelles. Nous n’avons rien à gagner à affaiblir nos fleurons et encore moins à prendre le risque d’une délocalisation du siège à la Shell et des conséquences sociales qui en découleraient.
La France est déjà l’un des pays où l’on taxe le plus les entreprises et où la compétitivité est moins bonne que celles de ses principaux partenaires étrangers. A trop titiller le pis de la vache, nous n’obtiendrons rien que des coups de sabots. Taxer plus en France, c’est produire moins en France.
Il est dommage de ne pas voir ce que les entreprises font pour l’embauche, le maintien de l’emploi, la redistribution…
Une contribution spontanée était en tous points préférable à une taxe
Je ne remets en rien en cause l’objectif de justice sociale et de redistribution. Il est normal de souhaiter que chacun contribue à l’effort national et dans l’intérêt général. Sans alternative de financement équilibrée et crédible et/ou si le débat sur la taxation des superprofits n’avait été que sur le plan éthique, j’aurais pu me résoudre à voter une telle mesure.
Une contribution spontanée était en tous points préférable à une taxe. La pression mise par l’Assemblée nationale a visiblement porté ses fruits. Total, CMA-CGM notamment ont déjà fait des efforts volontaires tout autant voire plus efficaces que les fruits d’une taxe.
Puisqu’il est question d’une taxe et donc de recettes fiscales, je rappellerai par ailleurs que le budget de la France est structurellement en déficit, et que la dette s’est creusée de plus de 400 milliards d’euros ces deux dernières années. L’Etat a un besoin vital de percevoir de nouvelles recettes. Au sommet de la chaîne fiscale, ses instincts de superprédateur ne manqueront pas de se réactiver et de ponctionner quelques millions au passage. Contrairement aux 20 centimes appliqués directement à la pompe par le groupe Total Energie, les Français n’ont aucune certitude de voir les superprofits d’une éventuelle taxe leur être redistribués. Le ruissellement n’existe pas, tout est absorbé en amont. Preuve en est, actuellement jamais les recettes fiscales émanant des ménages comme des entreprises n’ont été aussi importantes, c’est-dire que l’Etat encaisse déjà les superprofits et pour autant, pas de ruissellement en corrélation sur les ménages.